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Il étendit la main vers elle, par un geste inconsidéré, ainsi qu’on fait pour flatter, pour calmer les enfants, et la posa sur la taille, près de l’épaule, par-derrière. Alors il sentit battre le cœur à coups pressés, comme on sent le petit cœur d’un oiseau qu’on a pris.

Et ce battement continu, précipité, montait le long de son bras, vers son cœur à lui dont le mouvement s’accélérait. Il le sentait ce toc-toc rapide, venant d’elle et l’envahissant par sa chair, ses muscles et ses nerfs, ne leur faisant plus qu’un cœur souffrant de la même souffrance, agité de la même palpitation, vivant de la même vie, comme ces horloges qu’un fil unit de loin et fait marcher ensemble seconde par seconde. Mais elle découvrit brusquement son visage rougi, joli toujours, l’essuya vivement et dit :

— Allons, je n’aurais pas dû vous parler de ça. Je suis folle. Retournons bien vite auprès de Mme Honorat, et oubliez… Vous me le promettez ?

— Je vous le promets.

Elle lui tendit la main.

— J’ai confiance. Je vous crois très honnête, vous !

Ils revinrent. Il la souleva pour traverser le ruisseau, comme il soulevait Christiane, l’année d’avant. Christiane ! Que de fois il était venu avec elle par ce chemin aux jours où il l’adorait. Il pensa, s’étonnant de son changement :

— Comme ça a peu duré cette passion-là !

Charlotte, posant un doigt sur son bras, murmurait :

— Mme Honorat s’est endormie, asseyons-nous sans faire de bruit.

Mme Honorat dormait en effet, adossée au pin, son mouchoir sur la figure et les mains croisées sur son ventre. Ils s’assirent à quelques pas d’elle, et ne parlèrent point afin de ne pas l’éveiller.

Alors le silence du bois fut si profond qu’il devenait pour eux pénible comme une souffrance. On n’entendait rien que l’eau courant dans les pierres, un peu plus bas, puis, ces imperceptibles frissons de bêtes menues qui passent, ces rumeurs insaisissables de mouches qui volent ou de gros insectes noirs faisant basculer des feuilles mortes.

Où étaient donc Louise et Gontran ? Que faisaient-ils ? Tout à coup on les entendit, très loin ; ils revenaient. Mme Honorat se réveilla et fut surprise :

— Tiens, vous êtes ici ! Je ne vous ai pas sentis approcher !.. Et les autres, vous les avez trouvés ?

Paul répondit :

— Les voici. Ils arrivent.

On reconnaissait les rires de Gontran. Ce rire soulagea Charlotte d’un poids accablant qui pesait sur son esprit. Elle n’eût pas su dire pourquoi.

On les aperçut bientôt. Gontran courait presque, entraînant par le bras la jeune fille toute rouge. Et, avant même d’être arrivé, tant il avait hâte de conter son histoire :

— Vous ne savez pas qui nous avons surpris ?… Je vous le donne en mille… Le beau Docteur Mazelli avec la fille de l’illustre professeur Cloche, comme dirait Will, la jolie veuve aux cheveux roux… Oh ! Mais là… surpris… vous entendez… surpris… Il l’embrassait, le gredin… Oh ! Mais !.. Oh ! Mais !..

Mme Honorat, devant cette gaîté immodérée, eut un mouvement de dignité :

— Oh ! Monsieur le Comte… pensez à ces demoiselles !..

Gontran s’inclina profondément.

— Vous avez tout à fait raison, chère Madame, de me rappeler aux convenances. Toutes vos inspirations sont excellentes.

Puis, afin de ne pas rentrer ensemble, les deux jeunes gens saluèrent les dames et revinrent à travers bois.

— Eh bien ? demanda Paul.

— Eh bien, je lui ai déclaré que je l’adorais et que je serais enchanté de l’épouser.

— Et elle a dit ?

— Elle a dit avec une prudence très gentille :

— Cela regarde mon père. C’est à lui que je répondrai.

— Alors tu vas ?

— Charger tout de suite mon ambassadeur Andermatt de la demande officielle. Et si le vieux rustre fait quelque mine, je compromets la fille par un éclat.

Et comme Andermatt causait encore avec le Docteur Latonne sur la terrasse du Casino, Gontran les sépara et mit aussitôt son beau-frère au fait de la situation.

Paul s’en alla sur la route de Riom. Il avait besoin d’être seul, tant il se sentait envahi par cette agitation de toute la pensée et de tout le corps que jette en nous chaque rencontre d’une femme qu’on est sur le point d’aimer.

Depuis quelque temps déjà il subissait, sans s’en rendre compte, le charme pénétrant et frais de cette fillette abandonnée. Il la devinait si gentille, si bonne, si simple, si droite, si naïve, qu’il avait été d’abord ému de compassion, de cette compassion attendrie que nous inspire toujours le chagrin des femmes. Puis, la voyant souvent, il avait laissé germer dans son cœur cette graine, cette petite graine de tendresse qu’elles sèment en nous si vite, et qui pousse si grande. Et maintenant, depuis une heure surtout, il commençait à se sentir possédé, à sentir en lui cette présence constante de l’absente qui est le premier signe de l’amour.

Il allait sur la route, hanté par le souvenir de son regard, par le son de sa voix, par le pli de son sourire ou celui de ses larmes, par l’allure de sa démarche, même par la couleur et le frisson de sa robe.

Et il se disait : « Je crois que je suis pincé. Je me connais. C’est embêtant, cela ! Je ferais peut-être mieux de retourner à Paris. Sacrebleu, c’est une jeune fille. Je ne peux pourtant pas en faire ma maîtresse. »

Puis, il se mettait à songer à elle, ainsi qu’il songeait à Christiane l’année d’avant. Comme elle était aussi, celle-là, différente de toutes les femmes qu’il avait connues, nées et grandies à la ville, différente même des jeunes filles instruites dès l’enfance par la coquetterie maternelle ou par la coquetterie qui passe dans la rue. Elle n’avait rien du factice de la femme préparée pour la séduction, rien d’appris dans les paroles, rien de convenu dans le geste, rien de faux dans le regard.

Non seulement c’était un être neuf et pur, mais il sortait d’une race primitive, c’était une vraie fille de la terre au moment où elle allait devenir une femme des cités.

Et il s’exaltait, plaidant pour elle contre cette vague résistance qu’il sentait encore en lui. Des figures de romans poétiques lui passaient devant les yeux, des créations de Walter Scott, de Dickens ou de George Sand qui excitaient davantage son imagination toujours fouettée par les femmes.

Gontran le jugeait ainsi : « Paul ! C’est un cheval emballé avec un amour sur le dos. Quand il en jette un par terre, un autre lui saute dessus. »

Mais Brétigny s’aperçut que le soir venait. Il avait marché longtemps. Il rentra.

En passant devant les nouveaux bains, il vit Andermatt et les deux Oriol, arpentant les vignes et les mesurant ; et il comprit à leurs gestes qu’ils discutaient avec agitation.

Une heure plus tard, Will, entrant dans le salon où la famille entière était réunie, dit au marquis :

— Mon cher beau-père, je vous annonce que votre fils Gontran va épouser, dans six semaines ou deux mois, Mademoiselle Louise Oriol.

M. de Ravenel fut effaré :

— Gontran ? Vous dites ?

— Je dis qu’il épousera, dans six semaines ou deux mois, avec votre consentement, Mademoiselle Louise Oriol, qui sera fort riche.

Alors le marquis dit simplement :

— Mon Dieu, si cela lui plaît, je veux bien, moi.

Et le banquier raconta sa démarche auprès du vieux paysan.

Aussitôt prévenu par le comte que la jeune fille consentirait, il voulut enlever, séance tenante, l’assentiment du vigneron sans lui laisser le temps de préparer ses ruses.