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Taride devint grave et lui fît signe d’entrer.

Eva n’avait jamais vu Tino, mais elle l’identifia d’après la description minutieuse que lui en avait fait sa mère.

Pour son beau-père, elle devait feindre de le connaître.

— Tiens, le visiteur du soir, gouailla Eva.

Tino la regarda. C’était un regard qui écœurait à force d’intensité.

— Qu’est-ce qui vous arrive, ma petite demoiselle ? demanda-t-il.

Eva ne répondit pas. Tino entra dans le bureau. Le Dingo venait de s’attarder sur une immense affiche de film tapissant un mur du hall. Lorsqu’il s’arracha à son examen, il ne vit plus le caïd et se mit à galoper pour le rejoindre.

Tino avait choisi le meilleur fauteuil, et il s’y pavanait déjà, le feutre sur le genou…

— Ferme la porte ! intima-t-il au Dingo.

Il trouvait l’attitude de Taride suspecte. Le vieux truand avait des antennes qui l’avertissaient du danger.

— Où en sommes-nous ? demanda-t-il, vous avez le premier versement ?

— Non, dit Taride, et vous n’aurez pas un sou !

Tino resta impavide.

— C’est comme vous voulez, dit-il.

Taride poussa le taquet d’ébonite noire de son magnétophone de bureau.

— Ecoutez ça, dit-il.

Il avait préparé la bande magnétique ; elle se déroula à l’endroit où il l’avait subrepticement déclenchée, la veille.

« C’est à vous que je viens présenter la note… »

À la troisième phrase, vert de rage, Tino fit un geste de la main.

— Ça va, vous pouvez couper, j’ai compris le principe.

Sa voix était si froide qu’on n’y percevait plus l’accent corse.

— Voyez-vous, fit Taride, c’est de la déformation professionnelle. Lorsque j’ai un entretien important, je déclenche mon magnéto au pied. C’est un petit système qui n’est pas breveté, mais qui rend néanmoins de grands services.

Il arrêta l’appareil et, contournant le bureau, ouvrit la porte.

— Eva, fit-il, veux-tu venir un instant ?

Elle entra dans le bureau d’une allure incertaine. Elle appréhendait cette scène inévitable de la confrontation. De cette entrevue allait dépendre le salut de sa mère. Il fallait jouer le jeu jusqu’au bout.

Taride la prit par la main et l’amena devant Mattei.

— Vous avez commis une légère erreur, mon vieux, dit-il. Ce n’est pas ma femme, mais ma belle-fille, que vous avez photographiée…

— Qu’est-ce qu’il débloque ! s’écria le Dingo.

— Ta gueule ! lança Tino.

Le caïd cherchait à comprendre cette confusion. Il regardait attentivement Eva. De toute évidence, il s’agissait de la fille d’Agnès. Son cerveau fonctionnait à toute allure et il avait deux rides profondes en travers du front. Il comprit soudain. Malgré elle, elle lui lança une supplique muette. Toute son âme passait dans cette exhortation pathétique. Tino réfléchit. « Ces deux garces ont chambré mon homme. Comme la photo n’était pas formide, elles lui ont fait croire que c’est à la gosse qu’on a tiré le portrait. »

Il fut sur le point de détromper Taride. Tout compte fait, il se ravisa. À cause de cette nouvelle face de l’affaire, il envisageait une autre exploitation.

Il se leva.

— Bon, n’en parlons plus, dit-il. On s’est mis dedans…

Il cligna de l’œil au Dingo, ahuri.

— Tu vois, mon gars, on a été mal renseignés.

— Filez ! Et que je ne vous revoie plus, gronda Taride. Vous avez de la chance que je ne prévienne pas la police… Cette bande magnétique pourrait vous coûter cher !

— En effet, dit Tino, on a de la chance de tomber sur quelqu’un de compréhensif.

— Je souhaite ne plus entendre parler de vous, dit encore l’homme d’affaires. À votre place, je laisserais tomber ce genre d’industrie.

— Rengainez vos sermons, mon Révérend, fit le truand avec humeur.

Il se planta devant Eva, lui dédia un mauvais sourire, lourd de menaces. Puis il partit, suivi de Dingo, qui trottinait derrière lui comme un chien.

Lorsque les deux truands se retrouvèrent sur l’avenue George-V, ils se regardèrent.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda le Dingo auquel il fallait toujours expliquer les instants délicats qu’il venait de vivre.

— Un drôle de micmac, repartit Mattei.

— Raconte…

— La femme à Taride a fait croire à son Jules que c’était sa fille qui se farcissait le petit cavillon.

— Il l’a cru ?

— Les hommes sont pommes !

— Et la fille, qu’est-ce qu’elle dit de ça ?

— Elle dit « amen », répondit Tino.

— Pourquoi qu’on n’a pas cassé la cabane ? interrogea le Dingo d’un ton lourd de regrets.

— Ç’aurait servi à rien ; ce Taride est pigeon avec les nanas, mais il reste duraille à manœuvrer.

— En somme, on est marron ?

— Pas encore, affirma le caïd, j’ai pas l’habitude de marner pour la peau.

Ils descendirent les Champs-Elysées sous la pluie. Les terrasses couvertes étaient bondées et des crieurs de journaux s’égosillaient à annoncer une menace de crue de la Seine et de ses affluents.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Le Corse n’en savait encore rien. Il aurait dû être furieux, mais il se sentait devenir curieusement euphorique.

Il mit la main sur le bras de Dingo.

— Tout ce que je peux te dire, annonça-t-il, c’est que je ferai quelque chose !

35

Il eut la même phrase que l’après-midi, lorsqu’il avait ouvert les yeux après le départ de Taride et de sa belle-fille.

— Je suis guéri.

Mais cette fois on pouvait accorder quelque crédit à cette affirmation, car son visage reprenait vie. Les cernes de ses yeux étaient moins profonds et son teint perdait ses reflets verdâtres.

Le Notaire poussa un grand soupir de contentement.

— Jeanne ! appela-t-il.

La jeune fille préparait un repas frugal dans la cuisine. Elle parut dans l’encadrement de la porte, un petit tablier bleu noué à la taille.

— Vous voyez ! dit Valmy en montrant Hervé.

Elle s’avança, émue par ce retour à l’existence, plus qu’elle ne l’avait jamais été au cours de sa jeune carrière d’infirmière.

— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle.

Hervé remua la tête pour signifier qu’il allait mieux.

— Je vous reconnais, soupira-t-il ; vous êtes la jeune infirmière…

— Ne vous agitez pas !

Il sortit avec effort ses bras de sous les draps. C’était son premier mouvement, son premier geste qui le faisait renouer avec l’avenir. Il tendait de nouveau ses mains brûlantes à la ronde des vivants.

Jeanne lui prépara une potion qu’il but sans effort. La jeune fille retourna à la cuisine. Il guettait ce départ, car il avait besoin de se retrouver seul avec Valmy.

— Où suis-je ? demanda-t-il en contemplant la chambre vieillotte des parents de Jeanne.

— Chez la petite, dit le Notaire.

— Pourquoi ?

— Il fallait vous soigner, non ?

Il n’insista pas. Valmy s’exprimait sur un ton bourra, mais où perçaient des inflexions presque tendres.

— J’ai rêvé que j’étais empoisonné, dit Hervé.