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Une sonnerie fit sursauter l’ancien clochard. Il se dirigea vers la porte d’entrée.

Jeanne Huvet venait de partir. Le Notaire trouvait le studio terriblement vide. La présence du malade contribuait à donner à Valmy cette notion aiguë de solitude.

Le Notaire ouvrit et fronça les sourcils en apercevant un couple élégant sur le seuil. L’homme était un peu plus âgé que lui et vêtu avec recherche. Sa compagne, une très jeune fille, causa au Notaire un malaise inexplicable.

— M. Vosges est-il ici ? demanda Taride.

— Il est malade… C’est à quel sujet ?

Henri désigna Eva d’un hochement de tête.

— Mademoiselle est… sa fiancée. Nous lui rendions visite.

Valmy hésita.

— Entrez, soupira-t-il.

Cette fiancée, tombant du ciel, risquait de troubler ses projets.

Il guida les visiteurs jusqu’au divan où reposait Hervé. Le jeune homme dormait. Il avait toujours son masque d’agonisant, aux yeux profondément cernés, au teint cuivré. Son front en sueur disait sa fièvre.

Eva crut rêver en reconnaissant son jeune compagnon de La Frite. Elle avait souvent pensé à lui depuis la fameuse soirée de leur rencontre… Elle croyait ne jamais le revoir. Sa stupeur était telle qu’elle se pencha sur lui à le toucher pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une ressemblance. Un tel hasard était si énorme !

Le Notaire mit le trouble de la visiteuse sur le compte de l’émotion. Taride aussi avait reconnu le jeune homme. Il se souvenait parfaitement de lui. Du coup, ses ultimes doutes s’envolèrent.

— Qu’a-t-il ? demanda-t-il au Notaire.

— Intoxication, répondit évasivement ce dernier…

— C’est grave ?

— Vous voyez…

— Vous êtes… son père ?

— Non, son ami…

Il n’avait pas envie de se présenter. Il était plus inhumain encore que les autres jours. Ces gens l’ennuyaient. Ils apportaient une bouffée d’air frais, un parfum cossu, qui troublaient le charme morbide de sa claustration.

Eva songea qu’elle devait se comporter comme une véritable « fiancée ».

— Que puis-je faire ? demanda-t-elle.

— Rien, fit Valmy. Il lui faut du repos…

— Nous prendrons de ses nouvelles, promit Taride.

Il avait flairé l’antagonisme du garde-malade. Ce curieux bonhomme aux façons revêches l’intimidait un peu.

— C’est ça, fit le Notaire.

La conversation s’était déroulée à voix feutrée, dans la pénombre. En quittant l’appartement, Taride respira profondément pour expulser de ses poumons un air qu’il jugeait vicié.

— Tu ne sembles pas terriblement affectée ?

— Pourquoi le serais-je, objecta Eva, puisque je ne l’aime pas ?

— Nom de Dieu ! tonna Henri, quand finiras-tu d’embrasser des hommes que tu n’aimes pas ! Si tes sens te tarabustent, ma pauvre fille, choisis un garçon qui te plaise, et…

Il n’acheva pas sa phrase. Il était heureux, brusquement. Son grand malheur de la nuit cessait de le tourmenter. Il se mettait à faire jour en lui, simplement parce qu’Eva prétendait ne pas aimer Hervé Vosges.

— Le pauvre bougre est dans un triste état !

— Oui !

— Tu y crois, toi, à la fameuse intoxication ?

Elle était justement en train d’y songer.

— Pourquoi dis-tu ça, Henri ?

— Je ne sais pas… Une idée. Quelque chose me dit que ce garçon a voulu se suicider. Tu ne lui aurais pas signifié son congé, par hasard ?

Elle sauta sur la perche qu’il lui présentait.

— Si, tu as deviné.

Le brusque bonheur de Taride s’accrut.

— Ma foi, je pense que tu as eu raison. Il devait mener une vie pas catholique, si j’en crois ses bons camarades… Que ça te serve de leçon !

Ils avaient rejoint la somptueuse voiture américaine dont les pare-chocs en forme d’obus brillaient, agressifs.

— Je te dépose où ? demanda Taride.

— Où tu voudras…

— Veux-tu venir au bureau ?

— D’accord, mais quoi fiche ?

— Travailler.

— Je ne sais rien faire, sourit tristement Eva.

— Justement, tu apprendrais. Après, tu verras, on ne peut plus s’en passer. Alors je t’embarque, ou tu restes inscrite au chômage ?

Elle hésita, la pluie qui tombait à verse la décida.

— Oui, Henri… Tu m’embarques.

Quand Taride et sa belle-fille furent partis, Valmy éprouva un grand soulagement. L’arrivée de ces gens avait rompu un curieux charme qu’il savourait sans s’en douter. Jeanne était allée travailler, mais elle avait promis de revenir à midi. Le Notaire l’attendit avec impatience, assis au chevet d’Hervé, les mains croisées sur le ventre, plus farouche que jamais.

Il ne se tourmentait plus pour le jeune garçon. Son instinct l’avertissait que le malade s’en tirerait. Pendant près de quarante-huit heures, il l’avait vu se débattre contre les effets du poison et il flaira sa victoire. Une ou deux fois, Hervé Vosges avait repris conscience ; son regard comateux s’était posé sur Valmy et celui-ci y avait lu une curiosité stupéfaite… Puis la lucidité du malade avait chaviré sur ce point d’interrogation.

Hervé poussa un gémissement. Valmy sursauta… Depuis combien de temps était-il ainsi prostré ? À nouveau, Hervé le regardait, mais il y avait dans son regard fiévreux un éclat plus soutenu. Valmy prit un linge mouillé et lui essuya les joues et le front.

— Ça va mieux ?

Hervé soupira.

— Oui. Je suis guéri…

— Je le pense aussi, fit le Notaire, mais il reste du chemin à parcourir, mon garçon…

— Vous êtes resté ici ? questionna le malade.

— Vous voyez !

— Pourquoi ?

— Pour vous soigner.

— C’est moi qui vous ai assommé dans l’impasse.

— Vous me l’avez déjà dit et je le savais…

— Vous ne m’en voulez pas ?

— Au contraire, dit Valmy en souriant tristement ; je vous en suis reconnaissant. En me tapant sur la tête, vous avez déclenché un phénomène semblable à celui qui rend la mémoire à un amnésique…

— Je suis un salaud, balbutia Hervé.

Il ferma les yeux. Sa poitrine se souleva comme s’il n’arrivait plus à reprendre son souffle. Il eut une profonde expiration et rouvrit les yeux.

— C’est elle qui m’a poussé à vous tuer ! fit-il.

— Je sais aussi cela. Ma vie la gênait donc ? Elle ne tenait pourtant pas beaucoup de place…

— C’est à cause de l’argent. Elle m’avait dit que lorsqu’elle l’aurait touché, elle quitterait son mari pour vivre avec moi.

— L’argent ! s’écria Valmy, étonné.

Il ne comprenait pas. Mais Hervé venait de refermer ses yeux. Ses lèvres remuaient encore, essayant de formuler des phrases qu’il n’avait plus la force de penser. Valmy reprit sa position d’attente. Il se sentait éternel comme le monde.

Jeanne arriva une heure plus tard. Elle s’était dépêchée au maximum et revenait, nantie de médicaments.

— J’ai posé des questions au docteur Rabillou sur cette forme d’empoisonnement, expliqua-t-elle en déposant les remèdes sur la table. Il m’a fait tout un cours sur le traitement complet. Il paraît qu’il convient d’administrer un tonicardiaque et un régénérateur du sang…