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Le Notaire parut ne pas avoir entendu. Toute sa lucidité était axée sur son besoin de vin.

— Allez me chercher le médecin, ordonna-t-il…

Jeanne feignit de prendre cet ordre pour une plaisanterie.

Mais son rire n’amadoua pas le blessé.

— Je vous demande instamment de prévenir le médecin que je veux lui parler, c’est mon droit, je suppose…

— Oh ! vous êtes agaçant ! déclara Jeanne en s’éloignant… Elle revint, un instant après, flanquée du Dr Rabillou. Le praticien vint se placer à droite de l’oreiller du Notaire et promena le dos de sa main sur le menton fraîchement rasé de son client.

— Ma parole, dit-il, on t’a fait du bogomoletz en te rasant, mon bonhomme.

Le Notaire ne sourcilla pas.

— Je suis alcoolique au dernier degré, docteur, annonça-t-il d’une voix qu’il voulait ferme. Mon organisme réclame du vin, je vous demande de m’en donner.

— Du vin, avec une fracture du crâne ! Tu peux toujours courir, dit Rabillou.

Sa grosse trogne imberbe était congestionnée par la colère.

— Tu vas avoir une piqûre en guise de kil de rouge. Puisqu’on te tient, on va te désintoxiquer par la même occasion…

Le regard du Notaire s’emplit de courroux.

— Soignez ma tête et ne vous occupez pas du reste, docteur.

Cette opposition formelle accentua la rage du praticien. Se tournant vers Jeanne Huvet, il fulmina.

— Bravo pour votre protégé, c’est un joli coco !

Il se pencha sur le blessé.

— Tu sortiras d’ici en marchant droit, espèce de sac-à-vin ! Cet hôpital n’est pas un bistrot… Tu auras toute latitude pour te saouler la gueule après, si l’envie t’en chante encore !

Deux larmes roulèrent sur les joues creuses du Notaire. Dans son regard noyé, il y eut comme un appel.

— Docteur, balbutia-t-il, le vin, je n’ai que ça… Il a été mon seul ami pendant dix ans ! Les principes de tempérance sont très jolis, mais ils ne sont plus faits pour moi.

Ce langage émut Rabillou.

— Je ne sais pas d’où vous venez, mon vieux, murmura-t-il, cessant brusquement de tutoyer le clochard, et je ne veux pas le savoir, mais je ne peux pas me contenter de raccommoder votre crâne… Moi aussi j’ai mon vice. J’ai un côté pêcheur d’hommes, vous saisissez ? Je vais vous piquer les fesses avec quelque chose qui vous ôtera le goût du vin. Et on vous gavera de vitamine B 12 pour vous aider à supporter le choc… C’est comme ça… Payez-vous le luxe d’être un homme. Un peu de courage, de temps en temps, ne fait pas mal au tableau, surtout lorsqu’on s’est laissé couler à pic dans le onze degrés !

Le Notaire comprit qu’il était inutile d’insister. Il ferma les yeux, marquant ainsi qu’il n’entendait pas prolonger la conversation. Le Dr Rabillou donna une tape à Jeanne.

— Nous finirons bien par lui damer le pion, à ce forcené, chuchota-t-il avant de sortir.

Dans l’après-midi, à l’heure des visites, Coco la Jolie vint voir son homme. Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis l’agression dont il avait été victime et elle n’avait pu s’approcher de son chevet.

En découvrant le Notaire, dans ce lit bien blanc, en le voyant rasé, frais dans sa chemise de toile avec son turban de gaze immaculé, la pauvresse secoua la tête, médusée comme l’avait été l’infirmière.

— Bon Dieu, mon pauvre Notaire, murmura-t-elle, tu ressembles à un gars de la Haute dans ce plumard !

Cette visite ne plut pas au Notaire. Il regarda Coco avec des yeux lucides et il réprima une grimace. Cette vieille femme édentée, affreuse avec ses plaques rouges et ses mèches blanchâtres ressemblait à une émanation de l’enfer.

Maintenant qu’il ne la voyait plus à travers son ivresse permanente, il trouvait le spectacle insoutenable. La pensée qu’il avait vécu des années avec cette ogresse l’anéantissait. Et pourtant, Coco s’était mise en frais de toilette. Sa robe était presque convenable, ses espadrilles neuves, et elle avait réussi à se coiffer.

— Comment vas-tu, mon homme ? demanda-t-elle.

— Bien, fit sèchement le Notaire…

Elle cligna de l’œil et sortit de son giron une bouteille de beaujolais qu’elle déposa soigneusement sur la table de nuit.

— De la part de Ficelle, annonça-t-elle.

— Sous le matelas ! ordonna le Notaire…

Ce cadeau lui rendait la présence de Coco acceptable. La vieille glissa la bouteille sous l’oreiller du blessé.

— Oui.

— C’est fou ce que t’es changé, murmura Coco… Bien sûr, y a ce pansement…, mais ta figure a rajeuni…

— Parce que je suis rasé de frais et propre, fit le Notaire…

— Oui, ça se peut, admit Coco… Dans les hôpitaux, ils sont féroces pour ça…

Elle attira sa chaise de fer tout contre le lit.

— Je peux dire que je m’ai caillé le raisin, tous ces jours, à te savoir ici avec le crâne fendu…

Elle baissa la voix.

— Ils t’ont posé des questions ?

— Qui ?

— Les draupers ?

— Non, je ne les ai pas vus…

— Et les toubibs ?

— Il n’y a que l’infirmière qui m’a demandé ce qui m’était arrivé.

— Et t’as dit quoi ?

Le Notaire eut une lippe indécise.

— J’ai dit que j’étais trop blindé pour me rappeler…

Coco la Jolie gloussa d’excitation.

— Mais tu te rappelles, non ?

— C’est vague, dit le Notaire, soucieux…

— Dans le quartier, on croit que t’as passé par la fenêtre…

— Ça m’étonnerait. Je me souviens être descendu par l’escalier. C’est une fois en bas… J’ai ressenti un grand coup sur mon front… Puis d’autres… Il me semble qu’un type respirait très fort près de moi… Ensuite ? ç’a été le cirage…

Il regardait encore au plafond. Sur l’écran blanc, il faisait repasser le film mal tiré de ses souvenirs de la nuit fatale.

— On a voulu te buter, révéla Coco…

Le Notaire resta sans réaction. Il le savait déjà… Depuis plusieurs jours qu’il réfléchissait à son aventure, il en était arrivé à cette pénible conclusion.

— T’entends ? insista la Jolie.

— Oui, j’entends… Ce qui m’étonne, c’est que ma garce de peau ait pu faire envie à quelqu’un…

— On sait le nom de ton assassin, annonça la compagne du Notaire en riant de tous ses chicots branlants.

Le Notaire remua la tête pour mieux la considérer. Ce mouvement lui fit très mal ; des étincelles dorées tourbillonnèrent dans son crâne endolori.

— Qui ?

— Tu connais un nommé Hervé Vosges, qui habite rue du Square-Carpeaux ?

— Non, murmura le Notaire, qui est-ce ?

— Un jeune gars de vingt berges… Il te guettait dans l’impasse, Ficelle l’a vu en s’en allant, l’aut’ soir… Dans la nuit y t’a appelé, t’es descendu, et il t’a mailloché avec un bout de tuyau… Voilà !

— Comment sait-on ça ? questionna le Notaire.

— C’est l’ami de Ficelle qui a mené l’enquête, pour ainsi dire. Il a reconnu le gars blond dans un bistrot du quartier où ce qu’il demandait de tes nouvelles…

— Un gars blond, dit le blessé.

Coco fronça les sourcils.

— Tu le connais ?

— Non, mais maintenant je me rappelle que dans la journée qui a précédé cette affaire, j’ai remarqué à plusieurs reprises un jeune blond derrière moi… Ça devait être lui…