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— Réponds-moi, dit Agnès, ça s’est passé comment ? Oh ! je ne te demande pas cela par sadisme, crois-le. Seulement, j’ai besoin de me rendre compte…

— Je l’ai assommé, chuchota Hervé, d’une voix si faible qu’elle eut du mal à l’entendre.

— Comment ?

Il lui fit un récit scrupuleux du meurtre… Elle l’écouta attentivement, puis après un instant de réflexion demanda :

— Personne ne t’a vu ?

— Personne !

— Et…

— Oui ?

— Tu es certain qu’il soit mort ?

Hervé ouvrit la bouche pour protester, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Cette question ne lui était pas encore venue à l’esprit car, jusque-là, il avait considéré son crime comme acquis.

— Certainement, Gnès… Certainement !

— Tu n’as pas vérifié ?

— Je… non ! Mais…

Il avait l’impression d’avaler un cube de glace. Ça lui râpait la gorge et lui gelait la poitrine. Le regard inquisiteur d’Agnès retrouvait son petit éclat méprisant de la veille.

— Enfant ! murmura-t-elle.

— Je ne m’en suis pas senti le courage…

— Tu as eu le courage de le frapper, mais pas celui de poser ta main sur sa poitrine !

— C’est comme ça, Gnès, se rebiffa Hervé. Pense ce que tu voudras, je n’ai pas osé… Tu sais, reprit-il, la théorie, c’est bien joli ; mais la pratique, c’est autre chose, Gnès, tout à fait autre chose… Je pense que tu ne t’en rends pas très bien compte.

La femme de Taride croisa ses mains et les pressa l’une contre l’autre, aussi fort qu’elle put, pour essayer de se décontracter. Elle n’était pas d’humeur à discuter. Une seule chose comptait pour elle : le Notaire était-il vraiment mort ?

— Il faut savoir, décida-t-elle.

— Savoir quoi ?

— Où nous en sommes… Tu vas retourner rue La Fontaine.

— Ah non, par exemple ! s’insurgea Hervé.

Elle s’impatienta, les sourcils froncés.

— Cesse de jouer les poltrons. Il s’agit de te renseigner discrètement chez les commerçants d’alentour…

— C’est ça, pour me faire remarquer…

— Personne ne te remarquera ! promit-elle.

Elle avait une telle force de persuasion qu’il commença à faiblir.

— Ensuite ? murmura-t-il.

— Tu iras dans les cafés… Tu écouteras… On doit parler de la chose, sapristi ! Nous ne pouvons demeurer dans cette incertitude…

Hervé hocha la tête.

— Bien, j’y vais !

Il se leva, se tint droit au milieu de la pièce, les jambes flageolantes, les joues souillées par sa jeune barbe à la pousse encore incertaine. Elle fut remuée par sa fragilité. Elle l’attira contre elle dans un élan quasi maternel.

— Je t’aime, chuchota Agnès.

Elle embrassa doucement les lèvres crispées du jeune homme, surveillant son regard afin de le voir basculer. Mais il la fixa aussi, d’un regard pathétique et humble de victime résignée.

12

Un Arabe, vêtu d’un complet trop grand et portant une cravate rouge sur une chemise à carreaux, actionnait sans joie les manettes d’un billard électrique. Le patron du café, un petit homme ventru au teint blafard, lavait des verres dans son bac à plonge, une cigarette neuve sur l’oreille…

Hervé, qui venait d’entrer dans l’établissement — le plus proche café du taudis du Notaire — songea qu’il lui serait malaisé d’obtenir des renseignements à cette heure creuse de la journée. Il devrait attendre la sortie des usines. Alors les bars de la rue s’empliraient d’une foule bavarde. Mais il ne se sentait pas la patience d’attendre. Depuis qu’Agnès avait émis des doutes sur la mort du Notaire, un espoir insensé s’était emparé de lui. Et si sa victime n’était pas morte ? Recommencerait-il ? Il savait que non. Jamais plus il ne pourrait accomplir ces gestes terribles, s’acharner sur la chair d’un homme pour y éteindre la vie qu’elle abritait.

L’Arabe réussit un coup heureux. Une série d’ampoules multicolores s’alluma dans un fracas de cataracte. Des chiffres lumineux dansaient sur le cadran bariolé de l’appareil. Hervé s’intéressa momentanément à la partie. Il aimait les billards électriques parce qu’à eux seuls ils contiennent toute la joie populeuse d’une fête foraine.

Un guenilleux vêtu de noir entra dans le café. L’arrivant était petit, et son grand nez le faisait ressembler à un corbeau. Hervé lui accorda un regard distrait…

— Ce sera un petit rosé, annonça Ficelle.

Il vida son verre dès qu’on le lui servit et s’approcha de l’Arabe qui martyrisait le dessous du billard à coups de genou pour essayer de dévier la trajectoire de sa dernière bille d’acier.

Hervé pesait d’une jambe sur l’autre, hésitant à questionner le patron. Mais il avait trop besoin de savoir…

— Donnez-moi un autre quart Perrier ! demanda-t-il.

Le taulier s’essuya les mains à son tablier bleu.

— Vous avez la pépie ? remarqua-t-il aimablement en décapsulant la bouteille.

— Oui, fit Hervé… J’ai un peu bringué chez des copains cette nuit, et…

Il clapa de la langue. Le bistrot sourit finement comme un homme qui ignore la gueule de bois et aime que ça se sache.

— Ah ! voilà, dit-il en replongeant ses bras maigrichons dans l’eau douteuse du bac.

Hervé sentit qu’il ne fallait pas laisser s’éteindre la conversation.

— On a failli venir prendre un pot avec mes potes, mais vous étiez fermé, dit-il…

— Oh ! repartit le mastroquet, ce n’est pas étonnant, je boucle après l’apéro… Autrement tout ce qu’on peut espérer, c’est quelques poivrots qui vous font tartir une soirée complète en buvant un rouge…

— Sans blague ?

— C’t’ un quartier de fauchés ! À part les gens des puces. Mais quoi, c’est trois jours par semaine…

Il baissa le ton, montrant, d’un hochement de menton qu’il voulait discret, Ficelle et l’Arabe.

— Les autres jours, voilà le style de clients !

Hervé rit nerveusement. Il se pétrissait les doigts.

— C’est vrai, dit-il… Je me rappelle un jour… Vous aviez un type à moitié schlass, un clochard de par ici…

— C’est curieux, dit le taulier…

— Quoi ? fit Hervé, la gorge nouée.

— Je me rappelle pas vous avoir vu ici…

Il y eut un silence que le garçon déplora intensément. Il voulait remettre la conversation sur la bonne voie, mais ne savait trop comment s’y prendre.

Il en fut réduit à pousser un nouveau rire, tellement faux que le cabaretier en sursauta.

— Je revois le clodo dont je vous parlais… Un drôle de type, vous vouliez le foutre dehors, mais il disait qu’il avait le temps parce qu’il habitait juste à côté…

— Vous avez décidément meilleure mémoire que moi, dit le patron en alignant ses verres propres par rang de taille… Remarquez, des mecs bourrés à la clé, il en défile tellement, dans un café !

Il essuya de nouveau ses mains, cueillit la cigarette sur son oreille et l’alluma.

— Mais je vois le bonhomme que vous dites, reprit-il.

Le cœur d’Hervé fit un bond. Il s’efforça de prendre un air souverainement indifférent.

— Ah oui ?

— Figurez-vous que ce cornichon-là s’est flanqué par la fenêtre de son cagibi cette nuit.

— Pas possible !