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— À ce bout, le sang de la victime ; à celui-ci les empreintes de l’assassin. C’est pas marrant, dis, comme ustensile ?

Hervé avait l’impression de faire un cauchemar.

— Ecoute, bonhomme, reprit le Corse… Ecoute bien ce que je vais te dire et tâche d’en faire ton profit.

Il promena sa lèvre inférieure sur sa lèvre supérieure pour l’humecter. Le jeune homme à la gabardine repliait maladroitement le tuyau dans son papier. Pendant ce temps, Ficelle restait près de la porte, dégustant la scène en fourrageant dans son nez inépuisable.

— Suppose qu’on te laisse essuyer tes empreintes sur le tuyau ? demanda Tino.

Hervé détourna les yeux.

— Ça s’appellerait « passer l’éponge » non ?

Mattei partit d’un rire gras auquel ses amis firent écho.

— Eh bien ! ce coup d’éponge, mon gars, on va te le vendre… Et pas chérot ! Deux briques, c’est un prix d’ami.

Cette fois, il administra une claque simili-amicale dans les reins d’Hervé.

— Deux millions de rien du tout et t’es plus un assassin ! Tu reconnais que c’est donné, mon pote ?

— Je n’ai pas d’argent, balbutia Hervé.

— T’en chercheras, riposta Tino. J’ai idée que ta dulcinée voudra pas que tu passes aux assises, ça la foutrait mal pour son standing. On te donne jusqu’à demain soir… Passé ce délai, si tu ne douilles pas, tu vas au trou, mon petit bonhomme ! Et avant d’y aller, tu passeras par l’infirmerie du Dépôt, espère… Naturellement, si tu essayais de nous doubler, ça voudrait dire que t’en aurais marre de l’existence. C’est du moins comme ça qu’on comprendrait les choses, pas vrai ?

Tino donna un coup de pied dans la table supportant le vase de Picasso. L’objet d’art voltigea dans la pièce et se brisa.

— Tu vois, déclara Tino, en remettant son chapeau, j’ai mes nerfs en ce moment ; si je me fous après toi, y aura pas un chirurgien de la frime capable de retrouver ta ressemblance avec maintenant !

Il fit signe à ses compagnons. Le jeune homme maigre et Ficelle n’avaient pas prononcé un mot. Ils s’étaient joints à Tino uniquement pour faire figuration, pour donner du relief à ses paroles et à ses actes…

La porte claqua, Hervé se trouva seul dans le coquet studio, les tempes vibrantes, la figure en feu.

À cet instant, il comprit qu’avant l’arrivée de ces trois hommes, malgré ses angoisses, il était heureux.

20

Taride entra dans la chambre de sa femme au moment où Agnès sortait de la salle de bains, une serviette nouée autour des cheveux.

Les pans de son peignoir s’ouvraient largement, découvrant son corps parfait, et, comme chaque fois, Henri eut un bref passage à vide. La nudité de sa femme constituait toujours, à ses yeux, le plus rare des spectacles.

Agnès découvrit l’examen de son mari et réprima un sourire amusé. Cet époux qu’elle troublait toujours avait quelque chose de candide à cet instant. On eût dit un collégien ouvrant une porte à un mauvais moment.

— Oui ? fit-elle.

— Je ne sais pas ce qu’a le téléphone ce matin, dit Taride, il sonne toutes les dix minutes, et quand je décroche, personne ne répond…

Agnès fronça les sourcils.

— Vous devriez prévenir le service des dérangements, conseilla-t-elle après un instant de méditation.

— Hum, dit Taride, ne pensez-vous pas qu’il s’agit plutôt d’un amoureux d’Eva ?

Ce matin-là, Agnès avait un regard si bleu qu’il paraissait presque blanc.

« Impossible d’y lire le moindre sentiment », songea avec inquiétude Taride. Depuis quelques jours, il y avait une rupture dans son équilibre. Il traversait des périodes de flou. Lui qui ne cessait jamais de se ruer tête baissée dans la vie, il s’abîmait dans de louches rêveries d’où il sortait amer et sans entrain. Tout l’inquiétait.

Il sentait le poids de son âge. Jusqu’alors, il l’avait porté avec facilité, sans même s’en apercevoir. Et voilà que, tout à coup, parce qu’il avait passé une soirée stupéfiante avec sa belle-fille, il se voyait vieux et sans grand avenir.

— Un amoureux d’Eva ? s’étonna Agnès.

— J’ai pensé… Un garçon qui essaierait de la joindre, mais n’oserait pas se manifester en entendant une voix masculine.

— Je ne vois pas pourquoi Eva ferait des mystères, dit-elle. Il est souvent arrivé que des jeunes gens la demandent…

— C’est vrai, reconnut Taride… C’était une idée, comme ça, qui m’était venue…

— Eh bien ! pour en avoir le cœur net, si la sonnerie se reproduit, je répondrai, décida Agnès.

Taride approuva d’un mouvement de tête. Sa femme venait de poser le peignoir et commençait à s’habiller. Taride avança la main vers les hanches rondes de sa compagne. Il suivit avec dévotion la courbure harmonieuse et douce et s’attarda un instant sur le ventre absolument plat d’Agnès.

— Mon cher Henri, sourit la jeune femme, vous paraissez avoir des idées dominicales…

— Ces idées dominicales me harcèlent, tous les jours de la semaine, affirma l’homme d’affaires, et vous ne l’ignorez pas…

Il retira sa main à regret.

— Que faisons-nous aujourd’hui ?

— Ce que vous voudrez !

— Voulez-vous que nous allions déjeuner tous les trois du côté de Louveciennes ?

— Pourquoi pas ?

À cet instant, la sonnerie du téléphone retentit. Les deux époux se regardèrent.

— Attendez, fit Agnès, je vais répondre…

Elle sortit dans le hall et décrocha, certaine que c’était Hervé. Le garçon lui manquait un peu. Elle s’était attendue à une réaction violente du jeune homme, après lecture du mot qu’elle lui avait laissé. Son silence l’avait beaucoup troublée. Maintenant, Hervé n’y tenait plus… Elle sourit, fière d’elle. Il avait attendu autant qu’il avait pu, mais son désir avait été plus fort que sa volonté. Elle porta l’écouteur à son oreille.

— J’écoute, murmura-t-elle.

— Gnès ?

— Oui.

Hervé respirait très fort, comme s’il venait de fournir un effort violent.

— Je peux parler ?

— Oui.

— Gnès, il vient d’arriver quelque chose de terrible. Il faut que je te voie tout de suite !

Comme toujours lorsqu’elle était en face d’une situation périlleuse, Agnès sentit ses mâchoires se durcir.

Elle réfléchit, très vite.

Son regard se porta à la pendule de marbre fixée au mur. Elle indiquait onze heures.

— Dans une demi-heure, à l’église d’Auteuil, dit-elle.

Elle raccrocha. Quelque chose de terrible ! Hervé grossissait tout. Mais même en tenant compte de son exaltation, la phrase restait inquiétante.

Agnès revint à sa chambre. Taride admirait les bibelots d’argent qu’il collectionnait.

— Avez-vous eu plus de chance que moi ? demanda-t-il en déposant un sabot de lutin délicatement ciselé.

— Oui et non, fit-elle. Je suis tombée sur un monsieur qui voulait parler au Pavillon d’Armenonville et qui ne me laissait pas lui expliquer sa méprise…

Elle mentait avec une parfaite tranquillité.

Taride haussa les épaules.

— Eh bien ! je vais me préparer, dit-il. Si nous sortons, il est temps que je me fasse une beauté.

Agnès s’assit devant sa coiffeuse, arracha le linge qui maintenait ses cheveux et commença à se coiffer avec une brosse au manche d’argent massif.