Выбрать главу

Elle parut s’engloutir. L’homme crut qu’elle ne réapparaîtrait jamais ; mais elle émergea, dix mètres plus loin, et acheva la traversée du bassin.

Il la vit monter l’échelle, s’ébrouer sur le tapis de corde et retourner au plongeoir. Lorsqu’elle marchait, son buste semblait rester immobile ; ses hanches bien faites, seules, accusaient un léger mouvement ondulatoire. Ses cuisses longues, aux muscles durs, firent frémir son admirateur. Lorsqu’elle arriva à sa hauteur, il murmura :

— Vous êtes une vraie sirène, madame Taride !

Agnès tourna la tête et reconnut son maître chanteur.

Ce jour-là, Tino portait un complet de gabardine bleu pétrole et une chemise jaune paille ; il ressemblait à une réclame pour le Pernod.

— Comment osez-vous, commença Agnès, indignée.

— Mollo, dit le Corse, j’ai payé mon entrée comme vous !

— Vous m’avez suivie ?

— En voilà une idée !

Des petites rides se formaient autour de ses yeux. Et pourtant il ne riait pas, son regard restait dur et méchant.

— Que me voulez-vous ? demanda Agnès…

— Moi ? Rien…

Il croisa ses mains derrière sa nuque, se vautra dans la chaise de toile et s’abîma dans la contemplation des marronniers dont les frondaisons dépassaient les montants de la péniche. Agnès hésita, puis retourna au plongeoir, les dents serrées, marchant d’un pas feutré et félin. Elle gravit l’échelon du tremplin, s’appliquant à ne pas regarder en direction du Corse. Sa seule arme, c’était l’indifférence. Elle devait se comporter comme si l’autre n’avait pas été là, comme s’il n’affectait aucunement sa tranquillité. Elle plongea encore, parcourut le même périple que précédemment. Mais lorsqu’elle repassa devant le fauteuil du caïd elle s’aperçut que le siège était vide.

Elle resta encore un moment à Deligny, plongeant, nageant, tout en surveillant la foule sans qu’il y paraisse ; nulle part elle ne revit Tino. Il avait dû repartir après l’avoir effrayée. Que mijotait-il donc, ce type brun aux yeux de glace ? Les loups ne lâchent pas souvent leur proie…

Lorsqu’elle fut certaine qu’il ne se trouvait plus dans la piscine, elle passa sous la douche, puis courut à sa cabine, pour se rhabiller. Ruisselante, elle entrouvrit la porte : Tino était assis sur la tablette du réduit, une cigarette aux lèvres. Elle réprima une exclamation, voulut se rejeter en arrière, mais la main preste du Corse venait de lui saisir le bras et l’attirait à l’intérieur.

— N’aie pas peur, ma belle, fit Tino, je te veux pas de mal…

Agnès eut peur du scandale. Elle entra, tira la porte à elle.

D’un doigt négligent, Tino mit le verrou.

— On est mieux ici pour causer, chuchota-t-il. Ça manque un peu de confort, mais lorsqu’on s’entend, moins on a de place, mieux ça vaut !

— Sortez immédiatement ! fit Agnès à voix basse.

L’homme respirait sur ses épaules nues. Elle frissonna. Ce contact de mâle puissant la chavirait un peu… Et puis il y avait sa quasi-nudité, l’exiguïté de la cabine, la pénombre…

Le rayon de lumière en forme de trèfle éclairait une partie du visage de Mattei. Elle ne distinguait que son œil gauche.

— Sortez ! répéta-t-elle.

Il rit et la prit par la taille…

— Vous m’entendez ! s’obstina Agnès.

La situation était incohérente. Ce voyou qui l’enlaçait dans ce réduit, ces chuchotements, son corps à elle, ruisselant d’eau… Et le brouhaha ambiant, en fond sonore… Les gifles fluides que faisaient les corps des plongeurs…

Elle gémit :

— Lâchez-moi… Je vous en supplie !

— Ta gueule, dit Tino..

De sa main libre il saisit une bride du maillot et tira. Cela produisit un bruit d’étoffe déchirée. Il fit sauter l’autre bride avec la même facilité…

— Vous êtes fou ! balbutia Agnès à l’oreille de son tourmenteur.

— Ta gueule ! répéta le Corse.

Elle avait envie de crier, de rage et de plaisir. La main avide de l’homme la pétrissait durement : il massa ses seins dressés, suivit lentement la courbe des hanches, puis eut une audace brutale qui fit gémir Agnès.

— Ecoute, murmura le Corse, je m’en suis ressenti pour toi sitôt que je t’ai vue… Alors, je passe sur le fric, à condition que tu fasses pas ta bêcheuse… Si hier j’ai laissé ton cornard mordre à tes vannes, c’est pour te prouver que je t’ai à la chouette. Maintenant, faut que tu me paies… T’entends, madame Taride ? Faut que tu me paies !

Il écrasa ses rudes lèvres sur celles d’Agnès. Elle n’avait jamais connu amant plus ardent que ce truand. Il exagérait sa brutalité, lui faisait mal ; un mal qui se muait aussitôt en un ineffable plaisir pour cette femme passionnée.

Tino la renversa contre la cloison. Il finit d’arracher son maillot de bain et la prit violemment en lui mordant la bouche jusqu’au sang.

37

Le directeur de la Léman Company, assurance suisse, ayant un siège dans toutes les grandes capitales, regarda son interlocuteur à travers des lunettes semblables à des hublots.

Il était presque chauve, avec une dernière mèche sans couleur collée sur le dessus de son crâne plat et il parlait minutieusement, après avoir contrôlé chaque mot.

— D’après les clauses de votre contrat, monsieur Valmy, déclara-t-il en tapotant le dossier étalé devant lui, il n’est pas prévu de remboursement fractionné du capital versé. Il vous reste à payer les primes durant encore quatorze ans ; ensuite de quoi, après un délai de cinq ans, vous toucherez si vous êtes toujours vivant, ce que je souhaite…

« Formule toute faite, songea Lucien. Les assureurs ne baratinent qu’au cliché ! »

Il écoutait discourir son interlocuteur d’une oreille distraite.

Tout cela, c’était du boniment professionnel. Il fallait laisser l’autre se vider de son charabia. Il prit une pose commode et fixa la main constellée de taches de rousseur du directeur, pour lui donner à croire qu’il méditait.

Cette main semblait posséder une vie autonome. Elle était épaisse, monstrueuse.

Il y eut un silence. Valmy releva le menton. Derrière ses verres ronds, l’assureur semblait attendre des réactions de son client. Valmy réprima un bâillement.

— Je comprends fort bien votre point de vue, monsieur le directeur. Mais le mien est encore plus catégorique que le vôtre… Jusqu’ici, votre compagnie a reçu de moi, d’après le total que vous venez d’établir, neuf millions huit cent mille francs de prime. Je vous demande l’annulation de mon contrat contre une somme de six millions. Vous gagnez donc trois millions six cent mille francs. Si vous refusez, je mets fin à mes jours dans la semaine qui vient. Le suicide n’étant pas exclu du contrat, vous perdez donc dix millions deux cent mille francs…

Il venait d’énoncer cela d’un ton détaché, comme s’il s’agissait de la chose la plus banale qu’on puisse imaginer.

— Vous suicider ! sourit le directeur… Allons donc !

— Voulez-vous relever le pari ? demanda froidement Valmy.

L’autre posa ses lunettes qui le faisaient ressembler à un batracien. Ses yeux devinrent minuscules et larmoyants. Il prit dans la poche supérieure de son veston une petite peau de chamois dentelée et astiqua ses verres.

— Pourquoi vous suicideriez-vous ? demanda-t-il.

Valmy sourit.

— Je vous répondrai par une parole de Sartre :

« Aucun existant ne peut justifier l’existence d’un autre existant ! »