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Il savait d’ailleurs, par expérience, qu’elles éprouvaient pour lui, toutes, mondaines ou cabotines, un entraînement singulier, une sympathie instantanée, et il ressentait, de ne point connaître celles dont pourrait dépendre son avenir, une impatience de cheval entravé.

Bien souvent il avait songé à faire une visite à Mme Forestier ; mais la pensée de leur dernière rencontre l’arrêtait, l’humiliait, et il attendait, en outre, d’y être engagé par le mari. Alors le souvenir lui vint de Mme de Marelle et, se rappelant qu’elle l’avait prié de la venir voir, il se présenta chez elle un après-midi qu’il n’avait rien à faire.

« J’y suis toujours jusqu’à trois heures », avait-elle dit.

Il sonnait à sa porte à deux heures et demie.

Elle habitait rue de Verneuil, au quatrième.

Au bruit du timbre, une bonne vint ouvrir, une petite servante dépeignée qui nouait son bonnet en répondant :

« Oui, Madame est là, mais je ne sais pas si elle est levée. »

Et elle poussa la porte du salon qui n’était point fermée.

Duroy entra. La pièce était assez grande, peu meublée et d’aspect négligé. Les fauteuils, défraîchis et vieux, s’alignaient le long des murs, selon l’ordre établi par la domestique, car on ne sentait en rien le soin élégant d’une femme qui aime le chez soi. Quatre pauvres tableaux, représentant une barque sur un fleuve, un navire sur la mer, un moulin dans une plaine et un bûcheron dans un bois, pendaient au milieu des quatre panneaux, au bout de cordons inégaux, et tous les quatre accrochés de travers. On devinait que depuis longtemps ils restaient penchés ainsi sous l’œil négligent d’une indifférente.

Duroy s’assit et attendit. Il attendit longtemps. Puis une porte s’ouvrit, et Mme de Marelle entra en courant, vêtue d’un peignoir japonais en soie rose où étaient brodés des paysages d’or, des fleurs bleues et des oiseaux blancs, et elle s’écria :

« Figurez-vous que j’étais encore couchée. Que c’est gentil à vous de venir me voir ! J’étais persuadée que vous m’aviez oubliée. »

Elle tendit ses deux mains d’un geste ravi, et Duroy, que l’aspect médiocre de l’appartement mettait à son aise, les ayant prises, en baisa une, comme il avait vu faire à Norbert de Varenne.

Elle le pria de s’asseoir ; puis, le regardant des pieds à la tête : « Comme vous êtes changé ! Vous avez gagné de l’air. Paris vous fait du bien. Allons, racontez-moi les nouvelles. »

Et ils se mirent à bavarder tout de suite, comme s’ils eussent été d’anciennes connaissances, sentant naître entre eux une familiarité instantanée, sentant s’établir un de ces courants de confiance, d’intimité et d’affection qui font amis, en cinq minutes, deux êtres de même caractère et de même race.

Tout à coup, la jeune femme s’interrompit, et s’étonnant :

« C’est drôle comme je suis avec vous. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. Nous deviendrons, sans doute, bons camarades. Voulez-vous ? »

Il répondit : « Mais, certainement », avec un sourire qui en disait plus.

Il la trouvait tout à fait tentante, dans son peignoir éclatant et doux, moins fine que l’autre dans son peignoir blanc, moins chatte, moins délicate, mais plus excitante, plus poivrée.

Quand il sentait près de lui Mme Forestier, avec son sourire immobile et gracieux qui attirait et arrêtait en même temps, qui semblait dire : « Vous me plaisez « et aussi : « Prenez garde », dont on ne comprenait jamais le sens véritable, il éprouvait surtout le désir de se coucher à ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d’aspirer lentement l’air chaud et parfumé qui devait sortir de là, glissant entre les seins. Auprès de Mme de Marelle, il sentait en lui un désir plus brutal, plus précis, un désir qui frémissait dans ses mains devant les contours soulevés de la soie légère.

Elle parlait toujours, semant en chaque phrase cet esprit facile dont elle avait pris l’habitude, comme un ouvrier saisit le tour de main qu’il faut pour accomplir une besogne réputée difficile et dont s’étonnent les autres. Il l’écoutait, pensant : « C’est bon à retenir tout ça. On écrirait des chroniques parisiennes charmantes en la faisant bavarder sur les événements du jour. »

Mais on frappa doucement, tout doucement à la porte par laquelle elle était venue ; et elle cria : « Tu peux entrer, mignonne. » La petite fille parut, alla droit à Duroy et lui tendit la main.

La mère étonnée murmura : « Mais c’est une conquête. Je ne la reconnais plus. » Le jeune homme, ayant embrassé l’enfant, la fit asseoir à côté de lui, et lui posa, avec un air sérieux, des questions gentilles sur ce qu’elle avait fait depuis qu’ils ne s’étaient vus. Elle répondait de sa petite voix de flûte, avec son air grave de grande personne.

La pendule sonna trois heures. Le journaliste se leva.

« Venez souvent, demanda Mme de Marelle, nous bavarderons comme aujourd’hui, vous me ferez toujours plaisir. Mais pourquoi ne vous voit-on plus chez les Forestier ? »

Il répondit :

« Oh ! Pour rien. J’ai eu beaucoup à faire. J’espère bien que nous nous y retrouverons un de ces jours. »

Et il sortit, le cœur plein d’espoir, sans savoir pourquoi.

Il ne parla pas à Forestier de cette visite.

Mais il en garda le souvenir, les jours suivants, plus que le souvenir, une sorte de sensation de la présence irréelle et persistante de cette femme. Il lui semblait avoir pris quelque chose d’elle, l’image de son corps restée dans ses yeux et la saveur de son être moral restée en son cœur. II demeurait sous l’obsession de son image, comme il arrive quelquefois quand on a passé des heures charmantes auprès d’un être. On dirait qu’on subit une possession étrange, intime, confuse, troublante et exquise parce qu’elle est mystérieuse.

Il fit une seconde visite au bout de quelques jours.

La bonne l’introduisit dans le salon, et Laurine parut aussitôt. Elle tendit, non plus sa main, mais son front, et dit :

« Maman m’a chargée de vous prier de l’attendre. Elle en a pour un quart d’heure, parce qu’elle n’est pas habillée. Je vous tiendrai compagnie. »

Duroy, qu’amusaient les manières cérémonieuses de la fillette, répondit : « Parfaitement, Mademoiselle, je serai enchanté de passer un quart d’heure avec vous : mais je vous préviens que je ne suis point sérieux du tout, moi, je joue toute la journée ; je vous propose donc de faire une partie de chat perché. »

La gamine demeura saisie, puis elle sourit, comme aurait fait une femme, de cette idée qui la choquait un peu et l’étonnait aussi ; et elle murmura :

« Les appartements ne sont pas faits pour jouer. »

Il reprit :

« Ça m’est égal : moi je joue partout. Allons, attrapez-moi. »

Et il se mit à tourner autour de la table, en l’excitant à le poursuivre, tandis qu’elle s’en venait derrière lui, souriant toujours avec une sorte de condescendance polie, et étendant parfois la main pour le toucher, mais sans s’abandonner jusqu’à courir.

Il s’arrêtait, se baissait, et, lorsqu’elle approchait, de son petit pas hésitant, il sautait en l’air comme les diables enfermés en des boîtes, puis il s’élançait d’une enjambée à l’autre bout du salon. Elle trouvait ça drôle, finissait par rire, et, s’animant, commençait à trottiner derrière lui, avec de légers cris joyeux et craintifs, quand elle avait cru le saisir. Il déplaçait les chaises, en faisait des obstacles, la forçait à pivoter pendant une minute autour de la même, puis, quittant celle-là, en saisissait une autre. Laurine courait maintenant, s’abandonnait tout à fait au plaisir de ce jeu nouveau et, la figure rose, elle se précipitait d’un grand élan d’enfant ravie, à chacune des fuites, à chacune des ruses, à chacune des feintes de son compagnon.