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Olivier répondit sèchement :

« Non, merci. Votre Chambre ne me tente pas. »

Annette alors s’approcha de lui, et prenant son air enjoué :

« Oh ! Venez donc, cher maître. Je suis sûre que vous nous amuserez beaucoup plus que les députés.

— Non, vraiment. Vous vous amuserez bien sans moi. »

Le devinant mécontent et chagrin, elle insista, pour se montrer gentille.

« Si, venez, Monsieur le peintre. Je vous assure que, moi, je ne peux pas me passer de vous. »

Quelques mots lui échappèrent si vivement qu’il ne put ni les arrêter dans sa bouche ni modifier leur accent.

« Bah ! Vous vous passez de moi comme tout le monde. »

Elle s’exclama, un peu surprise du ton :

« Allons, bon ! Voilà qu’il recommence à ne plus me tutoyer. »

Il eut sur les lèvres un de ces sourires crispés qui montrent tout le mal d’une âme et avec un petit salut :

« Il faudra bien que j’en prenne l’habitude, un jour ou l’autre.

— Pourquoi ça ?

— Parce que vous vous marierez et que votre mari, quel qu’il soit, aurait le droit de trouver déplacé ce tutoiement dans ma bouche. »

La comtesse s’empressa de dire :

« Il sera temps alors d’y songer. Mais j’espère qu’Annette n’épousera pas un homme assez susceptible pour se formaliser de cette familiarité de vieil ami. »

Le comte criait :

« Allons, allons, en route ! Nous allons nous mettre en retard ! »

Et ceux qui devaient l’accompagner, s’étant levés, sortirent avec lui après les poignées de main d’usage et les baisers que la duchesse, la comtesse et sa fille échangeaient à toute rencontre comme à toute séparation.

Ils restèrent seuls, Elle et Lui, debout derrière les tentures de la porte refermée.

« Asseyez-vous, mon ami », dit-elle doucement.

Mais lui, presque violent :

« Non, merci, je m’en vais aussi. »

Elle murmura, suppliante :

« Oh ! Pourquoi ?

— Parce que ce n’est pas mon heure, paraît-il. Je vous demande pardon d’être venu sans prévenir.

— Olivier, qu’avez-vous ?

— Rien. Je regrette seulement d’avoir troublé une partie de plaisir organisée. »

Elle lui saisit la main.

« Que voulez-vous dire ? C’était le moment de leur départ puisqu’ils assistent à l’ouverture de la session. Moi, je restais. Vous avez été, au contraire, tout à fait inspiré en venant aujourd’hui où je suis seule. »

Il ricana.

« Inspiré, oui, j’ai été inspiré ! »

Elle lui prit les deux poignets, et, le regardant au fond des yeux, elle murmura à voix très basse :

« Avouez-moi que vous l’aimez ? »

Il dégagea ses mains, ne pouvant plus maîtriser son impatience.

« Mais vous êtes folle avec cette idée ! »

Elle le ressaisit par les bras, et, les doigts crispés sur ses manches, le suppliant :

« Olivier ! Avouez ! Avouez ! J’aime mieux savoir, j’en suis certaine, mais j’aime mieux savoir ! J’aime mieux !.. Oh ! Vous ne comprenez pas ce qu’est devenue ma vie ! »

Il haussa les épaules.

« Que voulez-vous que j’y fasse ? Est-ce ma faute si vous perdez la tête ? »

Elle le tenait, l’attirant vers l’autre salon, celui du fond, où on ne les entendrait pas. Elle le traînait par l’étoffe de sa jaquette, cramponnée à lui, haletante. Quand elle l’eut amené jusqu’au petit divan rond, elle le força à s’y laisser tomber, et puis s’assit auprès de lui.

« Olivier, mon ami, mon seul ami, je vous en prie, dites-moi que vous l’aimez. Je le sais, je le sens à tout ce que vous faites, je n’en puis douter, j’en meurs, mais je veux le savoir de votre bouche ! »

Comme il se débattait encore, elle s’affaissa à genoux contre ses pieds. Sa voix râlait.

« Oh ! Mon ami, mon ami, mon seul ami, est-ce vrai que vous l’aimez ? »

Il s’écria, en essayant de la relever :

« Mais non, mais non ! Je vous jure que non ! »

Elle tendit la main vers sa bouche et la colla dessus pour la fermer, balbutiant :

« Oh ! Ne mentez pas. Je souffre trop ! »

Puis laissant tomber sa tête sur les genoux de cet homme, elle sanglota.

Il ne voyait plus que sa nuque, un gros tas de cheveux blonds où se mêlaient beaucoup de cheveux blancs, et il fut traversé par une immense pitié, par une immense douleur.

Saisissant à pleins doigts cette lourde chevelure, il la redressa violemment, relevant vers lui deux yeux éperdus dont les larmes ruisselaient. Et puis sur ces yeux pleins d’eau, il jeta ses lèvres coup sur coup en répétant :

« Any ! Any ! Ma chère, ma chère Any ! »

Alors, elle, essayant de sourire, et parlant avec cette voix hésitante des enfants que le chagrin suffoque :

« Oh ! Mon ami, dites-moi seulement que vous m’aimez encore un peu, moi ? »

Il se remit à l’embrasser.

« Oui, je vous aime, ma chère Any ! »

Elle se releva, se rassit auprès de lui, reprit ses mains, le regarda, et tendrement :

« Voilà si longtemps que nous nous aimons. Ça ne devrait pas finir ainsi. »

Il demanda, en la serrant contre lui :

« Pourquoi cela finirait-il ?

— Parce que je suis vieille et qu’Annette ressemble trop à ce que j’étais quand vous m’avez connue ? »

Ce fut lui alors qui ferma du bout de sa main cette bouche douloureuse, en disant :

« Encore ! Je vous en prie, n’en parlez plus. Je vous jure que vous vous trompez ! »

Elle répéta :

« Pourvu que vous m’aimiez un peu seulement, moi ! »

Il redit :

« Oui, je vous aime ! »

Puis ils demeurèrent longtemps sans parler, les mains dans les mains, très émus et très tristes.

Enfin, elle interrompit ce silence en murmurant :

« Oh ! Les heures qui me restent à vivre ne seront pas gaies.

— Je m’efforcerai de vous les rendre douces. »

L’ombre de ces ciels nuageux qui précède de deux heures le crépuscule se répandait dans le salon, les ensevelissait peu à peu sous le gris brumeux des soirs d’automne.

La pendule sonna.

« Il y a déjà longtemps que nous sommes ici, dit-elle. Vous devriez vous en aller, car on pourrait venir, et nous ne sommes pas calmes ! »

Il se leva, l’étreignit, baisant comme autrefois sa bouche entrouverte, puis ils retraversèrent les deux salons en se tenant le bras, comme des époux.

« Adieu, mon ami.

— Adieu, mon amie. »

Et la portière retomba sur lui !

Il descendit l’escalier, tourna vers la Madeleine, se mit à marcher sans savoir ce qu’il faisait, étourdi comme après un coup, les jambes faibles, le cœur chaud et palpitant ainsi qu’une loque brûlante secouée en sa poitrine. Pendant deux heures, ou trois heures, ou peut-être quatre, il alla devant lui, dans une sorte d’hébétement moral et d’anéantissement physique qui lui laissaient tout juste la force de mettre un pied devant l’autre. Puis il rentra chez lui pour réfléchir.

Donc il aimait cette petite fille ! Il comprenait maintenant tout ce qu’il avait éprouvé près d’elle depuis la promenade au parc Monceau quand il retrouva dans sa bouche l’appel d’une voix à peine reconnue, de la voix qui jadis avait éveillé son cœur, puis tout ce recommencement lent, irrésistible, d’un amour mal éteint, pas encore refroidi, qu’il s’obstinait à ne point s’avouer.

Qu’allait-il faire ? Mais que pouvait-il faire ? Lorsqu’elle serait mariée, il éviterait de la voir souvent, voilà tout. En attendant, il continuerait à retourner dans la maison, afin qu’on ne se doutât de rien, et il cacherait son secret à tout le monde.