Elle en souffrait d’autant plus que, malade, alourdie chaque jour davantage, travaillée par toutes les misères des femmes grosses, elle avait plus besoin que jamais d’être consolée, dorlotée, enveloppée d’affection. Elle l’aimait avec cet abandon complet du corps, de l’âme, de son être entier, qui fait de l’amour, quelquefois, un sacrifice sans réserves et sans limites. Elle ne se croyait plus sa maîtresse, mais sa femme, sa compagne, sa dévouée, sa fidèle, son esclave prosternée, sa chose. Pour elle, il ne s’agissait plus entre eux de galanterie, de coquetterie, de désir de plaire toujours, de frais de grâce à faire encore, puisqu’elle lui appartenait complètement, puisqu’ils étaient liés par cette chaîne si douce et si puissante : l’enfant qui naîtrait bientôt. Dès qu’ils furent seuls dans la fenêtre, elle recommença sa tendre lamentation :
— Paul, mon cher Paul, dis, m’aimes-tu toujours autant ?
— Mais oui ! Voyons, tu me répètes cela tous les jours, ça finit par être monotone.
— Pardonne-moi ! C’est que je ne puis plus le croire, et j’ai besoin que tu me rassures, j’ai besoin de t’entendre me le dire sans cesse, ce mot si bon ; et comme tu ne me le répètes plus si souvent qu’autrefois, je suis obligée de le demander, de l’implorer, de le mendier.
— Eh bien oui, je t’aime ! Mais parlons d’autre chose, je t’en supplie !
— Oh ! Que tu es dur !
— Mais non, je ne suis pas dur. Seulement… seulement, tu ne comprends pas… tu ne comprends pas que…
— Oh oui ! Je comprends bien que tu ne m’aimes plus. Si tu savais comme je souffre !
— Voyons, Christiane, je t’en conjure, ne me rends pas nerveux. Si tu savais, toi, comme c’est maladroit ce que tu fais là.
— Oh ! Si tu m’aimais, tu ne parlerais pas ainsi.
— Mais, sacrebleu, si je ne t’aimais plus je ne serais point venu.
— Écoute. Tu m’appartiens, maintenant, tu es à moi, et je suis à toi. Il y a entre nous cette attache d’une vie naissante que rien ne brise ; mais promets-moi que si tu ne m’aimais plus, un jour, plus tard, tu me le dirais ?
— Oui, je te le promets.
— Tu me le jures ?
— Je te le jure.
— Mais alors, tout de même, nous resterions amis, n’est-ce pas ?
— Certainement, que nous resterions amis.
— Le jour où tu ne m’aimeras plus d’amour, tu viendras me trouver, et tu me diras : “Ma petite Christiane, je t’aime bien, mais ce n’est plus la même chose. Soyons amis, là, rien qu’amis.”
— C’est entendu, je te le promets.
— Tu me le jures ?
— Je te le jure.
— N’importe, j’aurai bien du chagrin ! Comme tu m’adorais l’an dernier !
Une voix criait derrière eux :
— Madame la duchesse de Ramas-Aldavarra !
Elle venait en voisine, car Christiane recevait, tous les soirs, les principaux baigneurs, comme reçoivent les princes en leurs royaumes.
Le Docteur Mazelli suivait la belle Espagnole avec des airs souriants et soumis. Les deux femmes se serrèrent la main, s’assirent et se mirent à causer.
Andermatt appelait Paul :
— Mon cher ami, venez donc, Mont-Oriol fait les cartes admirablement, elle m’a dit des choses surprenantes.
Il le prit par le bras et ajouta :
— Quel drôle d’être vous êtes, vous ! À Paris, nous ne vous voyons jamais, pas une fois par mois, malgré les instances de ma femme. Ici, il a fallu quinze lettres pour vous faire venir. Et depuis que vous êtes arrivé on dirait que vous perdez un million par jour, tant vous avez une tête désolée. Allons, cachez-vous une affaire qui vous chiffonne ? On pourrait peut-être vous aider ? Il faut nous le dire.
— Rien du tout, mon cher. Si je ne viens pas plus souvent vous voir, à Paris… C’est qu’à Paris, vous comprenez ?…
— Parfaitement… je saisis. Mais ici, au moins, il faut être en train. Je vous prépare deux ou trois fêtes qui seront, je crois, très réussies.
On annonçait :
— Madame Barre et Monsieur le professeur Cloche.
Il entra avec sa fille, une jeune veuve, rousse et hardie. Puis, presque aussitôt le même valet cria :
— Monsieur le professeur Mas-Roussel.
Sa femme l’accompagnait, pâle, mûre, avec des bandeaux plats sur les tempes.
Le professeur Rémusot était parti la veille, après avoir acheté son chalet à des conditions exceptionnellement favorables, disait-on.
Les deux autres médecins auraient bien voulu connaître ces conditions, mais Andermatt répondait seulement :
— Oh, nous avons pris de petits arrangements avantageux pour tout le monde. Si vous désiriez l’imiter, on verrait à s’entendre, on verrait… Quand vous serez décidé vous me préviendrez et alors nous causerons.
Le Docteur Latonne apparut à son tour, puis le Docteur Honorat, sans son épouse qu’il ne sortait pas.
Un bruit de voix maintenant emplissait le salon, une rumeur de causerie. Gontran ne quittait plus Louise Oriol, lui parlait sur l’épaule, et de temps en temps disait en riant à quiconque passait près de lui :
— C’est une ennemie dont je fais la conquête.
Mazelli s’était assis auprès de la fille du professeur Cloche. Depuis quelques jours il la suivait sans cesse ; et elle recevait ses avances avec une audace provocante.
La duchesse ne le perdait point de vue, semblait irritée et frémissante. Tout à coup, elle se leva, traversa le salon, et rompant le tête-à-tête de son médecin avec la jolie rousse :
— Dites donc, Mazelli, nous allons rentrer. Je me sens un peu mal à l’aise.
Dès qu’ils furent sortis, Christiane, qui s’était rapprochée de Paul, lui dit :
— Pauvre femme ! Elle doit tant souffrir !
Il demanda avec étourderie :
— Qui donc ?
— La duchesse ! Vous ne voyez pas comme elle est jalouse.
Il répondit brusquement :
— Si vous vous mettez à gémir sur tous les crampons, maintenant, vous n’êtes pas au bout de vos larmes.
Elle se détourna, prête à pleurer vraiment, tant elle le trouvait cruel, et, s’asseyant auprès de Charlotte Oriol qui demeurait seule, surprise, ne comprenant plus ce que faisait Gontran, elle lui dit sans que la fillette pénétrât le sens de ses paroles :
— Il y a des jours où l’on voudrait être mort.
Andermatt, au milieu des médecins, racontait le cas extraordinaire du père Clovis dont les jambes recommençaient à vivre. Il paraissait si convaincu que personne n’eût pu douter de sa bonne foi.
Depuis qu’il avait pénétré la ruse des paysans et du paralytique, compris qu’il s’était laissé duper et convaincre, l’année d’avant, par l’envie seule dont il était mordu de croire à l’efficacité des eaux, depuis surtout qu’il n’avait pu se débarrasser, sans payer, des plaintes redoutables du vieux, il en avait fait une réclame puissante et il en jouait à merveille.
Mazelli venait de rentrer, libre, après avoir reconduit sa cliente au logis.
Gontran le prit par le bras :
— Dites donc, beau Docteur, un conseil ? Laquelle préférez-vous des petites Oriol ?