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Il sourit.

— Dommage que je sois un pauvre type fini, j’aurais un beau sauvetage à faire, moi aussi.

Elle secoua ses mains au-dessus de l’évier, et vint à lui, rageuse.

— Pourquoi dites-vous que vous êtes un homme fini, alors que…

— Alors que je recommence ? Parce que je recommence avec un organisme ruiné par l’alcool, et une inadaptation totale à la vie. Je crois que si je sortais de votre maison, je me flanquerais sous la première voiture. Pas pour me suicider, mais parce que je ne saurais plus comment m’y prendre pour l’éviter…

— Eh bien ! vous apprendrez. Vous venez d’être très malade… Je ne parle pas seulement de votre blessure. Or, après chaque maladie, il y a une période transitoire, assez critique, qu’on appelle la convalescence… Pendant cette période-là, tous les malades croient qu’ils sont finis et qu’ils ne sauront plus jamais se comporter comme des gens normaux. Mais la vie qu’ils redoutent tellement est plus forte qu’eux. Elle les reprend… Et tout recommence Lucien… Je vous le jure… Tout recommence !

25

Comme tous les mardis, Agnès prenait sa leçon de culture physique sous la direction d’un grand garçon musclé qui se croyait irrésistible et la regardait langoureusement. Mme Taride n’ignorait pas que la gymnastique est la meilleure des jouvences, aussi n’avait-elle garde de manquer une séance.

— Fléchissez ! ordonnait l’athlète en lui appuyant sur la poitrine tout en lui soutenant la taille.

Agnès voyait, à la renverse, les motifs orientaux du tapis. Le sang lui montait à la tête. Ce passage congestif lui brouillait la vue. C’était excitant comme un avant-goût de la mort.

— Allons ! Fléchissez !

La voix du bellâtre à biceps de débardeur s’efforçait d’être encourageante et mutine. Il était certain de son sex-appeal, qui s’exerçait avec bonheur sur nombre de ses clientes. Mais il avait peur de hasarder un geste extra-gymnique, car avec ces dames de la bonne société, on ne sait jamais…

Un heurt discret à la porte interrompit la leçon.

Agnès se redressa, légèrement essoufflée.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

Elle regarda son professeur comme s’il était en mesure de la renseigner.

— Un monsieur qui insiste pour voir Madame, répondit la femme de chambre à la cantonade.

— Voyons, fit Agnès, vous savez bien que je ne reçois pas le matin.

— Ce monsieur ne paraît pas s’en soucier, répondit Rose. Il dit qu’il vient de la part du notaire.

Le sang d’Agnès se figea. De la part du Notaire…

Elle passa sa robe de chambre.

— Vous m’excuserez, fit-elle au professeur de culture physique.

L’autre loucha comme un goujat sur sa montre.

— Je vous en prie, répondit-il pourtant.

Agnès gagna le salon, préoccupée. Au passage, la femme de chambre qui l’attendait, lui souffla :

— Bien que cet homme vienne de la part d’un notaire, il n’a pas très bon genre…

Lorsqu’elle poussa la porte, elle comprit que sa domestique disait vrai. L’individu qui patientait dans le salon était un solide gaillard aux cheveux couleur d’ébonite, aux yeux pointus et impitoyables.

Il fumait un petit cigare noir, biscornu, dont il déposait la cendre dans une potiche. En voyant entrer Agnès, il ne se leva pas, la regarda seulement, de bas en haut, sans essayer de cacher son admiration. Puis il eut un petit sourire entendu. Elle lui plaisait et il lui en voulait déjà d’être belle et hors de portée. Tino aimait les femmes et quand il en voyait de trop belles, surtout lorsqu’elles appartenaient à un monde qui n’était pas le sien, des idées d’inspiration marxiste s’agitaient derrière son front étroit.

— À qui ai-je l’honneur ? fit Agnès d’une voix glacée.

Elle essayait de mettre du sarcasme dans sa voix, mais le Corse ne s’y trompa pas et devina son trouble. Il était lourd et puissant, dans ce délicat fauteuil de style.

— Mon nom ne vous dirait pas grand-chose, fit-il. Je m’excuse de vous déranger, mais je viens rapport à une petite note impayée…

— Vraiment ?

Agnès se disait, de toute sa volonté : « Etre forte ! Le mépris, le calme ! Ne pas céder, ne pas frémir. »

— Oui, ça concerne un de vos bons amis, M. Hervé Vosges…

— Je ne connais personne de ce nom, dit Agnès, il s’agit, je pense, d’une méprise.

— Moi, je ne le pense pas, assura Tino en sortant de sa poche une photographie écornée.

Il la tendit à Agnès. La jeune femme ne la prit pas, mais elle y jeta un regard, car la tentation était trop forte. L’image la représentait, dans sa voiture, en train d’embrasser Hervé. Elle blêmit, désarçonnée par ce coup bas.

Elle revit, dans un éclair, l’auto qui s’était arrêtée à leur hauteur, sur le chemin de halage.

Ce n’était pas la voiture d’un voyeur, mais celle des gangsters. Ils avaient retrouvé la cachette d’Hervé et patiemment, avaient observé ses agissements. Cette photo mettait Agnès à leur merci. Avec ce rectangle de papier glacé, ils la tenaient sous leur coupe.

— C’est un peu flou, commenta Tino, parce que moi, la photo, c’est pas tellement mon fort. Mais l’essentiel, c’est que ça soit reconnaissable, non ?

Agnès s’enhardit et prit la photographie.

— Vous pouvez la garder, assura le Corse, j’en ai fait tirer plusieurs exemplaires.

Sur la photographie, on voyait la nuque d’Hervé. Et sur cette nuque la main délicate d’Agnès… Sa main droite au petit doigt de laquelle brillait sa fameuse bague représentant les serres d’un oiseau de proie, crispées sur une pierre précieuse…

La tête du jeune homme formait une masse noire à cause du contre-jour, et derrière, on apercevait la moitié du visage d’Agnès, les yeux clos…

— Votre petit copain, reprit Mattei, nous devait deux millions, rapport au préjudice qu’il a causé à un de mes bons amis… Avec les intérêts, maintenant, ça fera quatre… Il vaut mieux ne plus attendre, car ce capital ferait de trop gros petits…

Agnès jeta la photographie sur la table proche de Mattei. Il ne la toucha pas.

— Sortez, ordonna-t-elle, avant que j’appelle la police !

— Ma parole, fit Tino, vous ne comprenez rien à rien… Si vous ne pouvez pas me payer, dites-le, j’irai demander l’argent à votre mari… Je parie qu’il trouvera le flouze…

— Sortez ! répéta Agnès…

Sa voix était forte, ses yeux implacables.

« Cette salope serait capable de me buter », se dit le Corse.

Il se leva.

— Un dernier mot, madame Taride… J’attendrai demain à six heures au sous-sol du Marignan… Si vous ne m’apportez pas ce que je vous demande, j’irai trouver illico votre bonhomme, aussi vrai que je suis un homme !

Elle répéta encore, les dents serrées :

— Sortez !

Mattei gagna la porte.

Il était plus pâle qu’Agnès. Jamais personne — et surtout pas une femme, ne l’avait traité de la sorte ! Etre chassé comme un représentant d’aspirateurs, voilà qui le plongeait dans une noire fureur. Il aurait voulu flanquer une trempe à l’imprudente Mme Taride… En tout cas, il se promettait, qu’elle raque ou non, d’envoyer la photographie compromettante à son mari…

La domestique se précipita pour lui ouvrir la porte, mais il l’écarta d’un geste brusque en lançant un tonitruant : « Arrière, esclave ! » qui stupéfia la pauvre fille.