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— Tu connais pas le Notaire comme moi, affirma Coco. C’est un type comme y en a pas deux. Et de nos jours, les filles ont de ces goûts bizarres !

Sur ces paroles sibyllines, elle emplit deux verres de vin.

— J’en aurai le cœur net, assura-t-elle après avoir bu.

Ficelle dégusta le rosé. C’était un breuvage émouvant qui flattait son palais et lui causait une délicate sensation de confort dans l’estomac.

— Et du côté de Tino ? fit Coco au bout de son deuxième verre.

Ficelle se rembrunit.

— Vois-tu, dit-il, je regrette de l’avoir mis dans le coup. Il a les dents longues et il se lance dans le grand travail. Moi, tout ce que je voulais au départ, c’était corriger le petit salaud qui a dérouillé notre pote !

— Qu’est-ce qu’il maquille ? s’informa Coco, distraite de son chagrin.

— Le garçon est allé se planquer à la cambrousse. Alors Tino s’en prend à sa maîtresse, une personne de la haute. Il pense lui faire douiller quatre briques !

— C’est pas elle qui a essayé de buter mon homme, pourtant !

— C’est bien pourquoi je te dis que l’affaire part en couilles. Il lui fait le coup de la chansonnette, avec le mari. Dans tout ça, le Notaire est pas vengé, vu que le petit mecton est laissé sur la touche !

Les yeux larmoyants de la Jolie flamboyèrent.

— Ne t’occupe, nous on le vengera… Ce petit fumier paiera ! On est là pour ça… Je n’ai plus rien d’autre à foutre dans la vie que de rechercher mon homme et de le venger.

Elle tendit à Ficelle une main béante, noire, luisante, fripée, dont les ongles en tuiles devenaient des griffes.

— T’es toujours d’accord pour m’aider ? demanda-t-elle.

— Toujours ! fit solennellement Ficelle.

27

Crispé sur ses rames, Hervé s’activait pour propulser la lourde barque à contre-courant. Un petit remorqueur, noir et haletant, remontait plus vite que lui en halant trois péniches chargées à couler.

Le garçon serrait les dents et enfonçait les avirons dans l’eau verte aussi vite qu’il le pouvait, voulant à toute force battre de vitesse le lent convoi poussif qui le narguait.

Ses efforts lui séchaient la gorge. Il avait l’impression de faire du surplace. La Marne lui paraissait plus dure que de la terre, plus dure que de l’asphalte… Il fermait les yeux, chaviré par la violence de ses gestes. Il se grisait de son épuisement.

Une voix de femme retentit sur la rive.

— Hou hououou !

Hervé reconnut la servante de son auberge qui courait en gesticulant à son intention.

— Téléphone ! hurla-t-elle, lorsqu’elle s’aperçut qu’Hervé l’avait vue.

Le jeune homme cessa de ramer. La barque céda à l’impulsion du courant et se mit à dériver. Il n’eut qu’à la diriger avec un aviron. Quelques minutes plus tard, il aborda, près du modeste établissement.

C’était un restaurant très simple, avec une terrasse aux tables de fer peintes en vert ornées de parasols multicolores.

La servante l’attendait. Hervé, en la regardant, se souvint de la scène de la voiture et il rougit comme s’il avait réellement fait avec elle ce que, dans son délire amoureux, Agnès lui avait suggéré.

— Téléphone ! répéta-t-elle.

C’était une grosse fille, à l’air niais et polisson, toute en fesses et en mamelles.

— Une dame, ajouta-t-elle avec reproche.

Hervé lui plaisait. Elle aurait eu pour lui toutes les bontés s’il avait voulu. Mais ça n’amusait pas le jeune homme.

Il courut jusqu’à la guinguette. Dans le réduit aux balais, sous l’escalier, l’écouteur téléphonique pendait au bout de son fil. La voix impatiente d’Agnès lançait régulièrement des « Allô » rageurs comme pour sonder le silence…

— C’est moi, annonça Hervé, sans souffle. Il avait tellement couru qu’un point brûlant lui vrillait le flanc gauche.

Agnès avait eu le temps de préparer ses mots. En termes concis, elle mit son amant au courant de la situation. En apprenant que les gangsters avaient retrouvé sa piste, Hervé poussa un cri de désespoir. Il eut en direction de la porte un regard effrayé. Il crut deviner une présence invisible, menaçante. Peut-être les hommes étaient-ils là, tout près.

— Tu n’as rien à craindre, fit Agnès, puisque c’est à moi qu’ils s’en prennent !

— Justement, dit Hervé. Ils vont se venger, me liquider… Oh ! je t’en supplie, Gnès ! Débrouille-toi pour payer ! Si tu les calmes avec de l’argent, ils nous laisseront tranquilles.

— Ne sois pas ridicule, coupa Agnès. Tout se passera bien. J’ai mis ma fille au courant… Elle…

— Tu as fait ça ! balbutia Hervé.

— Il le fallait. Sur la photo dont je te parle, nous pouvons très bien passer l’une pour l’autre car, grâce à Dieu, le cliché n’est pas fameux…

Hervé l’écoutait d’une oreille distraite. Une seule idée l’habitait : fuir ! Se sauver, semer ceux qui le harcelaient… Aller dans un endroit secret où on ne pourrait pas le retrouver… Mais cet endroit existait-il ? Il commençait à en douter.

Ces hommes étaient plus rusés que lui. Leur ténacité l’épouvantait.

— Mon mari cherchera certainement à te rencontrer. Dis-lui que tu connais ma fille Eva, depuis quelques semaines… Moi tu ne m’as jamais vue, compris ?

— C’est impossible, Gnès, gémit Hervé… Il faut payer ! Il le faut !

Elle eut une sorte de glapissement qui traduisit son exaspération.

— Vas-tu te taire, faire ce que je dis ? C’est simple comme tout. Mon mari te croira car il a confiance en moi. Seulement je ne puis te rencontrer… Une seconde photographie, mieux tirée, serait catastrophique…

Hervé l’interrompit. Il venait de prendre une décision irrévocable.

— Ecoute-moi bien, Gnès. C’est toi qui m’as mis dans ce merdier, c’est à toi de m’en sortir. Pour cela, je ne vois qu’une seule solution : tu paies les truands pour qu’ils me laissent tranquille. J’en ai marre de tes combines. Je n’en peux plus, moi ! Si tu refuses de payer, Agnès, écoute-moi bien… si tu refuses, je dis tout à ton mari. Tout !

Il y eut un brusque silence : Hervé crut qu’elle avait raccroché.

— Tu es là, Gnès ?

— Petit saligaud ! répondit-elle.

— Oh ! ce n’est pas la peine de m’insulter, fit-il… Tu comprends bien que je suis à bout. Tu paies ou je parle. Choisis…

— Il faut que je te voie, coupa Agnès.

— Tu dis toi-même que c’est imprudent.

Elle murmura :

— Attends, je réfléchis…

Puis, presque aussitôt :

— Tu vas quitter ton auberge… Prends garde de ne pas être suivi. C’est à Paris que tu réussiras le plus facilement à semer ceux qui pourraient te filer… Lorsque tu seras bien certain de n’avoir personne à tes trousses, téléphone-moi ; j’attendrai toute la journée chez moi.

— Entendu, dit Hervé.

Il raccrocha : Sa peur se dissipait un peu, à cause de la fermeté dont il venait de faire preuve.

L’auberge était presque vide, à l’exception d’un vieux pêcheur en « bleus » coiffé d’une casquette à visière noire qui buvait du vin blanc au comptoir avec le patron. Dans la cour, un marchand de spiritueux déchargeait des caisses de bouteilles. Hervé s’approcha du livreur.