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— Mais ce serait de la folie pure, cher monsieur, protesta l’autre, dérouté par le langage de son interlocuteur.

— La folie n’est pas une clause de caducité du contrat, objecta Valmy.

Il se leva.

— Je vois que vous êtes réticent et pas convaincu, monsieur le directeur. Restons-en là et attendons l’avenir…

C’était la meilleure attitude à adopter, celle qui pouvait avoir le plus d’effet sur le directeur de la Léman Company. Dans sa carrière d’assureur, le digne personnage avait eu l’occasion de croiser bien des fous. Il ne douta plus un instant que son client en fût un et qu’il mît son funeste projet à exécution par pure bravade.

— Attendez, attendez, voyons ! se lamenta l’assureur.

Valmy se rassit.

— Je trouve très déraisonnables vos… vos intentions…

— Là n’est pas la question, assura posément le Notaire.

— Jusqu’ici vous avez payé régulièrement vos primes ; sans nul doute elles ont pris place dans votre budget et ne sont pas gênantes pour votre trésorerie…

Valmy sourit dans sa barbe. On lui parlait de son budget, de sa trésorerie… À lui qui n’avait en poche que la monnaie du billet de mille francs que Jeanne avait à toutes forces voulu lui donner.

— Monsieur le directeur, permettez-moi de vous dire que malgré votre talent oratoire, vous ne réussirez pas à me convaincre… Je n’attends plus de vous qu’un tout petit mot de trois lettres ; oui ou non !

— Eh bien ! puisque vous y tenez tellement, je vais essayer d’arranger cela, céda l’assureur. Seulement, je dois en référer à mon siège…

— Je suis très pressé !

— Laissez-moi au moins quelques jours.

— Non, trancha Valmy, quelques heures au plus, et avec votre permission, je les passerai dans votre salle d’attente, puisqu’elle est faite pour ça. J’ai d’ailleurs remarqué en attendant d’être reçu des revues fort intéressantes…

— Je n’ai jamais vu un client comme vous, dit sincèrement le directeur.

Lorsque Valmy quitta le siège de la Léman Company, il était lesté d’un chèque de six millions de francs. Il descendit la rue La Fayette en souriant d’aise. Ce retournement de condition lui paraissait fabuleux, et le bon tour qu’il venait de jouer à Agnès le ravissait. Pendant des années elle avait édifié son sale coup ; elle avait payé les primes en temps utile, demandé le rajustement de la police… Pour cela elle avait fait un faux ! Et c’était lui qui, par un heureux coup de dés, retirait les marrons du feu.

Valmy se disait que si, une nuit, Hervé Vosges ne s’était pas embusqué dans son impasse, grelottant de frousse, pour lui cogner sur la tête avec un morceau de ferraille, jamais tout cela ne se serait produit.

Son avant-dernière opération financière se montait à cent cinquante francs, soit la vente de trois robinets volés à la S.N.C.F. !

— Je suis en net progrès, se dit Valmy.

Il marchait d’une allure molle d’homme comblé. De temps à autre, il portait la main à sa poche pour entendre craquer le petit rectangle de papier rose. Il se dit brusquement que, pour toucher son argent, il devait se faire ouvrir un compte bancaire. Il entra dans une agence du Comptoir National d’Escompte. C’était celle sur laquelle le chèque était tiré précisément. Cela simplifia les formalités et il put ainsi retirer immédiatement de l’argent. Il prit cent mille francs et donna l’adresse de Jeanne, afin de s’y faire adresser le chéquier qu’on devait lui préparer… La vie était belle décidément !

Comme il sortait de la banque, quelqu’un se jeta dans ses jambes. Il recula et fronça les sourcils en reconnaissant Ficelle. Il savait bien que la rencontre était inévitable un jour ou l’autre et que l’obstination du petit homme en noir l’emporterait. Mais ces retrouvailles lui parurent intempestives et gâchèrent sa joie.

La figure extasiée de Ficelle atténua sa maussaderie. Le clochard semblait transporté d’un rare bonheur en voyant son ami.

— C’est pas dommage, dit-il en agitant le bras de Valmy comme un levier de pompe… On peut dire que ça fait un bout de temps que je te cherche !

Il fit un pas en arrière pour avoir une vue d’ensemble de son ancien compagnon de beuverie.

— On a du mal à te reconnaître ! affirma-t-il. Un vrai seigneur, ma parole ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Valmy ne pouvait plus couper aux explications.

— Viens, fit-il en pénétrant dans un café proche.

C’était la première fois, depuis sa sortie de l’hôpital, qu’il entrait dans un bistrot. Il avait pensé que cette reprise de contact s’effectuerait autrement… Il posa la main sur le comptoir d’étain, huma les senteurs et resta silencieux, à guetter des impressions perdues…

— Deux rosés ! fit son compagnon.

— Non, rectifia Valmy, un rosé et une eau minérale… Le barman louchait sur l’étrange couple.

Ficelle regarda, muet de réprobation, le garçon déposer un quart Perrier devant son compagnon. Cette petite bouteille en forme de quille le bouleversait davantage que le beau complet de Valmy.

— Eh bien ! nom d’un chien, soupira-t-il, qui qui m’aurait dit ça… T’es malade ?

— Oui, fit le Notaire. Je suis malade…

— Raconte tout. Comment ça se fait qu’on n’a plus pu te voir à l’hosto ?

Valmy haussa les épaules. Il but son verre d’eau. Les bulles pétillantes lui picotèrent la langue. Il n’avait pas envie d’expliquer ; c’était trop long, trop difficile avec Ficelle. Ils parlaient, chacun d’un côté d’une frontière, deux langues tellement différentes désormais.

— Ecoute, Ficelle…

L’autre sentait le rance, l’urine… Jamais Valmy ne s’en était rendu compte autrefois. Et Ficelle avait le bord des yeux rouges, marqués d’humeur dans les coins.

— Ecoute, Ficelle, je ne peux pas t’expliquer… Avant d’être clodo, j’appartenais à un monde… comment te dire…

Le silence ressemblait à un sanglot. Il y avait un noir chagrin avec leur entrevue. Ils ressentaient cela différemment, mais avec la même intensité.

— T’es sûr qu’un petit rouge te ferait du mal ? demanda doucement Ficelle qui cherchait une thérapeutique efficace.

— Il me tuerait ! affirma Valmy.

« Je voulais te dire qu’à l’hosto je me suis retrouvé, comme avant… »

— Bref, t’as laissé choir la cloche ?

— Ce n’est pas ma faute !

— Dans le fond, reconnut Ficelle, t’as jamais été vraiment des nôtres…

— Tu le crois ?

— Parole ! On s’en apercevait bien tous… Même Coco !

— Ne me parle pas d’elle, ça me dégoûte !

Ficelle se rembrunit, car il avait horreur de l’injustice.

— T’as tort, fit-il. T’as tort, Notaire… Cette femme, d’accord, elle est pas laubée, mais elle t’a dans la peau. Depuis que t’as disparu, elle se ronge de chagrin comme tu peux pas savoir…

— Je te dis de ne plus me parler d’elle. Quand tu la verras, tu lui diras…

— Je lui dirai quoi ? interrogea l’homme au grand nez.

— Que je suis mort ! conclut Valmy… Et dans un sens, vois-tu, c’est la vérité. Je suis mort pour elle… Mort pour vous… Ç’a été un passage parmi vous, tu comprends ? Rien qu’un passage…

Le sensible petit bonhomme essuya ses yeux embués.

— Parle pas comme ça, Notaire, ça me fait trop triste… Je t’aimais bien. Je sentais que t’étais pas heureux, que t’avais dans le fond du placard un mal tout pourri qui pouvait pas guérir. Même quand t’étais blindé, Notaire, même quand tu déconnais, t’avais quelque chose sur la frime qui me serrait le cœur.