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Il loucha sur son verre vide.

— Tu permets que j’en reprenne un ?

— Je t’en prie…

Ficelle fit emplir son verre. Devant ce comptoir, il ressemblait à un pingouin mité.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de chantage ? questionna le Notaire.

— Ah ! M’en parle pas… Quand j’ai retrouvé la piste du petit fumier qui t’as estourbi, j’ai pensé qu’on devait le passer à la purge. Tout seul, censément, je pouvais rien faire… J’ai dit à Tontaine de m’envoyer son frangin en renfort… Mais Tino, tu le connais : il a des dents d’ogre… Il s’est démerdé pour apprendre que le mecton se faisait financer par une dame de la haute et il a dit comme ça…

— Je sais ! Aussi je vais te charger d’une commission, coupa Valmy. Tu vas aller trouver Tino de ma part et lui dire qu’il laisse tomber. Je ne veux pas qu’on me venge, je suis assez grand pour ça… Et si on touchait un cheveu du petit Vosges, on aurait affaire à moi !

— Ce que t’as l’air mauvais ! remarqua Ficelle.

La figure du Notaire s’apaisa.

— Tu lui diras ?

— Je lui dirai, promit Ficelle.

— Bon.

Valmy sortit de sa poche la liasse de billets de dix mille francs tout neufs qu’il venait de retirer. Il éplucha deux coupures et les tendit à Ficelle hypnotisé.

— Un pour toi, un pour Coco… Ça vous fait des cuites en perspective, non ?

— Mais qu’est-ce qui t’est donc arrivé, Notaire ! pleurnicha Ficelle, ensorcelé par la vue de tout cet argent.

Valmy remisa la liasse.

— Cherche pas à comprendre, je te dis… Quand on veut comprendre les mystères, on est toujours déçu !

Ficelle ramassa les deux billets.

— T’es en ménage avec ton infirmière, hein ? dit-il en clignant de l’œil… La Jolie s’en est doutée tout de suite. Elle m’a dit que la môme t’avait au béguin…

— Je vis en effet chez elle, convint Valmy… Mais il n’y a rien entre nous…

— Pourquoi que tu me mens ! Si une fille t’emmène chez elle, c’est pas pour racler les parquets, non ? Avec ta belle gueule triste, c’était fatal que tu fasses des ravages…

Le Notaire posa sa main sur l’épaule de son ancien camarade.

— C’est pour ça qu’il faut nous foutre la paix, tu saisis ?

— Eh bien bonne chance, dit tristement Ficelle. Si des fois tu pouvais être heureux, ça serait pas volé.

Il sortit du café, le dos rond, après avoir pressé la main du Notaire.

Dans le taxi qui le ramenait rue du Chemin-Vert, Valmy songeait qu’en définitive cette confrontation tant redoutée avec Ficelle s’avérait profitable. Elle achevait d’éclaircir la situation. C’était le jour des mises au point décidément.

Qu’allait-il faire de cet argent ?

Si Jeanne voulait, il partirait avec elle, loin de Paris, lorsqu’il aurait accompli la mission qu’il s’était fixée. Ils iraient dans un pays de soleil et d’air pur. Six millions, ce n’était pas la fortune, mais c’était suffisant pour entreprendre quelque chose…

Il ressentait pour Jeanne un sentiment prudent et confortable… Aucun tourment charnel, si ce n’était cet émoi discret dans lequel le plongeait la chambre de la jeune fille, n’altérait sa quiétude.

Il fit arrêter le taxi devant la boutique d’un fleuriste, boulevard Magenta ; il acheta une magnifique corbeille d’arums. Il jugea que des fleurs ne suffisaient pas à témoigner sa reconnaissance à son infirmière… Tout près du fleuriste se trouvait un bijoutier. Valmy choisit une montre en or, assez modeste, vu le peu de liquide dont il disposait. En logeant la corbeille dans la cage biscornue de l’ascenseur, il avait l’âme en fête…

Parvenu sur le palier de Jeanne Huvet, il tira de sa poche le trousseau de clés qu’elle lui avait remis.

Il pénétra dans l’appartement et installa la corbeille d’arums sur une console… Puis il se dirigea vers la pièce du fond, où Hervé achevait de se rétablir.

Il ouvrit la porte sans bruit, pour le cas où le jeune homme dormirait. Mais Hervé ne dormait pas. Jeanne se trouvait à son chevet, assise sur le bord du lit. Les deux jeunes gens se tenaient par la main et se regardaient tendrement.

Valmy sourit à sa solitude retrouvée.

— Eh bien ! les amoureux, dit-il… Je vous y prends !

38

— Qui est-ce ? demanda Eva…

Agnès venait de reposer l’écouteur sur sa fourche et considérait l’appareil téléphonique comme si c’eût été le visage de son interlocuteur.

Elle haussa les épaules pour éviter de répondre.

— Ton petit ami ? demanda la jeune fille, bien décidée à savoir.

— Non, soupira Agnès.

Elle gagna la salle de bains, mais sa fille la suivit.

— Tu sais, fit-elle, je suis retournée chez Hervé Vosges.

Cette fois, Agnès accusa le coup.

— Ah oui ?

— Ça te choque ?

— Un peu. Tu m’avais promis…

— Que veux-tu, je l’avais vu si mal en point, je voulais savoir comment il allait.

— Et alors ? demanda Agnès.

— Alors rien… Des voisins m’ont appris qu’on l’avait emmené en ambulance…

— Où ?

— Il y avait écrit Beaujon sur la voiture. J’ai téléphoné à cet hôpital, il y est inconnu. Tu ne trouves pas ça bizarre ?

— J’aimerais bien prendre mon bain, dit seulement Agnès en refermant la porte au nez de sa fille.

— Je pensais que tu avais de ses nouvelles, cria Eva.

Agnès rougit précipitamment.

— Veux-tu bien te taire ! En voilà des façons ! Non, je n’ai aucune nouvelle et je ne veux pas en avoir.

— Je ne te comprends pas, ma poule : tu as eu des faiblesses pour ce garçon, on t’annonce qu’il est à l’agonie et tu t’en désintéresses comme d’une vieille pantoufle ! Tu ne crois toujours pas qu’il a vraiment tué quelqu’un ? Lorsqu’il m’a avoué cela, il paraissait sincère, tu sais !

— Est-ce à cause de cette vantardise de garçon ivre qu’il t’intéresse ?

— Oui, et aussi la pensée qu’il t’a intéressée avant moi !

La porte claqua de nouveau. Eva sourit au panneau laqué, hésita et retourna dans sa chambre.

En regardant couler son bain, Agnès réfléchissait. Tout danger semblait écarté du côté des gangsters. La scène de la cabine avait changé cet aspect de la question. Tino Mattei paraissait sérieusement commotionné par Agnès. Depuis qu’il l’avait violentée comme un soudard, il lui téléphonait tous les jours, la suppliant de lui accorder un rendez-vous. Maintenant encore il venait de l’appeler. Elle avait cru deviner une menace dans son impatience et avait accepté de le revoir. Payer la rançon du silence de cette façon n’avait rien d’alarmant, au contraire.

L’idée de se trouver à nouveau dans les bras puissants de l’homme au front étroit la faisait frissonner de plaisir.

D’autre part, ce rendez-vous pouvait s’avérer riche d’enseignements, car elle espérait, sur l’oreiller, faire dire à Tino ce qu’il était advenu du Notaire. Elle ne perdait toujours pas de vue son funeste projet. Il y avait également la question d’Hervé : il était temps de se renseigner sur son sort. Agnès ne pouvait pas respirer librement tant que de tels points d’interrogation demeuraient en suspens.