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— Vous êtes étudiante ? questionna Hervé.

— Dans un sens, oui !

— Et vous apprenez quoi ?

— J’apprends à vivre, c’est rudement coton. Je crois que si je passais un examen aujourd’hui, je me ferais recaler !

Hervé éclata d’un rire qui s’acheva en grimace car il réveillait un reste de nausée.

— Ça ne va toujours pas fort, hein ? remarqua sa compatissante compagne.

— Non, pas très…

— Venez vous asseoir. L’air pur de la nuit, il n’y a rien de tel comme vulnéraire…

Ils traversèrent le quai et prirent place sur un banc qui marquait un arrêt d’autobus. La demie d’une heure tardive tomba d’un clocher…

Un homme vêtu d’une gabardine fripée et coiffé d’un chapeau à bords rabattus s’arrêta devant eux, une boîte à violon sous le bras, pour leur demander si le « dernier » était passé. La compagne d’Hervé lui répondit qu’elle n’en savait rien, et le musicien s’éloigna, la tête rentrée dans les épaules.

Les jeunes gens demeurèrent un moment silencieux, sensibles à la brise courant le long de la Seine. Le remue-ménage des Halles gagnait l’autre rive…

— J’adore ce coin de Paris, fit-elle, surtout à ces heures…

— Vous y venez souvent ? demanda Hervé.

— Pas assez !

— Que faisiez-vous à La Frite, tout à l’heure, seule ?

— Rien !

— C’est un endroit idiot, vous ne trouvez pas ?

— Complètement idiot !

— Comment vous appelez-vous ? questionna le garçon, après une hésitation.

Il rougit, parce que c’était le genre de question qui marque un tournant dans des relations nouvelles.

Elle resta silencieuse un instant ; il crut qu’elle ne voulait pas répondre, et qu’elle était peut-être choquée par son audace.

— Comment aimeriez-vous que je m’appelle ? demanda-t-elle…

Il hocha la tête, dérouté.

— Je ne sais pas…

— Quel prénom me donneriez-vous si vous aviez à me baptiser ?

Une fois de plus il la fixa avec attention.

— Attendez, dit Hervé… Claire !… Ou bien non, Aurore ! Voilà ! Vous ressemblez au jour qui se lèvera tout à l’heure…

— Je m’appelle donc Aurore, murmura-t-elle…

Il s’assit de biais, un pied posé sur le banc afin de pouvoir appuyer sa tête sur son genou. Le vin de La Frite lui avait détraqué le foie. Hervé se dit qu’il allait être mal en point pendant au moins deux jours. Et pourtant, il avait tellement besoin de rester en possession de tous ses moyens !

Aurore considérait le soulier mis en évidence en fronçant les sourcils.

— Vous avez vu ? murmura-t-elle.

— Quoi ? demanda Hervé…

— Il y a du sang sur votre chaussure.

Cela lui fit comme un seau d’eau glacée en plein visage. Il mit précipitamment le pied sous le banc.

— Mais non, bredouilla-t-il ; c’est du vin…

— Pas du tout ; faites voir !

Le ton autoritaire de la jeune fille lui en imposa. Il ramena son pied à la lumière. Elle se pencha.

— Et il y a même des cheveux collés après…

Hervé racla l’extrémité de sa chaussure contre la bordure du trottoir comme s’il espérait la débarrasser de ces souillures.

— J’ai tué un homme, ce soir, murmura Hervé sans la regarder.

Elle ne tressaillit même pas.

— Pourquoi me dites-vous cela ? demanda-t-elle de sa voix unie.

— Je ne sais pas, répondit Hervé…

Et il était sincère : il ignorait les motifs de cet aveu, qui lui avait pour ainsi dire échappé. Chose curieuse, il n’était pas le moins du monde effrayé par la terrible confidence qu’il venait de faire à Aurore, n’avait en elle une confiance totale, instinctive.

— Je pense, murmura-t-il, cherchant à s’analyser, que j’ai eu besoin de vous faire un cadeau, vous comprenez… Et je n’avais rien d’autre à vous offrir que ce secret…

— Oui, je comprends, dit Aurore… Je comprends et je vous remercie.

— Ce n’est pas la peine que je vous raconte mon crime, n’est-ce pas ?

— Non !

— Pourtant, vous devez être curieuse de savoir ?…

— Je suis très curieuse, mais j’aime mieux que vous ne me disiez rien…

— Par prudence ?

— Oh ! non… Par plaisir ! Le plaisir de ne pas apprendre ce que vous brûlez de me dire et que j’ai très envie d’entendre… Ça aussi, si l’on y réfléchit, c’est un cadeau !

— En effet.

Elle se leva, tapota sa jupe pour la défroisser et s’avança au bord du trottoir.

— Que faites-vous ? demanda Hervé.

— Je guette un taxi.

— Pour me fuir ?

— Pour rentrer chez moi. Ce n’est pas que ça me tente tellement, mais il faut bien en arriver là…

— Et naturellement on ne se reverra jamais ? demanda-t-il.

— Naturellement !

Un temps assez long s’écoula. Hervé demeurait lové sur le banc tandis que, devant lui, Aurore surveillait le passage des autos. Elle finit par apercevoir un taxi, drapeau levé… Elle n’eut pas besoin de faire signe au chauffeur ; celui-ci stoppa d’autorité en l’apercevant. Avant de prendre place dans le véhicule, elle se retourna.

— Bonne chance, dit-elle.

Il lui sourit.

— Adieu, Aurore !

Elle claqua la portière et le taxi démarra rapidement. Hervé le suivit du regard jusqu’à ce que ses feux rouges eussent disparu. Alors une paix triste, saumâtre, descendit en lui. Il se demanda s’il ne ferait pas mieux de se jeter à l’eau pour en finir avec une vie qui sentait trop la friture et le vin rouge.

Mais il se dit qu’il n’y avait pas assez d’eau dans la Seine pour nettoyer son soulier ensanglanté.

8

L’aube pluvieuse souillait la fenêtre de sa lumière dépolie.

Coco la Jolie ouvrit un œil. Elle venait d’éternuer en dormant et ça l’avait arrachée si brutalement au sommeil qu’elle en ressentait une meurtrissure dans la poitrine. Sa tête était toute vibrante. Elle chercha la couverture qui eût dû la préserver du perfide courant d’air circulant dans le taudis, et elle fut stupéfaite de la trouver sur le plancher. Son étonnement crût encore lorsqu’elle s’aperçut qu’elle était seule sur le grabat.

— T’es là, Notaire ? appela-t-elle.

N’obtenant pas de réponse, elle parvint à se mettre sur son séant. La pièce baignait dans une pénombre froide. Elle avait quelque chose de pétrifié qui séchait le cœur. Des bouteilles vides, des verres poisseux renversés sur la table racontaient l’ivresse de la soirée. Coco fit la grimace. Depuis belle lurette, elle n’était plus sensible à la gueule de bois, mais ce spectacle désolé lui était néanmoins pénible. Elle songea qu’une tasse de café serait la bienvenue à condition que ce soit le Notaire qui la prépare.

— Hé ! Notaire !

Sa voix rocailleuse restait sans écho.

— Où qu’est passé ce salaud d’homme ! ronchonna l’effroyable créature en écartant les mèches grisâtres qui lui pendaient devant les yeux…

Le Notaire, parmi tant de vices, avait celui de se lever tard.

Qu’il fût absent à cette heure matinale troublait Coco la Jolie beaucoup plus qu’elle n’osait se l’avouer…