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Mais, à peine eut-il desserré son étreinte, elle se releva et se sauva, éperdue, frissonnante et glacée soudain comme un être qui vient de tomber à l’eau. Il la rejoignit en quelques enjambées et la saisit par le bras en murmurant :

— Christiane, Christiane !.. prenez garde à votre père.

Elle se remit à marcher, sans répondre, sans se retourner, allant droit devant elle d’un pas roide et saccadé. Il la suivait maintenant sans oser lui parler.

Dès que le marquis les aperçut, il se leva :

— Allons vite, dit-il, je commençais à avoir froid. C’est très beau, ces choses-là, mais mauvais pour le traitement.

Christiane se serrait contre son père, comme pour lui demander protection et se réfugier dans sa tendresse.

Aussitôt rentrée dans sa chambre, elle se dévêtit en quelques secondes et s’enfonça dans son lit, en cachant sa tête sous les draps, puis elle pleura. Elle pleura, la figure dans l’oreiller, longtemps, longtemps, inerte, anéantie. Elle ne songeait plus, elle ne souffrait point, elle ne regrettait pas. Elle pleurait sans songer, sans réfléchir, sans savoir pourquoi. Elle pleurait, par instinct, comme on chante quand on est gai. Puis, quand elle fut épuisée de larmes, accablée, courbaturée à force d’avoir sangloté, elle s’endormit de fatigue et de lassitude.

Elle fut réveillée par des coups légers frappés à la porte de sa chambre qui donnait sur le salon. Il faisait grand jour, il était neuf heures. Elle cria : « Entrez ! » Et son mari parut, joyeux, animé, coiffé d’une casquette de route, et portant au flanc son petit sac à argent qu’il ne quittait jamais en voyage.

Il s’écria :

— Comment, tu dormais encore, ma chère ! Et c’est moi qui te réveille. Voilà ! J’arrive sans m’annoncer. J’espère que tu vas bien. Il fait un temps superbe à Paris.

Et, s’étant décoiffé, il s’avança pour l’embrasser.

Elle s’éloignait vers le mur, saisie d’une peur folle, d’une peur nerveuse de ce petit homme rose et content qui tendait ses lèvres vers elle.

Puis, brusquement, elle lui offrit son front en fermant les yeux. Il y posa un baiser calme, et demanda :

— Tu permets que je me lave un peu dans ton cabinet de toilette ? Comme on ne m’attendait pas aujourd’hui, on n’a point préparé ma chambre.

Elle balbutia :

— Mais, certainement.

Et il disparut par une porte, au pied du lit.

Elle l’entendait remuer, clapoter, siffloter ; puis il cria :

— Quoi de neuf ici ? Moi, j’ai des nouvelles excellentes. L’analyse de l’eau a donné des résultats inespérés. Nous pourrons guérir au moins trois maladies de plus qu’à Royat. C’est superbe !

Elle s’était assise dans son lit, suffoquant, la tête égarée par ce retour imprévu qui la frappait comme une douleur et l’étreignait comme un remords. Il reparut, content, répandant autour de lui une forte odeur de verveine. Alors il s’assit familièrement sur le pied du lit et demanda :

— Et le paralytique ! Comment va-t-il ? Est-ce qu’il recommence à marcher ? Il n’est pas possible qu’il ne guérisse point avec ce que nous avons trouvé dans l’eau !

Elle l’avait oublié depuis plusieurs jours, et elle balbutia :

— Mais… je… je crois qu’il commence à aller mieux… je ne l’ai pas vu d’ailleurs cette semaine… je… je suis un peu souffrante…

Il la regarda avec intérêt et reprit :

— C’est vrai, tu es un peu pâle… Ca te va fort bien, d’ailleurs… Tu es charmante ainsi… tout à fait charmante…

Il se rapprocha et, se penchant vers elle, voulut passer un bras dans le lit, sous sa taille.

Mais elle fit en arrière un tel mouvement de terreur qu’il demeura stupéfait, les mains tendues et la bouche en avant. Puis il demanda :

— Qu’as-tu donc ? On ne peut plus te toucher ! Je t’assure que je ne veux pas te faire de mal…

Et il se rapprochait, pressant, l’œil allumé d’un désir subit.

Alors elle balbutia :

— Non…. laisse-moi… laisse-moi… C’est que… c’est que… je crois… je crois que je suis enceinte !..

Elle avait dit cela, affolée d’angoisse, sans y songer, pour éviter son contact, comme elle aurait dit : « J’ai la lèpre ou la peste. »

Il pâlit à son tour, ému d’une joie profonde ; et il murmura seulement : « Déjà ! » Il avait envie de l’embrasser maintenant, longtemps, doucement, tendrement, en père heureux et reconnaissant. Puis une inquiétude lui vint :

— Est-ce possible ?… Comment ?… Tu crois ?… Si tôt ?…

Elle répondit :

— Oui… c’est possible !..

Alors il sauta dans la chambre et s’écria en se frottant les mains :

— Cristi, cristi, quelle bonne journée !

On frappait de nouveau à la porte. Andermatt l’ouvrit, et une femme de chambre lui dit :

— C’est M. le Docteur Latonne qui voudrait parler tout de suite à Monsieur.

— C’est bien. Faites-le entrer dans notre salon, j’y vais.

Il retourna dans la pièce voisine. Le docteur parut aussitôt. Il avait un visage solennel, une allure compassée et froide. Il salua, toucha la main que lui tendait le banquier un peu surpris, s’assit et s’expliqua, avec le ton d’un témoin dans une affaire d’honneur.

— Il m’arrive, mon cher Monsieur, une aventure fort désagréable, dont je dois vous rendre compte pour vous expliquer ma conduite. Quand vous m’avez fait l’honneur de m’appeler auprès de Madame votre femme, je suis accouru à l’heure même ; or, il paraît que, quelques minutes avant moi, mon confrère, M. le médecin-inspecteur, qui inspire sans doute plus de confiance à Mme Andermatt, avait été mandé par les soins de M. le marquis de Ravenel. Il en est résulté que, venu le second, j’ai l’air d’avoir enlevé par ruse à M. le Docteur Bonnefille une cliente qui lui appartenait déjà, j’ai l’air d’avoir commis un acte indélicat, malséant, inqualifiable de confrère à confrère. Or, il nous faut apporter, Monsieur, dans l’exercice de notre art, des précautions et un tact excessifs pour éviter tous les froissements, qui peuvent avoir de graves conséquences. M. le Docteur Bonnefille, instruit de ma visite ici, me croyant coupable de cette indélicatesse, les apparences étant, en effet, contre moi, en a parlé en termes tels que, n’était son âge, je me serais vu forcé de lui en demander raison. Il ne me reste qu’une chose à faire, pour m’innocenter à ses yeux et aux yeux de tout le corps médical de la contrée, c’est de cesser, à mon grand chagrin, de donner mes soins à votre femme, et de faire connaître toute la vérité sur cette affaire, en vous priant d’agréer mes excuses.

Andermatt répondit avec embarras :

— Je comprends fort bien, Docteur, la situation difficile où vous vous trouvez. La faute en est, non pas à moi ou à ma femme, mais à mon beau-père, qui avait appelé M. Bonnefille sans nous prévenir. Ne pourrais-je aller trouver votre confrère et lui dire…

Le Docteur Latonne l’interrompit :

— C’est inutile, mon cher Monsieur, il y a là une question de dignité et d’honorabilité professionnelles que je dois avant tout respecter, et, malgré mes vifs regrets…

Andermatt, à son tour, lui coupa la parole. L’homme riche, l’homme qui paye, qui achète une ordonnance de cinq, dix, vingt ou quarante francs comme une boîte d’allumettes de trois sous, à qui tout doit appartenir par la puissance de sa bourse, et qui n’apprécie les êtres et les objets qu’en vertu d’une assimilation de leur valeur avec celle de l’argent, d’un rapport rapide et direct établi entre les métaux monnayés et toutes les autres choses du monde, s’irritait de l’outrecuidance de ce marchand de remèdes sur papier. Il déclara d’un ton roide :