Выбрать главу

Et, avec beaucoup de verve, il indiquait l’impossibilité d’une certitude, l’absence de toute base scientifique tant que la chimie organique, la chimie biologique ne serait pas devenue le point de départ d’une médecine nouvelle. Il racontait des anecdotes, des erreurs monstrueuses des plus grands médecins, prouvait l’insanité et la fausseté de leur prétendue science.

— Faites fonctionner le corps, disait-il, faites fonctionner la peau, les muscles, tous les organes et surtout l’estomac, qui est le père nourricier de la machine entière, son régulateur et son magasin de vie.

Il affirmait qu’à son gré, rien que par le régime il pouvait rendre les gens gais ou tristes, capables de travaux physiques ou de travaux intellectuels, selon la nature de l’alimentation qu’il leur imposait. Il pouvait même agir sur les facultés cérébrales, sur la mémoire, sur l’imagination, sur toutes les manifestations de l’intelligence. Et il terminait, en plaisantant, par ces mots :

— Moi, je soigne par le massage et le curaçao.

Il disait merveille du massage et parlait, comme d’un dieu, du hollandais Hamstrang, qui accomplissait des miracles. Puis, montrant ses mains fines et blanches :

— Avec ça on peut ressusciter les morts.

Et la duchesse ajoutait :

— Le fait est qu’il masse dans la perfection.

Il préconisait aussi les alcools, en petites proportions pour exciter l’estomac à certains moments ; et il faisait des mélanges, savamment combinés, que la duchesse devait boire, à heures fixes, soit avant, soit après ses repas.

On le voyait chaque jour arriver au Café du Casino, vers neuf heures et demie, et demander ses bouteilles. On les lui apportait fermées par de petits cadenas d’argent dont il avait la clef. Il versait un peu de l’une, un peu de l’autre, lentement, dans un verre bleu fort joli que tenait avec respect un valet de pied très correct.

Puis le docteur ordonnait :

— Voilà ! Portez à la duchesse, dans son bain, pour boire avant de s’habiller, en sortant de l’eau.

Et quand on lui demandait avec curiosité :

— Qu’est-ce que vous avez là-dedans ?

Il répondait :

— Rien que de l’anisette fine, du curaçao très pur et du bitter excellent.

Ce beau médecin, en quelques jours, devint le point de mire de tous les malades. Et toutes les ruses étaient employées pour lui arracher quelques avis.

Quand il passait par les allées du parc, à l’heure de la promenade, on n’entendait que ce cri : « Docteur ! » sur toutes les chaises où étaient assises les belles dames, les jeunes dames, qui se reposaient un peu, entre deux verres de la source Christiane. Puis lorsqu’il s’était arrêté, un sourire sur la lèvre, on l’entraînait quelques instants dans le petit chemin qui longeait la rivière.

On lui parlait d’abord de choses et d’autres, puis discrètement, adroitement, coquettement, on arrivait à la question de santé, mais d’une façon indifférente comme si on eût touché à un fait divers.

Car il n’était point, celui-là, à la dévotion du public. On ne le payait pas, on ne pouvait l’appeler chez soi, il appartenait à la duchesse, rien qu’à la duchesse. Cette situation même excitait les efforts, irritait les désirs. Et comme on affirmait tout bas que la duchesse était jalouse, très jalouse, ce fut entre toutes ces dames une lutte acharnée pour obtenir les conseils du joli docteur italien.

Il les donnait sans se faire trop prier.

Alors, entre les femmes qu’il avait favorisées de ses avis, commença le jeu des confidences intimes pour bien prouver sa sollicitude.

— Oh ! Ma chère, il m’a fait des questions, mais des questions…

— Très indiscrètes ?

— Oh ! Indiscrètes ! Dites effrayantes. Je ne savais absolument que répondre. Il voulait savoir des choses… mais des choses…

— C’est comme pour moi ! Il m’a beaucoup interrogée sur mon mari !..

— Moi aussi… avec des détails… si… si personnels ! C’est fort gênant, ces questions-là. Cependant on comprend bien que c’est nécessaire.

— Oh ! Tout à fait. La santé dépend de ces menus détails. Moi il m’a promis de me masser, à Paris, cet hiver. J’en ai grand besoin pour compléter le traitement d’ici.

— Dites, ma chère, que comptez-vous faire ? On ne peut pas le payer ?

— Mon Dieu ! J’avais l’intention de lui donner une épingle de cravate. Il doit les aimer, car il en a déjà deux ou trois fort jolies…

— Oh ! Comme vous m’embarrassez. La même idée m’était venue. Alors je lui donnerai une bague.

Et on complotait des surprises pour lui plaire, des cadeaux ingénieux pour le toucher, des gentillesses pour le séduire.

Il était devenu le « bruit du jour », le grand sujet de conversation, le seul objet de l’attention publique, quand se répandit la nouvelle que le comte Gontran de Ravenel faisait la cour à Charlotte Oriol, pour l’épouser. Et ce fut aussitôt dans Enval une assourdissante rumeur.

Depuis le soir où il avait ouvert avec elle le bal d’inauguration du Casino, Gontran s’était attaché à la robe de la jeune fille. Il avait pour elle, en public, tous les menus soins des hommes qui veulent plaire sans cacher leurs vues ; et leurs relations ordinaires prenaient en même temps un caractère de galanterie enjouée et naturelle qui devait les conduire au sentiment.

Ils se voyaient presque chaque jour, car les fillettes s’étaient prises pour Christiane d’une excessive amitié, où entrait sans doute beaucoup de vanité flattée. Gontran, tout à coup, ne quitta plus sa sœur ; et il se mit à organiser des parties pour le matin et des jeux pour le soir, dont s’étonnèrent beaucoup Christiane et Paul. Puis on s’aperçut qu’il s’occupait de Charlotte ; il la taquinait avec gaîté, la complimentait sans en avoir l’air, lui montrait ces mille attentions légères qui nouent entre deux êtres des liens de tendresse. La jeune fille, accoutumée déjà aux manières libres et familières de ce gamin du monde parisien, ne remarqua rien d’abord, et se laissant aller à sa nature confiante et droite, elle se mit à rire et à jouer avec lui, comme elle eût fait avec un frère.

Or, elle rentrait avec sa sœur aînée, après une soirée à l’hôtel, où Gontran, plusieurs fois, avait essayé de l’embrasser à la suite de gages donnés dans une partie de pigeon vole, quand Louise, qui semblait soucieuse et nerveuse depuis quelque temps, lui dit, d’un ton brusque :

— Tu ferais bien de veiller un peu à ta tenue. M. Gontran n’est pas convenable avec toi.

— Pas convenable ? Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Tu le sais bien, ne fais pas la niaise. Il ne faudrait pas longtemps pour te laisser compromettre, de cette façon-là ! Et si tu ne sais pas veiller sur ta conduite, c’est à moi d’y faire attention.