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Charlotte, confuse, honteuse, balbutia :

— Mais je ne sais pas… je t’assure… je n’ai rien vu…

Sa sœur reprit avec sévérité :

— Écoute, il ne faut pas que ça continue ainsi ! S’il veut t’épouser, c’est à papa de réfléchir et de répondre ; mais s’il veut seulement plaisanter, il faut qu’il cesse tout de suite.

Alors, brusquement, Charlotte se fâcha, sans savoir pourquoi, sans savoir de quoi. Elle était révoltée maintenant que sa sœur se mêlât de la diriger et de la réprimander ; et elle lui déclara, la voix tremblante et les larmes aux yeux, qu’elle eût à ne jamais s’occuper de ce qui ne la regardait pas. Elle bégayait, exaspérée, prévenue par un instinct vague et sûr de la jalousie éveillée dans le cœur aigri de Louise.

Elles se quittèrent sans s’embrasser et Charlotte pleura dans son lit en pensant à des choses qu’elle n’avait jamais prévues ni devinées.

Peu à peu ses larmes s’arrêtèrent et elle réfléchit.

C’était vrai pourtant que les manières de Gontran étaient changées. Elle l’avait senti jusqu’ici sans le comprendre. Elle le comprenait à présent. Il lui disait, à tout propos, des choses gentilles, délicates. Il lui avait baisé la main, une fois. Que voulait-il ? Elle lui plaisait, mais jusqu’à quel point ? Est-ce que, par hasard, il se pourrait qu’il l’épousât ? Et aussitôt il lui sembla entendre, dans l’air, quelque part, dans la nuit vide où commençaient à voltiger ses rêves, une voix qui criait : « Comtesse de Ravenel ».

L’émotion fut si forte qu’elle s’assit dans son lit ; puis elle chercha, avec ses pieds nus, ses pantoufles sous la chaise où elle avait jeté ses robes et elle alla ouvrir la fenêtre, sans savoir ce qu’elle faisait, pour donner de l’espace à ses espérances.

Elle entendit qu’on parlait dans la salle du bas, et la voix de Colosse s’éleva :

— Laiche, laiche. Y chera temps de voir. Le païré arrangera cha. Y a pas de mal jusqu’ici. Ch’est le païré qui fera la chose.

Elle voyait sur la maison d’en face le carré blanc de la fenêtre éclairée au-dessous d’elle. Elle se demandait : « Qui donc est là ? De quoi parlent-ils ? » Une ombre passa sur le mur lumineux. C’était sa sœur ! Elle n’était donc pas couchée. Pourquoi ? Mais la lumière s’éteignit, et Charlotte se remit à songer aux choses nouvelles qui remuaient dans son cœur.

Elle ne pouvait pas s’endormir maintenant. L’aimait-il ? Oh, non ! Pas encore ! Mais il pouvait l’aimer puisqu’elle lui plaisait ! Et s’il arrivait à l’aimer beaucoup, éperdument, comme on aime dans le monde, il l’épouserait sans aucun doute.

Née dans une maison de vignerons, elle avait gardé, bien qu’élevée dans le couvent des demoiselles de Clermont, une modestie et une humilité de paysanne. Elle pensait qu’elle aurait pour mari un notaire peut-être ou un avocat, ou un médecin ; mais l’envie de devenir une vraie dame du grand monde, avec un titre de noblesse devant son nom, ne l’avait jamais pénétrée. À peine en achevant un roman d’amour avait-elle rêvassé quelques minutes sous l’effleurement de ce joli désir, qui s’était aussitôt envolé de son âme, comme s’envolent les chimères. Or, voilà que cette chose imprévue, impossible, évoquée tout à coup par quelques paroles de sa sœur, lui semblait se rapprocher d’elle, à la façon d’une voile de navire que pousse le vent.

Elle murmurait entre ses lèvres, avec chaque souffle en respirant :

— Comtesse de Ravenel.

Et le noir de ses paupières fermées dans la nuit s’éclairait de visions. Elle voyait de beaux salons illuminés, de belles dames qui lui souriaient, de belles voitures qui l’attendaient devant le perron d’un château, et de grands domestiques en livrée inclinés sur son passage.

Elle avait chaud dans son lit ; son cœur battait ! Elle se releva une seconde fois pour boire un verre d’eau, et rester debout quelques instants, nu-pieds, sur le pavé froid de sa chambre.

Puis, un peu calmée, elle finit par s’endormir. Mais elle s’éveilla dès l’aurore, tant l’agitation de son esprit avait passé dans ses veines.

Elle eut honte de sa petite chambre aux murs blancs, peints à l’eau par le vitrier du pays, de ses pauvres rideaux d’indienne, et des deux chaises de paille qui ne quittaient jamais leur place aux deux coins de sa commode.

Elle se sentait paysanne, au milieu de ces meubles de rustres qui disaient son origine, elle se sentait humble, indigne de ce beau garçon moqueur dont la figure blonde et rieuse flottait devant ses yeux, s’effaçait puis revenait, s’emparait d’elle peu à peu, se logeait déjà dans son cœur.

Alors elle sauta du lit et courut chercher sa glace, sa petite glace de toilette, grande comme le fond d’une assiette ; puis elle revint se coucher, son miroir entre les mains ; et elle regarda son visage au milieu de ses cheveux défaits, sur le fond blanc de l’oreiller.

Parfois elle posait sur ses draps le léger morceau de verre qui lui montrait son image, et elle songeait combien ce mariage serait difficile, tant étaient grandes les distances entre eux. Alors un gros chagrin lui serrait la gorge. Mais aussitôt elle se regardait de nouveau en se souriant pour se plaire, et comme elle se jugeait gentille les difficultés disparaissaient.

Quand elle descendit pour déjeuner, sa sœur, qui avait l’air irrité, lui demanda :

— Qu’est-ce que tu comptes faire aujourd’hui ?

Charlotte répondit sans hésiter :

— Est-ce que nous n’allons pas en voiture à Royat avec Mme Andermatt ?

Louise reprit :

— Tu iras seule, alors, mais tu ferais mieux, après ce que je t’ai dit hier soir…

La petite lui coupa la parole :

— Je ne te demande pas de conseils… mêle-toi de ce qui te regarde.

Et elles ne se parlèrent plus.

Le père Oriol et Jacques arrivèrent et se mirent à table. Le vieux demanda presque aussitôt :

— Qué-che que vous faites aujourd’hui, petites ?

Charlotte n’attendit point que sa sœur répondît :

— Moi, je vais à Royat avec Mme Andermatt.

Les deux hommes la regardèrent d’un air satisfait, et le père murmura avec ce sourire engageant qu’il avait en traitant les affaires avantageuses :

— Ch’est bon, ch’est bon.

Elle fut plus surprise de ce contentement secret, deviné dans toute leur allure, que de la colère visible de Louise ; et elle se demanda, un peu troublée : « Est-ce qu’ils auraient causé de ça tous ensemble ? »

Aussitôt le repas fini elle remonta dans sa chambre, mit son chapeau, prit son ombrelle, jeta sur son bras un manteau léger, et elle s’en alla vers l’hôtel, car on devait partir dès une heure et demie.

Christiane s’étonna que Louise ne vînt point.

Charlotte se sentit rougir en répondant :

— Elle est un peu fatiguée, je crois qu’elle a mal à la tête.

Et on monta dans le landau, dans le grand landau à six places dont on se servait toujours. Le marquis et sa fille tenaient le fond, la petite Oriol se trouva donc assise entre les deux jeunes gens, à reculons.

On passa devant Tournoël, puis on suivit le pied de la montagne sur une belle route serpentant sous les noyers et les châtaigniers. Charlotte, plusieurs fois, remarqua que Gontran se serrait contre elle, mais avec trop de prudence pour qu’elle pût s’en offenser. Comme il était assis à sa droite, il lui parlait tout près de la joue ; et elle n’osait pas se retourner pour lui répondre, par crainte du souffle de sa bouche qu’elle sentait déjà sur ses lèvres, et par crainte aussi de ses yeux dont le regard l’aurait gênée.

Il lui disait des gamineries galantes, des niaiseries drôles, des compliments plaisants et gentils.