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Il se sentait agité, mais content, content de quoi ? De tout.

L’air lui semblait pur, la vie bonne, ce jour-là. Il se sentait de nouveau dans le corps des légèretés de petit garçon, des envies de courir et d’attraper avec ses mains les papillons jaunes qui sautillaient sur la pelouse comme s’ils eussent été suspendus au bout de fils élastiques. Il chantonnait des airs d’opéra. Plusieurs fois de suite, il répéta la phrase célèbre de Gounod : « Laisse-moi contempler ton visage », y découvrant une expression profondément tendre qu’il n’avait jamais sentie ainsi.

Soudain, il se demanda comment il se pouvait faire qu’il fût devenu si vite si différent de lui-même. Hier, à Paris, mécontent de tout, dégoûté, irrité, aujourd’hui calme, satisfait de tout, on eût dit qu’un dieu complaisant avait changé son âme. « Ce bon dieu-là, pensa-t-il, aurait bien dû me changer de corps en même temps, et me rajeunir un peu. » Tout à coup, il aperçut Julio qui chassait dans un fourré. Il l’appela, et quand le chien fut venu placer sous la main sa tête fine coiffée de longues oreilles frisottées, il s’assit dans l’herbe pour le mieux flatter, lui dit des gentillesses, le coucha sur ses genoux, et s’attendrissant à le caresser, l’embrassa comme font les femmes dont le cœur s’émeut à toute occasion.

Après le dîner, au lieu de sortir comme la veille, ils passèrent la soirée au salon, en famille.

La comtesse dit tout à coup :

« Il va pourtant falloir que nous partions ! »

Olivier s’écria :

« Oh, ne parlez pas encore de ça ! Vous ne vouliez pas quitter Roncières quand je n’y étais pas. J’arrive, et vous ne pensez plus qu’à filer.

— Mais, mon cher ami, dit-elle, nous ne pouvons pourtant demeurer ici indéfiniment tous les trois.

— Il ne s’agit point d’indéfiniment, mais de quelques jours. Combien de fois suis-je resté chez vous des semaines entières ?

— Oui, mais en d’autres circonstances, alors que la maison était ouverte à tout le monde. »

Alors Annette, d’une voix câline :

« Oh, maman ! Quelques jours encore, deux ou trois. Il m’apprend si bien à jouer au tennis. Je me fâche quand je perds, et puis après je suis si contente d’avoir fait des progrès ! »

Le matin même, la comtesse projetait de faire durer jusqu’au dimanche ce séjour mystérieux de l’ami, et maintenant elle voulait partir, sans savoir pourquoi. Cette journée qu’elle avait espérée si bonne, lui laissait à l’âme une tristesse inexprimable et pénétrante, une appréhension sans cause, tenace et confuse comme un pressentiment.

Quand elle se retrouva seule dans sa chambre, elle chercha même d’où lui venait ce nouvel accès mélancolique.

Avait-elle subi une de ces imperceptibles émotions dont l’effleurement a été si fugitif que la raison ne s’en souvient point, mais dont la vibration demeure aux cordes du cœur les plus sensibles ? — Peut-être. Laquelle ? Elle se rappela bien quelques inavouables contrariétés dans les mille nuances de sentiment par lesquelles elle avait passé, chaque minute apportant la sienne ! Or, elles étaient vraiment trop menues pour lui laisser ce découragement. « Je suis exigeante, pensait-elle. Je n’ai pas le droit de me tourmenter ainsi. »

Elle ouvrit sa fenêtre, afin de respirer l’air de la nuit, et elle y demeura accoudée, les yeux sur la lune.

Un bruit léger lui fit baisser la tête. Olivier se promenait devant le château. »Pourquoi a-t-il dit qu’il rentrait chez lui, pensa-t-elle ; pourquoi ne m’a-t-il pas prévenue qu’il ressortait ? Ne m’a-t-il pas demandé de venir avec lui ? Il sait bien que cela m’aurait rendue si heureuse. À quoi songe-t-il donc ? »

Cette idée qu’il n’avait pas voulu d’elle pour cette promenade, qu’il avait préféré s’en aller seul par cette belle nuit, seul, un cigare à la bouche, car elle voyait le point rouge du feu, seul, quand il aurait pu lui donner cette joie de l’emmener. Cette idée qu’il n’avait pas sans cesse besoin d’elle, sans cesse envie d’elle, lui jeta dans l’âme un nouveau ferment d’amertume.

Elle allait fermer sa fenêtre pour ne plus le voir, pour n’être plus tentée de l’appeler, quand il leva les yeux et l’aperçut. Il cria :

« Tiens, vous rêvez aux étoiles, comtesse ? »

Elle répondit :

« Oui, vous aussi, à ce que je vois ?

— Oh ! Moi, je fume tout simplement. »

Elle ne put résister au désir de demander :

« Comment ne m’avez-vous pas prévenue que vous sortiez ?

— Je voulais seulement griller un cigare. Je rentre, d’ailleurs.

— Alors bonsoir, mon ami.

— Bonsoir, comtesse. »

Elle recula jusqu’à sa chaise basse, s’y assit, et pleura ; et la femme de chambre, appelée pour la mettre au lit, voyant ses yeux rouges, lui dit avec compassion :

« Ah ! Madame va encore se faire une vilaine figure pour demain. »

La comtesse dormit mal, fiévreuse, agitée par des cauchemars. Dès son réveil, avant de sonner, elle ouvrit elle-même sa fenêtre et ses rideaux pour se regarder dans la glace. Elle avait les traits tirés, les paupières gonflées, le teint jaune ; et le chagrin qu’elle en éprouva fut si violent, qu’elle eut envie de se dire malade, de garder le lit et de ne se pas montrer jusqu’au soir.

Puis, soudain, le besoin de partir entra en elle, irrésistible, de partir tout de suite, par le premier train, de quitter ce pays clair où l’on voyait trop, dans le grand jour des champs, les ineffaçables fatigues du chagrin et de la vie. À Paris, on vit dans la demi-ombre des appartements, où les rideaux lourds, même en plein midi, ne laissent entrer qu’une lumière douce. Elle y redeviendrait elle-même, belle, avec la pâleur qu’il faut dans cette lueur éteinte et discrète. Alors le visage d’Annette lui passa devant les yeux, rouge, un peu dépeigné, si frais, quand elle jouait au lawn-tennis. Elle comprit l’inquiétude inconnue dont avait souffert son âme. Elle n’était point jalouse de la beauté de sa fille ! Non, certes, mais elle sentait, elle s’avouait pour la première fois qu’il ne fallait plus jamais se montrer près d’elle, en plein soleil.

Elle sonna, et, avant de boire son thé, elle donna des ordres pour le départ, écrivit des dépêches, commanda même par le télégraphe son dîner du soir, arrêta ses comptes de campagne, distribua ses instructions dernières, régla tout en moins d’une heure, en proie à une impatience fébrile et grandissante.

Quand elle descendit, Annette et Olivier, prévenus de cette décision, l’interrogèrent avec surprise. Puis, voyant qu’elle ne donnait, pour ce brusque départ, aucune raison précise, ils grognèrent un peu et montrèrent leur mécontentement jusqu’à l’instant de se séparer dans la cour de la gare, à Paris.

La comtesse, tendant la main au peintre, lui demanda :

« Voulez-vous venir dîner demain ? »

Il répondit, un peu boudeur :

« Certainement, je viendrai. C’est égal, ce n’est pas gentil, ce que vous avez fait. Nous étions si bien, là-bas, tous les trois ! »

III

Dès que la comtesse fut seule avec sa fille dans son coupé qui la ramenait à l’hôtel, elle se sentit soudain tranquille, apaisée comme si elle venait de traverser une crise redoutable. Elle respirait mieux, souriait aux maisons, reconnaissait avec joie toute cette ville, dont les vrais Parisiens semblent porter les détails familiers dans leurs yeux et dans leur cœur. Chaque boutique aperçue lui faisait prévoir les suivantes alignées le long du boulevard, et deviner la figure du marchand si souvent entrevue derrière sa vitrine. Elle se sentait sauvée ! De quoi ? Rassurée ! Pourquoi ? Confiante ! À quel sujet ?