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— Serait-ce une insulte d’être pharisien ? s’offusqua Nicodème, perdant son calme.

Avant que Guiora ne réplique, Joseph d’Arimathie, qui n’avait encore rien dit, lui posa une main très ferme sur le bras et déclara avec une autorité qui surprit tout le monde :

— Cette dispute est vaine. Nous connaissons nos divergences. À quoi bon les creuser ? Essayons de parler avec amitié.

Le zélote le remercia d’un signe de tête.

— Nul plus qu’un zélote n’est soumis aux lois de Moïse. Pour nous aussi, le comportement d’Hérode est une souillure. L’aigle d’or des Romains qu’il a permis de dresser sur le temple de Jérusalem brûle nos yeux de honte. Nous aussi, nous reprochons au peuple de n’être ni sage ni pieux, comme le veut Yhwh. Mais je te le répète, Guiora, l’Éternel Tout-Puissant ne peut vouloir le malheur de Son peuple. Barabbas et Joachim ont raison : le peuple souffre et ne peut endurer plus. Voilà la vérité. Nos fils sont crucifiés, nos frères expédiés dans les arènes, et nos sœurs vendues comme esclaves. Jusqu’à quand allons-nous le supporter ?

— Je ne suis pas loin de ta pensée, ami Eléazar, fit Nicodème en ignorant les protestations de Guiora. Mais cela signifie-t-il qu’il nous faille répliquer par les armes et le sang ? Vous, les zélotes, combien de fois avez-vous affronté les Romains ou les mercenaires d’Hérode ?

— Un bon millier, tu peux en être sûr ! rigola Lévi le Sicaire en soulevant son poignard. Et tu peux dire qu’il leur en cuit encore…

— Que vous croyez ! objecta froidement Nicodème. Moi, je ne m’en aperçois guère. Rome est toujours le maître d’Hérode. Allons, un peu de jugeote. Une révolte ne vous mènera à rien. Si jamais vous vous montrez capables de la mener !

Il secoua la tête en signe de doute.

— Et pourquoi es-tu si sûr de toi ? interrogea Matthias avec un soupçon de mépris. Ce n’est pas au sanhédrin qu’on peut juger de ce qui peut se faire avec des lances et des épées.

Il repoussa son capuchon, découvrant son visage qu’un sourire rendait encore plus terrifiant.

— Des gueules comme la mienne ne s’y promènent pas. Pourtant, regarde-la bien, parce qu’elle dit qu’on peut se battre contre les Romains et les mercenaires et… les vaincre.

Il scruta les uns et les autres, jouissant de son effet.

— Pour moi, c’est bon, reprit-il. Si Barabbas part en guerre contre Hérode, nous autres, nous sommes prêts.

— Prêts à vous faire tailler en pièces, comme l’an dernier, quand vous avez tenté de prendre Tarichée, intervint le jeune rabbin Jonathan.

— Aujourd’hui n’est pas hier, rabbin. Nous manquions d’armes. La leçon nous a servi. Pas plus tard qu’il y a une lune, dans la baie du Carmel, près de Ptolémaïs, nous avons saisi deux barques romaines chargées de lances, de dagues et même d’une machine de siège. Désormais, si le peuple en a le courage, nous pouvons armer douze mille hommes.

Barabbas approuva d’un grognement volontaire.

— Il y a un temps pour la paix et un temps pour la guerre. Le temps de la guerre est venu.

— Tu veux dire : le temps pour toi de mourir ? insista Nicodème, alors que Guiora l’approuvait bruyamment.

Matthias et Barabbas eurent le même geste d’exaspération.

— S’il faut mourir, nous mourrons ! Cela vaut mieux que de vivre à genoux.

— Sornettes et sornettes ! grommela Lévi le Sicaire. La question n’est pas de mourir. Je n’ai pas peur de mourir au nom de l’Éternel, al kiddouch ha-Chem. La question est : pouvons-nous abattre Hérode, puis vaincre Rome ? Car voici comment les choses vont se passer : si nous affaiblissons ce fou, il appellera Augustus le Romain à son secours. Et là, il faut bien l’admettre, une autre histoire commencera.

— Le Romain se moque d’Hérode ! s’énerva Barabbas. Les marchands racontent que toutes les légions de l’empire se pressent aux frontières du nord, où les Barbares les attaquent sans cesse. On dit même qu’à Damas le gouverneur Varron a dû se défaire d’une légion…

Barabbas guetta l’accord de Joseph d’Arimathie. Celui-ci approuva du bout des lèvres :

— C’est ce que l’on raconte, oui. Barabbas frappa la table du poing.

— Alors, je vous le dis : jamais il n’y a eu de meilleur moment pour abattre Hérode. Il est vieux et malade. Ses fils, ses filles, son épouse, toute sa clique se disputent et ne rêvent que de le trahir pour lui dérober le pouvoir ! Dès que sa maladie lui laisse un peu de répit, Hérode en empoisonne quelques-uns pour se rassurer. Dans son palais, tout le monde a peur. Depuis les cuisiniers jusqu’aux filles de putasserie. Même les officiers romains ne savent plus auprès de qui prendre leurs ordres. Les mercenaires ont peur de ne plus être payés… Je vous le répète : c’est le chaos chez Hérode ! A nous d’en profiter. L’occasion ne se représentera pas de sitôt. Le peuple de Galilée n’a à perdre que ses peurs et sa timidité. Matthias et moi pouvons entraîner des milliers d’am-ha-aretz avec nous. Vous, les zélotes, vous avez vos partisans. Votre influence dans les villages galiléens est grande. On vous admire pour les coups que vous portez au tyran. Si vous le proposez, on vous suivra. Et toi, Nicodème, tu pourrais réunir à Jérusalem des gens qui nous sont favorables. Si la Judée se soulève en même temps que nous, tout est possible. Le peuple d’Israël n’attend que notre détermination pour rassembler son courage et nous suivre…

— C’est ce que tu crois ? Tu crois à une folie, l’interrompit Nicomède sans plus aucune rondeur dans la voix. On n’invente pas une armée ni une guerre. Des pauvres bougres ne deviennent pas des soldats capables de vaincre des mercenaires aguerris par des années de combat. Ta révolte nous couvrira de sang, et pour rien.

— Tu dis ça parce que tu hais les am-ha-aretz ! s’enflamma Barabbas. Comme tous les pharisiens, comme tous les nantis de Jérusalem et du Temple, vous n’avez au cœur que mépris pour les pauvres. Vous êtes des traîtres à votre peuple…

— Qu’elle est ta proposition, Nicodème ? demanda Joachim afin de modérer l’exaspération de Barabbas.

— Attendre.

Les cris de Matthias et de Barabbas, du sicaire et du zélote vrillèrent la chaleur qui commençait à cerner l’ombre où ils se tenaient.

Nicodème leva les mains avec autorité.

— Vous vouliez mon avis. Je suis venu jusqu’ici pour vous le donner. Vous pourriez au moins m’écouter.

De mauvaise grâce les autres lui accordèrent le silence qu’il réclamait.

— C’est le chaos dans la maison d’Hérode, tu as raison, Barabbas. Mais justement : pourquoi vouloir avancer l’œuvre de Dieu ? Pour verser le sang et répandre de la douleur sur la douleur, alors que le Tout-Puissant punit Hérode et sa famille ? Vous devez croire en la clairvoyance de l’Éternel. C’est Lui qui décide du Bien et du Mal. Pour ce qui est d’Hérode et de sa famille d’impies, Sa justice est déjà à l’œuvre. Bientôt, ils ne seront plus. Alors, il sera temps de faire pression sur le sanhédrin…

— Je te comprends, Nicodème, fit Joachim. Mais je crains qu’il ne s’agisse d’un rêve. Hérode mourra et un autre fou prendra sa place, voilà ce qui se passera…

— Que vous êtes ignorants ! grinça Guiora, le regard exalté et qui n’en pouvait plus de se retenir. Que vous êtes de mauvais Juifs ! Ignorez-vous qu’il n’en est qu’un qui vous sauvera ? Avez-vous oublié la parole de Yhwh ? Celui que vous attendez pour vous sauver, bande d’ignares, c’est le Messie ! Lui seul, vous m’entendez ? Lui seul sauvera le peuple d’Israël de la boue où il s’enfonce. Stupide Barabbas, ignores-tu que le Messie se moque de ton glaive ? Il veut ton obéissance et tes prières. Si tu veux la fin du tyran, viens donc avec nous dans le désert suivre l’enseignement du maître de Justice. Viens ajouter ta prière à nos prières pour hâter la venue du Messie. Voilà ton devoir.