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Ce fut cette dernière qui ouvrit le portail peint en blanc au trio.

— Salut, Maryvonne, lança Tino… Grosse Patte est là ?

Elle regarda les deux compagnons du Corse avant de répondre. Elle avait déjà rencontré le Dingo, mais le deuxième lui était inconnu et l’impressionnait par son maintien.

— Il joue à la belote chez le père Lamour, répondit la grosse fille. Il va pas tarder… Entre donc.

Mathieu lui avait appris les rudiments de la vie domestique, du moins d’après ses principes à lui. Maryvonne savait qu’elle ne devait jamais poser de questions et, que par contre, en toutes circonstances, elle devait faire bon visage aux rares amis de son homme.

Elle introduisit ses visiteurs nocturnes dans la salle à manger meublée Lévitan-Rustique, et éclaira toutes les lampes.

— Je vous sers du champ’ ou de la fine ? demanda-t-elle.

C’était, songea Tino, la parfaite servante d’auberge, du genre de celles qu’on brosse sur les coussins de la bagnole lorsqu’elles vous guident à l’annexe du garage.

Il se tourna vers Valmy.

— Qu’est-ce que t’en penses, Notaire ?

— Je voudrais un verre d’eau, répondit l’interpellé.

Le Dingo fit la grimace.

— On t’a changé en nourrice, observa-t-il. Pour moi, ça sera de la fine, madame Mathieu ; la nuit, le champ’ me fout des aigreurs !

Tino ratifia le choix de son acolyte et demanda à Maryvonne la permission de téléphoner au Café des Platanes pour relancer son pote.

Grosse Patte poussa les exclamations d’usage et assura qu’il rabattait sur sa gentilhommière sitôt que la partie serait finie.

En l’attendant, Tino commença à interroger le Notaire. Le bonhomme posait pour lui une énigme. Sa métamorphose d’abord, l’intriguait ; mais ce qui tourmentait surtout Mattei, c’était d’avoir entendu l’ancien clodo tutoyer Agnès.

En cours de route, ils n’avaient pas parlé. Chacun d’eux songeait à ce qui venait de se produire chez Taride. La mort brutale de ce mari gênant les troublait à des titres divers.

— Bon, où on en était ? fit Tino après avoir vidé son verre de fine.

Le Notaire le regarda et ne répondit pas.

— Ah ! oui, reprit le Corse, je te demandais comment que tu t’étais si bellement défauché ! Paraît que t’as six briques, comme ça ? Dis donc, t’es drôlement démerde…

— J’ai eu un passé, fit Valmy, et il m’a laissé des traces !

— Des traces dorées ! apprécia le Corse.

— C’est formidable ce qu’il a changé, le Notaire, dit le Dingo. Moi, je croyais que c’était un vieux, et mords, il est plus jeunâtre que toi, Tino !

— C’est la toilette, fit Mattei, vaguement jaloux.

Il remplit délibérément son glass et le mira à la lumière du lampadaire en bois tourné qui voulait faire croire qu’il avait été vis de pressoir dans une vie antérieure.

— Tu sais qu’on s’est drôlement magné pour toi, reprocha-t-il. On a retrouvé la petite frappe qui t’a bigorné ; on se décarcassait pour te faire voter une pension, et pendant ce temps, tu te la donnais belle ; franchement, mec, c’est pas réglo !

— Je ne vous ai jamais demandé de prendre mes crosses, murmura Valmy.

Il était furieux de s’être laissé kidnapper aussi sottement. Ç’avait été tellement inattendu, ce débouché des truands dans le luxueux appartement du boulevard Maurice-Barrès…

— On croyait bien faire, ton pote Ficelle avait sonné le tocsin ! Comment se fait-il que tu sois à tu et à toi avec Mme Taride ?

— Elle a été ma femme, répondit posément le Notaire.

— Qu’est-ce que tu dis ?

Une jalousie rétroactive séchait la gorge de Tino.

— Ta femme !

— Parfaitement, je suis son premier mari…

— Et c’est à elle que t’as secoué les six briques qu’elle causait ?

— Non, sourit le Notaire… C’est de l’argent à moi.

Pour avoir la paix et calmer la curiosité du Corse, Valmy lui narra toute son histoire. Il le fit très simplement. Tino sentit croître son estime pour Agnès. Une sacrée femelle qui n’avait pas froid aux yeux !

— Dire que faute à ce petit con, elle a raté vingt briques ! se lamenta le Dingo… Tu te rends compte, Tino ? On l’aurait connue plus tôt !

Sa phrase lourde de regrets fit tressaillir Valmy.

— Tino, murmura-t-il, je voudrais te poser une question…

Il voyait vaguement où le Notaire allait en arriver, c’était inévitable et ça le défrisait.

— Tino, j’ai toujours entendu dire que les Corses avaient de l’honneur. Vous êtes là, prêts à me trouer la paillasse, sans te souvenir que je ne t’ai rendu que des services… Je m’excuse d’avoir à te le rappeler…

Mattei renifla et prit le parti de se verser un troisième verre.

— Où t’as pris que je voulais te flinguer, c’est pas dans mon style !

— En tout cas, ne me dis pas que tu m’as amené ici en pleine nuit pour me faire mieux admirer la Grande Ourse !

— Tais-toi donc, soupira Tino, c’est compliqué… Cette femme, Notaire, j’ai du sentiment pour elle. Je te veux pas de mal, sache-le bien… Non, je demande qu’à t’aider, si ça se trouve !

— Te voilà marchand de salades ! sourit Valmy, retrouvant le langage du milieu. Ne cherche pas à me bidonner, les faits sont plus éloquents que toi…

La venue de Mathieu mit fin à la discussion. Grosse Patte était gras à pleine peau. Il possédait plusieurs mentons étagés et un bide de vieux curé gourmand. La graisse l’avait amolli jusqu’à l’âme.

— Et alors ! tonitrua le gros homme en entrant, c’est la fiesta, à ce que je vois ?

La mine grave des visiteurs l’inquiéta, il serra les mains en bredouillant.

— Vous en faites des bouilles ; on dirait des croque-morts.

Il s’arrêta devant le Notaire, la main tendue.

— Je t’amène un pote à moi, dit Tino… C’est le Notaire… Je sais pas si t’en as entendu causer ?

— Non, dit Mathieu, mais enchanté tout de même…

— Si ça t’ennuyait pas trop, j’aimerais qu’il prenne pension quelque temps chez toi…

— Avec plaisir, assura Mathieu.

« Des ennuis ? » questionna-t-il innocemment.

— C’est pas ce que tu peux croire, rectifia Mattei, c’est pas avec les roycos qu’il a des ennuis…

— Ah ? balbutia-t-il, son gros visage bouffi tout tremblotant d’incompréhension.

— C’est avec nous ! compléta le Dingo en ricanant.

Mathieu prit un siège.

— Ecoutez, les enfants, vous envoyez le bouchon un peu trop loin pour moi !

— Mettons qu’on a un différend, coupa Tino… Pendant qu’on met les choses au point, on tient à ce que le Notaire soit à l’abri des tentations de fugue, tu y es ?

L’expression de Mathieu n’était plus la même lorsqu’il regarda Valmy… D’ami, le Notaire était devenu ennemi. Et cela, sur un seul mot de Tino.

— Vu, dit-il.

— Je précise qu’à part notre différend on est amis, commenta Tino. T’as certainement une chambrette accueillante avec des barreaux à la fenêtre et une serrure sur la porte ?

— J’ai ça, affirma Mathieu… C’est pas une chambre, c’est une pièce au sous-sol où je remise mon matériel de pêche… Mais si tu y fous un lit, ça devient une chambre. Partout où il y a un pageot, c’est une chambre, pas vrai !