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William répondit :

— Mon Dieu oui, celui qui existe est trop insuffisant.

Et, se tournant vers M. Aubry-Pasteur :

— Vous m’excuserez, cher Monsieur, de vous parler à table d’une démarche que je voulais faire auprès de vous, mais je repars ce soir pour Paris ; et le temps me presse énormément. Consentiriez-vous à diriger les travaux de fouille pour trouver un volume d’eau supérieur ?

L’ingénieur, flatté, accepta ; et, au milieu du silence général, ils réglèrent tous les points essentiels des recherches qui devaient commencer immédiatement. Tout fut discuté et fixé en quelques minutes avec la netteté et la précision qu’Andermatt apportait toujours dans les affaires. Puis on parla du paralytique. On l’avait vu traverser le parc, dans l’après-midi, avec une seule canne, alors que, le matin même, il en employait encore deux. Le banquier répétait :

— C’est un miracle, un vrai miracle ! Sa guérison marche à pas de géant.

Paul, pour plaire au mari, reprit :

— C’est le père Clovis lui-même qui marche à pas de géant.

Un rire approbateur fit le tour de la table. Tous les yeux regardaient Will, toutes les bouches le complimentaient. Les garçons du restaurant s’étaient mis à le servir le premier avec une déférence respectueuse qui disparaissait de leurs visages et de leurs gestes dès qu’ils passaient les plats aux voisins.

Un d’eux lui présenta une carte sur une assiette.

Il la prit et lut à mi-voix :

« Le Docteur Latonne, de Paris, serait heureux si M. Andermatt voulait bien lui accorder quelques secondes d’entretien avant son départ. »

— Répondez que je n’ai pas le temps, mais que je reviendrai dans huit ou dix jours.

Au même moment on apportait à Christiane une botte de fleurs de la part du Docteur Honorat.

Gontran riait :

— Le père Bonnefille est mauvais troisième, dit-il.

Le dîner allait finir. On prévint Andermatt que son landau l’attendait. Il monta pour chercher son petit sac ; et quand il descendit, il vit la moitié du village amassée devant la porte. Petrus Martel vint lui serrer la main avec une familiarité de cabotin et lui murmura dans l’oreille :

— J’aurai une proposition à vous faire, quelque chose d’épatant pour votre affaire.

Soudain le Docteur Bonnefille parut, pressé selon sa coutume. Il passa tout près de Will, et, le saluant très bas comme il faisait pour le marquis, il lui dit :

— Bon voyage, Monsieur le Baron.

— Touché, murmura Gontran.

Andermatt, triomphant, gonflé de joie et d’orgueil, serrait les mains, remerciait, répétait : « Au revoir ! » Mais il faillit oublier d’embrasser sa femme, tant il pensait à autre chose. Cette indifférence fut pour elle un soulagement, et quand elle vit le landau s’éloigner sur la route obscurcie, au grand trot des deux chevaux, il lui sembla qu’elle n’avait plus rien à redouter de personne pour le reste de sa vie.

Elle passa toute la soirée assise devant l’hôtel, entre son père et Paul Brétigny, Gontran étant parti au Casino, comme il faisait chaque jour.

Elle ne voulait ni marcher, ni parler, et restait immobile, les mains croisées sur son genou, les yeux perdus dans l’obscurité, alanguie et faible, un peu inquiète et heureuse pourtant, pensant à peine, ne rêvant même pas, luttant par moments contre de vagues remords qu’elle repoussait en se répétant : « Je l’aime, je l’aime, je l’aime ! »

Elle monta de bonne heure dans sa chambre, pour être seule et songer. Assise au fond d’un fauteuil et enveloppée d’un peignoir flottant, elle regardait les étoiles par sa fenêtre restée ouverte ; et dans le cadre de cette fenêtre, elle évoquait à toute minute l’image de celui qui venait de la conquérir. Elle le voyait, bon, doux et violent, si fort et si soumis devant elle. Cet homme l’avait prise, elle le sentait, prise pour toujours. Elle n’était plus seule, ils étaient deux dont les deux cœurs ne formeraient plus qu’un cœur, dont les deux âmes ne formeraient plus qu’une âme. Où était-il, elle ne le savait pas ; mais elle savait bien qu’il rêvait d’elle comme elle pensait à lui. À chaque battement de son cœur, elle croyait entendre un autre battement qui répondait quelque part. Elle sentait, autour d’elle, rôder un désir qui l’effleurait comme une aile d’oiseau ; elle le sentait entrer par cette fenêtre ouverte, ce désir venu de lui, ce désir ardent, qui la cherchait, qui l’implorait dans le silence de la nuit. Comme c’était bon, doux, nouveau d’être aimée ! Quelle joie de penser à quelqu’un avec une envie de pleurer dans les yeux, de pleurer d’attendrissement, et une envie aussi d’ouvrir les bras, même sans le voir, pour l’appeler, d’ouvrir les bras vers son image apparue, vers ce baiser qu’il lui jetait sans cesse, de loin ou de près, dans la fièvre de son attente.

Et elle tendait vers les étoiles ses deux bras blancs dans les manches du peignoir. Soudain, elle poussa un cri. Une grande ombre noire, enjambant son balcon, avait surgi dans sa fenêtre.

Éperdue, elle se dressa ! C’était lui ! Et sans songer même qu’on pouvait les voir, elle se jeta sur sa poitrine.

VIII

L’absence d’Andermatt se prolongeait. M. Aubry-Pasteur faisait des fouilles. Il trouva de nouveau quatre sources qui donnaient à la nouvelle Société deux fois plus d’eau qu’il n’en fallait. Le pays entier, affolé par ces recherches, par ces découvertes, par les grandes nouvelles qui couraient, par les perspectives d’un avenir éclatant, s’agitait et s’enthousiasmait, ne parlait plus d’autre chose, ne pensait plus à autre chose. Le marquis et Gontran eux-mêmes passaient leurs jours autour des ouvriers qui sondaient les veines du granit, et ils écoutaient avec un intérêt grandissant les explications et les leçons de l’ingénieur sur la nature géologique de l’Auvergne. Et Paul et Christiane s’aimaient librement, tranquillement, dans une sécurité absolue, sans que personne ne s’occupât d’eux, sans que personne ne devinât rien, sans que personne ne songeât même à les épier, car toute l’attention, toute la curiosité, toute la passion de tout le monde étaient absorbées par la station future.

Christiane avait fait comme un adolescent qui s’enivre une première fois. Le premier verre, le premier baiser, l’avait brûlée, étourdie. Elle avait bu le second bien vite, et l’avait trouvé meilleur, et maintenant elle se grisait à pleine bouche.

Depuis le soir où Paul était entré dans sa chambre, elle ne savait plus du tout ce qui se passait dans le monde. Le temps, les choses, les êtres n’existaient plus pour elle ; rien n’existait plus qu’un homme. Il n’y avait plus, sur la terre ou dans le ciel, qu’un homme, un seul homme, celui qu’elle aimait. Ses yeux ne voyaient plus que lui, son esprit ne pensait plus qu’à lui, son espoir ne s’attachait plus que sur lui. Elle vivait, changeait de place, mangeait, s’habillait, semblait écouter et répondait, sans comprendre et sans savoir ce qu’elle faisait. Aucune inquiétude ne la hantait, car aucun malheur n’aurait pu la frapper ! Elle était devenue insensible à tout. Aucune douleur physique n’aurait eu de prise sur sa chair que l’amour seul pouvait faire frémir. Aucune douleur morale n’aurait eu de prise sur son âme paralysée par le bonheur.

Lui, d’ailleurs, l’aimant avec l’emportement qu’il apportait en toutes ses passions, surexcitait jusqu’à la folie la tendresse de la jeune femme. Souvent, vers la fin du jour, quand il savait le marquis et Gontran partis aux sources :

— Allons voir notre ciel, disait-il.

Il appelait leur ciel un bouquet de sapins poussé sur la côte, au-dessus même des gorges. Ils y montaient à travers un petit bois, par un sentier rapide, qui faisait souffler Christiane. Comme ils avaient peu de temps ils allaient vite ; et, pour qu’elle se fatiguât moins, il la soulevait par la taille. Ayant mis une main sur son épaule elle se laissait enlever, et parfois lui sautant au cou posait sa bouche sur ses lèvres. À mesure qu’ils montaient, l’air devenait plus vif ; et quand ils atteignaient le bouquet de sapins, l’odeur de la résine les rafraîchissait comme un souffle de la mer.