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— … en revanche ses relations avec la Reine Mère ne sont plus aussi bonnes que par le passé. Vous savez qu’elle l’avait poussé au Conseil dans l’espoir de régner à travers lui ? On lui refuse de plus en plus de suivre les directives qu’elle prétend lui donner et cela indispose…

— Ah ? Voilà qui est mieux ! Et qui me donne fort envie de rencontrer très vite ma chère marraine.

— Le malheur est qu’il ne vous est pas possible de vous éloigner de notre duché sauf dans la direction opposée à Paris et aux autres demeures royales.

— Je sais, je sais, c’est terriblement agaçant !

— Allons, Marie, un peu de patience ! Vous venez seulement d’arriver ici, ce qui est déjà un énorme progrès ! Il faut laisser au Roi le temps de s’habituer à ce rapprochement et laisser faire vos amis.

— Le Roi, le Roi ! Mille tonnerres, Claude, quand donc cesserez-vous de le brandir à tout bout de champ dans la conversation à la manière d’une bannière ? Vous savez que je le déteste ?

— Peut-être mais il n’en est pas moins le pilier du monde où nous vivons et celui dont dépendent nos vies ! Ma sœur Conti vous le dira pareillement quand elle viendra vous voir un prochain jour. Elle est enchantée de votre retour et m’a chargé de vous transmettre son entière affection.

La pensée de sa belle-sœur, Louise-Marguerite de Lorraine, princesse de Conti, qui était aussi sa meilleure amie, détendit Marie.

— Elle va bien ? Toujours heureuse avec Bassompierre ?

— Plus que jamais, j’ai l’impression. Cela tient peut-être à ce que, depuis leur mariage secret, ils n’ont pas passé beaucoup de temps ensemble. Bassompierre a d’abord été envoyé comme ambassadeur en Angleterre, ensuite il n’a guère quitté l’armée. Mais j’ai rarement vu couple plus tendrement uni. Leur amour semble se renforcer à mesure qu’ils avancent en âge.

— C’est sans doute justement parce qu’ils ne sont plus jeunes ? Les amours d’automne sont peut-être plus précieuses que les autres, fit Marie songeuse.

— Peut-être ! Et à ce propos, savez-vous que votre père vient de se remarier ?

La surprise coupa le souffle de la jeune femme :

— Mon père ? Remarié ? À son âge ? Il doit avoir dépassé la soixantaine à présent ?

— Exact ! Et vient d’épouser un tendron de dix-sept ans !

— Vous vous moquez ? J’aurais une belle-mère de dix ans plus jeune que moi ? Et qui en aurait… – elle compta un instant sur ses doigts –… quarante-deux de moins que son époux ? C’est à n’y pas croire ! Et… où l’a-t-il trouvée ?

— Dans un couvent de Dinan. Elle s’appelle Marie d’Avaugour de Dinan et elle est très belle !

— Dans quel genre ?

— Comment vous dire ? C’est une grande fille brune avec un teint de fleur et de magnifiques yeux bleus, un port de déesse et des appas fort évidents. La nouvelle duchesse de Montbazon sort peut-être d’un couvent, elle n’en affiche pas moins une extrême envie de plaire. Et elle plaît énormément !

Les beaux sourcils de Marie remontèrent jusqu’au milieu de son front :

— Seriez-vous en train de me dire que mon père est déjà cornard ?

— S’il ne l’est pas il le sera. Le bruit court qu’il l’a été.

— Alors qu’elle vivait au milieu des nonnes ? Peste, quelle luronne !

— Quand même pas. On dit seulement qu’à quinze ans, elle aurait perdu sa virginité avec son frère le comte de Vertus…

Du coup, Marie éclata de rire et tendit son verre pour que Claude l’emplît de nouveau :

— C’est vraiment trop drôle ! Perdre sa vertu avec un comte de Vertus cela n’arrive que chez nous ! J’espère au moins qu’il est beau ce garçon et que la pauvrette a puisé dans cet amour le courage d’entrer dans le lit d’Hercule.

— Votre passion pour votre père est touchante, Marie !

— Vous n’allez pas me demander de le plaindre ? C’est un balourd, presque un rustre qui, si j’en crois ce que j’ai pu apprendre, n’a pas rendu ma mère particulièrement heureuse ! Si cette Marie d’Avaugour la venge, j’applaudirai de tout mon cœur ! J’ajoute que j’aimerais la connaître !

— Cela ne devrait pas tarder. La nouvelle Duchesse entretient une grande amitié avec la princesse de Guéménée, l’épouse de votre frère dont nous allons recevoir la visite ces jours prochains puisque je les ai invités à fêter avec nous la Nativité. Je peux envoyer un courrier au château de Rochefort en Yvelines où sont les Montbazon pour les prier de se joindre à nous ?

— Une réunion de famille ? C’est gentil d’y avoir songé. Après tout, je suis contente de revoir ce vieux grognon. Il va m’accabler de reproches selon son habitude et déverser sur moi sa bile en même temps qu’une avalanche de prédictions désastreuses mais cela sera amusant. Vous auriez dû inviter aussi votre sœur.

— Ne vous ai-je pas dit qu’elle allait venir ? J’espère seulement que Bassompierre ne sera pas retenu au Louvre. À présent, Marie, ajouta-t-il en se levant après avoir vidé son verre d’un seul coup, l’heure est venue, je crois, de nous retirer…

— Croyez-vous ? fit-elle coquette.

— J’en suis plus que sûr.

Il vint prendre sa main et sa taille comme pour un pas de danse et, se penchant, posa ses lèvres au défaut de l’épaule de sa femme pour remonter le long de son cou. En même temps, sa main remontait de la taille à un sein qu’elle emprisonna. Marie comprit qu’il ne pourrait contenir davantage le désir qu’il avait d’elle et de son côté, elle sentait son corps s’émouvoir. Un frisson parcourut son dos, prélude à l’appel toujours exigeant de ses sens. Claude était un bon amant et le plaisir avec lui était une affaire certaine. Elle glissa de ses bras mais retint une main pour l’entraîner avec elle :

— Il est grand temps en effet si nous ne voulons pas nous donner en spectacle à nos gens !

Ils partirent en courant comme deux jeunes amoureux qui vont chercher refuge dans une meule de paille.

CHAPITRE II

UNE CAVALIÈRE DANS LA NUIT

La fête de Noël à Dampierre fut, cette année-là, pour Marie une sorte de bain de jouvence. Pendant quelques jours elle oublia ses menées politiques, ses projets, ses rancunes et sa soif de revanche pour n’être plus qu’une jeune femme heureuse de se retrouver en famille et une maîtresse de maison soucieuse du bien-être de ses hôtes ainsi que de l’éclat de sa demeure.

Au matin de leur nuit de retrouvailles, elle découvrit qu’en réalité elle aimait encore son mari. Ce n’était pas de la passion – elle ne l’avait éprouvée et ne l’éprouverait que pour le seul Holland dont il lui suffisait d’évoquer l’image pour se sentir bouleversée –, loin de là, mais en mesurant l’étendue de l’amour de Claude, capable d’accepter n’importe quoi pour la garder, d’oublier ce qu’il avait enduré de son fait, et simplement heureux de l’avoir tenue dans ses bras durant quelques heures, elle se renouvela à elle-même la promesse qu’elle s’était faite au lendemain de leur mariage quand en l’épousant il en avait fait une princesse lorraine en la sauvant de la disgrâce : essayer de lui donner autant de bonheur que possible et peut-être le protéger des conséquences de ses actions à venir. Car, naturellement, elle se savait incapable de lui rester fidèle et certainement plus encore de renoncer aux intrigues dont elle portait en elle les germes irrésistibles. C’était pour elle le sel de la terre.

Elle était heureuse aussi de retrouver ses enfants : surtout son fils dont elle était assez fière alors qu’elle tenait ses filles pour quantité négligeable ne pouvant attendre d’illustrations que par un mariage : Louis, prématurément duc, portait de grandes espérances…