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— C’est moi, Miryem, reprit-elle, tâchant de se donner un peu d’assurance.

Il ne répondit pas, se retourna vers la barque, s’accroupit pour vérifier le lien qui la retenait. A nouveau, la lueur pâlissante du ciel éclaira son profil. Elle n’eut plus de doutes.

Elle avança, les mains tendues.

— Barabbas ! C’est vraiment toi ?

Cette fois, il lui fit face. Quand elle fut assez près pour le toucher, d’une voix rauque, épuisé, il s’exclama comiquement :

— Mais qu’est-ce que tu fais ici en pleine nuit ?

Cela la fit rire. Un rire nerveux et plein de bonheur. Une joie longtemps disparue qui l’emporta. Elle l’attira contre elle, lui baisant la joue et le cou.

Elle le devina tremblant et craintif sous ses caresses. Il se raidit, la repoussa et dit avant qu’elle ne puisse l’interroger :

— J’ai besoin de ton aide. Abdias est avec moi.

— Abdias ?

Il montra la barque. Elle distingua des paquets noirs dans le fond du bateau, une forme sous une peau de mouton.

— Il dort, fit-elle en souriant.

Barabbas se laissa glisser dans l’embarcation.

— Il ne dort pas. Il est blessé. Et salement.

La joie qui avait envahi Miryem reflua. Barabbas souleva le corps inerte du jeune am-ha-aretz.

— Que s’est-il passé ? C’est très grave ? demanda-t-elle. Barabbas rejeta la question d’un geste agacé.

— Aide-moi.

Elle s’accroupit, glissa les mains sous le dos d’Abdias. Une humidité chaude poissa ses paumes et ses doigts.

— Doux seigneur ! Il est plein de sang.

— Il faut le sauver. C’est pour ça que je suis venu.

Il ne fallut pas longtemps pour que la maison s’éveille. On apporta des lampes et des torches pour éclairer au mieux la pièce où Barabbas venait de déposer Abdias.

Rachel, Mariamne, les servantes, même le cocher Rekab, tous se pressaient autour de la couche. Le corps livide du am-ha-aretz y paraissait aussi fragile que celui d’un enfant de dix ans, mais son curieux visage figé par l’inconscience ou la douleur était plus vieux et plus dur encore que d’ordinaire. Noirci de sang, sale de poussière coagulée, un bandage de fortune lui serrait la poitrine.

— On s’est débrouillés comme on pouvait pour qu’il ne se vide pas comme un mouton, murmura Barabbas. Mais sa plaie s’ouvre sans cesse. Je ne sais rien des emplâtres. Là où nous étions, nul ne pouvait nous aider. Ce n’était pas tellement loin d’ici…

Il n’acheva pas sa phrase, esquissa un mouvement incertain. Rachel approuva d’un signe. Elle lui assura qu’il avait bien agi, bouscula les servantes qui dévisageaient le bandit dont elles avaient si souvent entendu parler. Le visage de Barabbas, maintenant que les lampes l’éclairaient, était gris de fatigue, tourmenté par la tristesse. Son regard ne contenait plus rien du feu et de la rage que Miryem y avait tant de fois contemplés. De larges croûtes dues à des blessures mal cicatrisées recouvraient ses bras et, dès qu’il le pouvait, il soulageait une de ses jambes de son poids.

— Tu es blessé, toi aussi ? s’inquiéta Rachel.

— Ce n’est rien.

Les servantes apportèrent de l’eau chaude et des linges propres. Miryem hésita à défaire le pansement. Ses doigts tremblaient. Rachel s’agenouilla et glissa la lame d’un couteau sous les tissus malpropres. A petits coups, elle défit le bandage que Miryem écartait, révélant peu à peu la blessure.

Sous la cage thoracique, en haut du ventre, la plaie était assez large pour laisser apparaître les entrailles. Le coup d’une lance que le mercenaire avait retournée afin d’aggraver la blessure. Des servantes gémirent, se voilant les yeux et se couvrant la bouche. Rachel les rabroua. Courageusement, Mariamne s’installa près de Miryem, les lèvres tremblantes. Elle trempa un linge dans l’eau et le tendit à son amie, qui, le visage dur, sans larmes, commença à nettoyer le pourtour de la plaie.

Quand elle eut retiré les bandages souillés, Rachel fit face à Barabbas.

— C’est pire que ce que je pensais. Aucune de nous n’est assez savante pour soigner une blessure aussi profonde.

Barabbas l’interrompit par une plainte sauvage.

— Il faut le sauver ! Il faut fermer la plaie, mettre des emplâtres…

— Depuis combien de temps est-il dans cet état ?

— Deux nuits. Il n’était pas si mal, au début. La douleur le tenait éveillé. J’aurais dû venir plus tôt. Mais j’avais peur d’agrandir la plaie. Il faut le sauver. J’en ai vu qui ont survécu à pire…

Les mots lui venaient mécaniquement, comme s’il se les était répétés mille fois, à chaque coup de rame qui l’avait rapproché de Magdala.

Rachel le vit qui esquissait un geste vers l’épaule de Miryem tandis que sans un mot elle lavait le visage d’Abdias. Il laissa retomber son bras, la bouche amère.

— Va te reposer, lui dit-elle avec douceur. Tu as besoin de soins, toi aussi. Va au moins manger et dormir. Ici, tu ne nous es d’aucune utilité.

Barabbas se tourna vers Rachel comme s’il ne comprenait pas. Elle soutint son regard. Des yeux hantés par les horreurs d’un massacre. Elle maîtrisa le frisson qui lui serrait la nuque et trouva la force d’un sourire.

— Va, insista-t-elle. Va te reposer. Nous soignerons Abdias.

Il hésita, jeta encore un regard vers Miryem. Il quitta la pièce sans qu’elle ait un signe pour lui.

*

* *

Tout le temps où elles s’occupèrent de lui, Abdias demeura sans connaissance. Son étrange visage ne trahissait aucune souffrance, plutôt un grand abandon. Plusieurs fois Miryem approcha sa joue de la bouche du garçon pour s’assurer qu’il respirait. Tandis qu’elle le lavait des saletés coagulées par la sueur, ses gestes ressemblaient de plus en plus à des caresses.

Le corps du garçon était constellé de coups. Des hématomes noircissaient ses cuisses et la peau sur ses hanches était arrachée. Sans doute l’avait-on traîné sur le sol, peut-être depuis un cheval et sur une grande distance.

Sans se l’avouer, Miryem craignit qu’on lui eût également brisé des os. Rachel fit le même raisonnement. En silence, avec une douceur extrême, elle palpa les jambes et les bras d’Abdias. Jetant un regard à Miryem, elle secoua la tête. Rien ne semblait cassé. En revanche, pour ce qui était de la hanche, il était impossible de savoir.

Les servantes revinrent avec une grande quantité de linge propre. Le cocher était allé réveiller une femme du voisinage connue pour sa science des plantes et qui faisait, à chaque naissance, office de sage-femme.

Quand elle aperçut Abdias, elle eut un haut-le-cœur et commença à geindre. Avec sécheresse, Rachel lui intima le silence et lui demanda si elle était capable de fabriquer des emplâtres pour soigner les plaies et, surtout, pour empêcher l’hémorragie.

La femme se calma. Mariamne lui tendit une lampe, qu’elle approcha de la blessure. Elle examina le garçon avec soin, toute crainte disparue.

— Faire un emplâtre, je le peux sûrement, marmonna-t-elle en se redressant. Et même un bandage qui empêchera que ça pourrisse trop vite. Et aussi lui concocter un breuvage qui soutiendra ce pauvre gamin, si vous êtes capables de le faire boire. Mais jurer que tout ça le soignera et le guérira, je ne m’y avancerai pas.

Avec l’aide de Mariamne et des servantes, la sage-femme prépara un emplâtre composé de glaise et de sénevé broyés avec des piments et de la poudre de clous de girofle. Elle envoya les servantes cueillir quantité de feuilles duveteuses des consoudes et des plantains qui bordaient les allées du jardin. Elle les ajouta à la préparation, malaxa le tout jusqu’à obtenir une pâte d’une texture visqueuse.

Entre-temps, sur ses indications, Mariamne faisait bouillir de l’ail et une racine de serpolet, du thym et des graines de cardamome dans du lait de chèvre additionné de vinaigre. Avec cette mixture on soutenait d’ordinaire les vieilles personnes dont le cœur peinait à battre.