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« Pardonne-moi, ma chérie, pardonne-moi, je suis très nerveux, ce soir, très irritable. C’est que j’ai des contrariétés, des ennuis, tu sais, des affaires de métier. »

Elle répondit, un peu adoucie, mais non calmée :

« Cela ne me regarde pas, moi ; et je ne veux point supporter le contrecoup de votre mauvaise humeur. »

Il la prit dans ses bras, l’attira vers le canapé :

« Écoute, ma mignonne, je ne voulais point te blesser ; je n’ai point songé à ce que je disais. »

Il l’avait forcée à s’asseoir, et s’agenouillant devant elle :

« M’as-tu pardonné ? Dis-moi que tu m’as pardonné. »

Elle murmura, d’une voix froide : « Soit, mais ne recommence pas. » Et, s’étant relevée, elle ajouta :

« Maintenant, allons faire un tour. »

Il était demeuré à genoux, entourant les hanches de ses deux bras ; il balbutia :

« Je t’en prie, restons ici. Je t’en supplie. Accorde-moi cela. J’aimerais tant à te garder ce soir, pour moi tout seul, là, près du feu. Dis « oui », je t’en supplie, dis « oui ». »

Elle répliqua nettement, durement :

« Non, je tiens à sortir, et je ne céderai pas à tes caprices. »

Il insista :

« Je t’en supplie, j’ai une raison, une raison très sérieuse… »

Elle dit de nouveau :

« Non. Et si tu ne veux pas sortir avec moi, je m’en vais. Adieu. »

Elle s’était dégagée d’une secousse, et gagnait la porte. Il courut vers elle, l’enveloppa dans ses bras :

« Écoute, Clo, ma petite Clo, écoute, accorde-moi cela… » Elle faisait non, de la tête, sans répondre, évitant ses baisers et cherchant à sortir de son étreinte pour s’en aller.

Il bégayait :

« Clo, ma petite Clo, j’ai une raison. »

Elle s’arrêta en le regardant en face :

« Tu mens… laquelle ? »

Il rougit, ne sachant que dire. Et elle reprit, indignée :

« Tu vois bien que tu mens… sale bête… » Et avec un geste rageur, les larmes aux yeux, elle lui échappa.

Il la prit encore une fois par les épaules, et désolé, prêt à tout avouer pour éviter cette rupture, il déclara avec un accent désespéré :

« Il y a que je n’ai pas le sou… Voilà. »

Elle s’arrêta net, et le regardant au fond des yeux pour y lire la vérité :

« Tu dis ? »

Il avait rougi jusqu’aux cheveux : « Je dis que je n’ai pas le sou. Comprends-tu ? Mais pas vingt sous, pas dix sous, pas de quoi payer un verre de cassis dans le café où nous entrerons. Tu me forces à confesser des choses honteuses. Il ne m’était pourtant pas possible de sortir avec toi, et quand nous aurions été attablés devant deux consommations, de te raconter tranquillement que je ne pouvais pas les payer… »

Elle le regarda toujours en face :

« Alors… c’est bien vrai… ça ? »

En une seconde, il retourna toutes ses poches, celles du pantalon, celles du gilet, celles de la jaquette, et il murmura :

« Tiens… es-tu contente… maintenant ? »

Brusquement, ouvrant ses deux bras avec un élan passionné, elle lui sauta au cou, en bégayant :

« Oh ! Mon pauvre chéri… mon pauvre chéri… si j’avais su ! Comment cela t’est-il arrivé ? »

Elle le fit asseoir, et s’assit elle-même sur ses genoux, puis le tenant par le cou, le baisant à tout instant, baisant sa moustache, sa bouche, ses yeux, elle le força à raconter d’où lui venait cette infortune.

Il inventa une histoire attendrissante. Il avait été obligé de venir en aide à son père qui se trouvait dans l’embarras. Il lui avait donné non seulement toutes ses économies, mais il s’était endetté gravement.

Il ajouta :

« J’en ai pour six mois au moins à crever de faim, car j’ai épuisé toutes mes ressources. Tant pis, il y a des moments de crise dans la vie. L’argent, après tout, ne vaut pas qu’on s’en préoccupe. »

Elle lui souffla dans l’oreille :

« Je t’en prêterai, veux-tu ? »

Il répondit avec dignité :

« Tu es bien gentille, ma mignonne, mais ne parlons plus de ça, je te prie. Tu me blesserais. »

Elle se tut ; puis, le serrant dans ses bras, elle murmura :

« Tu ne sauras jamais comme je t’aime. »

Ce fut une de leurs meilleures soirées d’amour.

Comme elle allait partir, elle reprit en souriant :

« Hein ! Quand on est dans ta situation, comme c’est amusant de retrouver de l’argent oublié dans une poche, une pièce qui avait glissé dans la doublure. »

Il répondit avec conviction :

« Ah ! Ça oui, par exemple. »

Elle voulut rentrer à pied sous prétexte que la lune était admirable, et elle s’extasiait en le regardant.

C’était une nuit froide et sereine du commencement de l’hiver. Les passants et les chevaux allaient vite, piqués par une claire gelée. Les talons sonnaient sur les trottoirs.

En le quittant, elle demanda :

« Veux-tu nous revoir après-demain ?

— Mais oui, certainement.

— À la même heure ?

— À la même heure.

— Adieu, mon chéri. »

Et ils s’embrassèrent tendrement.

Puis il revint à grands pas, se demandant ce qu’il inventerait le lendemain, afin de se tirer d’affaire. Mais comme il ouvrit la porte de sa chambre, il fouilla dans la poche de son gilet pour y trouver des allumettes, et il demeura stupéfait de rencontrer une pièce de monnaie qui roulait sous son doigt.

Dès qu’il eut de la lumière, il saisit cette pièce pour l’examiner. C’était un louis de vingt francs !

Il se pensa devenu fou.

Il le tourna, le retourna, cherchant par quel miracle cet argent se trouvait là. Il n’avait pourtant pas pu tomber du ciel dans sa poche.

Puis, tout à coup, il devina, et une colère indignée le saisit. Sa maîtresse avait parlé, en effet, de monnaie glissée dans la doublure et qu’on retrouvait aux heures de pauvreté. C’était elle qui lui avait fait cette aumône.

Quelle honte !

Il jura : « Ah bien ! Je vais la recevoir après-demain !

Elle en passera un joli quart d’heure ! »

Et il se mit au lit, le cœur agité de fureur et d’humiliation.

Il s’éveilla tard. Il avait faim. Il essaya de se rendormir pour ne se lever qu’à deux heures ; puis il se dit :

« Cela ne m’avance à rien, il faut toujours que je finisse par découvrir de l’argent. » Puis il sortit, espérant qu’une idée lui viendrait dans la rue.

Il ne lui en vint pas, mais en passant devant chaque restaurant, on désir ardent de manger lui mouillait la bouche de salive. À midi, comme il n’avait rien imaginé, il se décida brusquement : « Bah ! Je vais déjeuner sur les vingt francs de Clotilde. Cela ne m’empêchera pas de les lui rendre demain. »

Il déjeuna donc dans une brasserie pour deux francs cinquante. En entrant au journal il remit encore trois francs à l’huissier. »Tenez, Foucart, voici ce que vous m’avez prêté hier soir pour ma voiture. »

Et il travailla jusqu’à sept heures. Puis il alla dîner et prit de nouveau trois francs sur le même argent. Les deux bocks de la soirée portèrent à neuf francs trente centimes sa dépense du jour.

Mais comme il ne pouvait se refaire un crédit ni se recréer des ressources en vingt-quatre heures, il emprunta encore six francs cinquante le lendemain sur les vingt francs qu’il devait rendre le soir même, de sorte qu’il vint au rendez-vous convenu avec quatre francs vingt dans sa poche.

Il était d’une humeur de chien enragé et se promettait bien de faire nette tout de suite la situation. Il dirait à sa maîtresse : « Tu sais, j’ai trouvé les vingt francs que tu as mis dans ma poche l’autre jour. Je ne te les rends pas aujourd’hui parce que ma position n’a point changé, et que je n’ai pas eu te temps de m’occuper de la question d’argent. Mais je te les remettrai la première fois que nous nous verrons. »