Выбрать главу

Puis il claqua la porte aussi fort qu’il put, et tout l’étage en frémit.

La photographie gisait toujours sur la table Louis XVI. Agnès la fît disparaître dans la poche ample de sa robe de chambre. Tête basse, elle revint auprès de son professeur qui faisait semblant de s’intéresser à un livre relié en l’attendant.

— Si ça ne vous ennuie pas, ce sera tout pour aujourd’hui, excusez-moi, fit Agnès.

L’autre passa sa veste sur son maillot d’athlétisme.

— À mardi ? bredouilla-t-il.

— C’est ça !

En le regardant disparaître, Agnès songeait : « Serai-je encore ici mardi ? » Elle avait deviné les intentions du truand. De toute façon, Taride dût-il être mis au courant, elle se refusait à verser un centime. Elle l’avait dit à Hervé : un maître chanteur ne s’arrête qu’à la ruine ou à la mort de sa victime.

Elle pénétra dans le somptueux bureau de son mari, ouvrit un tiroir du meuble pour y prendre une loupe. Elle examina l’image abandonnée par Mattei, pouce par pouce.

Elle se concentrait surtout sur son propre visage. Cette femme combative ne s’avouait pas vaincue. Elle lutterait jusqu’au bout, contre tous. Les truands ne lui faisaient pas peur : Elle se promettait réellement de porter plainte s’ils s’acharnaient…

Elle passa le restant de la matinée à réfléchir, n’interrompant sa rêverie que pour regarder la photo.

Vers midi, Eva entra dans sa chambre. Elle revenait du tennis, sa raquette sous le bras, encore rose d’excitation.

— Je suis vannée, dit-elle. Ça va, ma poule ? T’as l’air toute chose ce matin…

Elle l’embrassa et se jeta sur le lit de sa mère, les bras en croix.

Agnès vint s’asseoir près d’elle. Elle considérait sa fille étrangement.

— Ben quoi, qu’est-ce qu’il y a ? demanda Eva.

Agnès ôta sa bague et la fit sauter dans le creux de sa main.

— Si cette bague va à ton auriculaire, je te le dirai, décida-t-elle.

Du coup Eva se dressa, se demandant si sa mère n’avait pas perdu la raison.

— Tends ta main ! ordonna Agnès.

La jeune fille hésita, puis avança presque timidement sa main aux doigts écartés. Agnès respira profondément, un peu comme quelqu’un qui s’apprête à exécuter un exercice difficile.

— La droite ! rectifia Agnès.

Eva présenta sa main droite. Sa mère lui passa la bague au petit doigt. Elle allait parfaitement.

— Le sort a donc décidé, fit Agnès… Je vais te faire un aveu très pénible, ma chérie.

Eva, très femme, faisait jouer ses doigts pour mettre en valeur le bijou. Le rubis ressemblait à une grosse goutte de sang séché. Il captait des reflets perdus qu’il rougissait avant de les restituer.

— Elle te plaît ? demanda Agnès, pour reculer l’instant des confidences.

— Oui, puisqu’elle me vient de toi, fit Eva… Mais elle va te manquer ?

— Je crois, oui, admit Agnès… Je l’ai depuis si longtemps !

— Pourquoi me la donnes-tu ?

— C’est ce que je vais t’expliquer… Ne me remercie pas, c’est un cadeau forcé…

Elle croisa ses mains.

— J’ai un amant, Eva, dit-elle gravement.

La jeune fille sourit. Un petit rire d’autodéfense. Elle laissa retomber sa main ornée de la bague et son sourire mourut tandis qu’elle contemplait sa mère.

— Toi ?

— Oui. Je sais que les enfants croient toujours leur mère irréprochable… Mais c’est ainsi, pardonne-moi de me déconsidérer à tes yeux…

— T’es bête, dit Eva…

— Pourquoi ?

— De me sortir des « déconsidérer » comme ça, à bout portant… (Elle haussa les épaules.) Je suis surprise, d’abord. Mais pas peinée… Pourquoi le serais-je ? Si tu as un amant, c’est que tu es vivante ? Vivante ! C’est chic d’avoir une mère vivante ! Non ?

Agnès se demandait si sa fille était sincère, ou bien si elle voulait crâner.

— Mais pourquoi me racontes-tu ça ? fit Eva. Quel besoin, brusquement, de me prendre pour confidente ?

— Ce n’est pas un besoin, c’est une nécessité, déclara Agnès. Des voyous cherchent à me faire chanter.

— C’est vrai ?

— Oui…

Elle sortit de sa poche la fameuse photographie.

— Voilà !

Eva regarda le sujet, assez paisible en apparence…

— Tu n’es pas trop choquée ? demanda Agnès.

— Mince ! Je t’ai souvent vu embrasser Henri. Même avant que vous soyez mariés ! Il est beau gosse, ton amant ?

— Je t’en prie ! dit Agnès.

Elle était tranchante, beaucoup trop vu les circonstances. Elle soupira.

— Pardonne ma brusquerie, je ne me sens pas très fière, tu sais, ma choute !

Eva eut un haussement d’épaules.

— Oh ! je devine ce que tu peux éprouver. Même quand on est très libre avec sa fille, c’est empoisonnant de lui avouer qu’on s’envoie un gigolo…

— Pourquoi parles-tu d’un gigolo ?

— Ben, à la nuque de ce garçon, à sa coupe de cheveux aussi, je vois qu’il est jeune…

— Il l’est, avoua Agnès.

— Quel âge ?

— Oh ! laisse…

Eva revint à la préoccupation dominante.

— Alors, on essaie de te faire chanter ?

— Oui.

— On menace de montrer ce portrait de famille a Henri ?

— Voilà…

— C’est classique, non ?

— C’est classique parce que c’est très efficace, dit Agnès. Je dois prendre des précautions. Si Henri apprend que je le trompe, il nous flanquera dehors…

— Penses-tu, il tient trop à nous, fit Eva, rêveuse…

— Il tient davantage à son orgueil. Il n’est pas homme à accepter d’être trompé par une épouse plus jeune que lui, tu comprends ? Il fait un métier trop extérieur, trop voyant ! Il ne peut pas se permettre de savoir qu’il est cocu !

— Alors ? coupa Eva.

— Regarde bien cette photo, ma choute…

— Je la connais déjà par cœur, riposta Eva.

— Tu ne trouves pas qu’on pourrait très bien croire que c’est toi ?

Eva reprit la photographie en main…

— Oui, dit-elle, ça va, j’ai pigé, y compris ce don de la bague… Heureusement qu’on ne voit pas tes yeux car il aurait été impossible de donner le change, tu as un regard si particulier… Il faut que nous changions nos coiffures. Je vais adopter la tienne et toi tu vas en choisir une autre.

— Tu as raison, approuva Agnès…

Eva se leva.

— Comment s’appelle ton Jules ?

— Eva !

Agnès était mécontente, comme chaque fois qu’elle ne pouvait pas dominer la situation.

— Il faut bien que je sache quoi répondre à Henri quand il me questionnera.

— Il s’appelle Hervé Vosges…

— Âge ? demanda Eva, impitoyable.

— Vingt ans, fit Agnès avec effort.

— Eh bien, dis donc, tu aimes les poulets de grain !

Agnès faillit gifler sa fille. Elle se contint.

— Où habite-t-il ?

— Rue du Square-Carpeaux, au 1 !

Eva ferma les yeux et récita :

— Hervé Vosges, 1, rue du Square-Carpeaux… Et qu’est-ce qu’il fait, dans la vie, à part le charme de la tienne ? demanda-t-elle.

— Décorateur ! répondit Agnès…

— Tu ne crois pas qu’il serait bon que je le rencontre, ce valet de cœur ? Si jamais Henri a des doutes, j’aurais du mal à lui jouer la comédie en n’ayant jamais vu mon soi-disant partenaire…