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— Tu vas pas décalotter une nouvelle rouille, protesta Tino en voyant Grosse Patte sortir une bouteille du seau à glace… On a du boulot, frangin, oublie pas…

Un sale boulot, d’ailleurs. Un boulot que le Corse appréhendait.

— Bon, consentit Mathieu, on l’éclusera « après », elle n’en sera que plus frappée !

Le Dingo était déjà debout et rajustait sa cravate. La bonne chère empourprait ses pommettes de tubard. Il était émoustillé à la pensée de faire un chouia de gym’ sur la personne du Notaire.

— On y va ? demanda-t-il.

Maryvonne, qui parlait peu et seulement de cuisine, demanda timidement :

— Vous lui portez rien à croquer, à c’t’ homme ?

— Si, des marrons, répondit le Dingo, farceur.

Mathieu partageait les remords de sa femme.

— Un sandwich ? proposa-t-il à Tino.

— On verra plus tard, fit le Corse. Moins il sera résistant, plus vite il mettra les pouces. C’est pour ainsi dire dans son intérêt.

Mattei songeait non sans amertume que l’âge les avait diminués, son pote et lui. Comparés au Dingo, ils avaient des âmes de fillettes.

Les trois hommes descendirent à la cave en file indienne. Grosse Patte avait la clé, mais au moment d’ouvrir il la tendit à Tino. Il voulait être dans le coup le moins possible. Il était d’accord pour prêter son local mais le reste ne regardait que ses hôtes.

Tino et le Dingo entrèrent dans le réduit. Valmy avait repris sa place sur le lit. Adossé au montant, les jambes repliées, il attendait sans trop s’émouvoir.

— Salut, Notaire, fit Tino… Bien ronflé ?

Valmy lui sourit et s’abstint de répondre. Il devinait le malaise du Corse et était résolu à le cultiver soigneusement.

Le Dingo lui lança une gifle formidable au travers de la figure. Valmy heurta le mur de la tête. Il réussit à garder son calme et à ne pas porter la main à l’endroit endolori.

— Tu permets, oui ! rugit Tino en bousculant son compère.

— Ben quoi, plaida le Dingo, y pourrait être poli et te répondre, non ! T’es là à lui demander des nouvelles de sa santé ?

— Ta gueule !

Tino s’assit au bout du lit.

— Notaire, je veux pas te vendre de salade… On veut récupérer ces briques que tu dois à la petite dame, et c’est classé, ensuite t’as porte ouverte…

— Cet argent m’appartient, répondit Valmy, je ne te le répéterai plus. Et je le garderai…

Mattei battit des paupières.

— Tu vas nous obliger à employer les grands moyens…

— Faites !

— N’oublie pas que la Seine coule au bout de ce jardin… Et qu’elle est haute justement en ce moment. Avec une gueuse de fonte au cou t’auras l’air fin si on t’y flanque !

— Ça n’est pas ce qui vous donnera mes millions, assura Valmy. En cas de décès, ils reviendront à la charmante personne à qui je veux du bien… J’ai pris mes dispositions en conséquence…

— Pas possible ! fit le Corse, manière de se donner le temps de la réflexion.

— Oui, assura Valmy, ça m’aurait trop peiné que ma fille hérite ; je suis du genre père indigne…

Tino Mattei alluma une cigarette et, machinalement, présenta son paquet au Notaire ; ce dernier refusa d’un signe de tête.

— Suppose que la personne en question disparaisse avant toi ? fit-il… Qu’est-ce que ça donnerait, toi qu’es calé sur le Droit ?

— Tu m’emmerdes, trancha Valmy. Je te préviens simplement qu’il est inutile d’insister…

Le Dingo intervint.

— Ecoute, Tino, fit-il, la parlote, c’est son terrain, à ce mec. Alors vaudrait mieux passer aux actes, tu ne crois pas ?

— Ta gueule ! tonna le Corse.

Il commençait à en avoir assez de cette fumeuse situation. Le lendemain, il s’était promis d’assister à l’enterrement de Taride, discrètement, et d’annoncer à sa pauvre veuve qu’il avait fait le nécessaire dans l’intervalle.

— Je sais où est ton blé, fit-il… C’est rue La Fayette, dans une succursale du Comptoir National.

— Et après ?

— Après, tu vas nous faire un chèque.

— Non !

— Si…

Ils se toisèrent sans sourciller. Ils étaient de volonté égale. Maintenant, Tino avait oublié sa dette envers le Notaire. L’homme qui faisait front était à ses yeux un adversaire retors. Il avait horreur de ça.

— Si tu ne nous signes pas ce chèque, Notaire, j’envoie le Dingo récupérer ton petit assassin chéri… Et la séance que tu prétends ne pas craindre, on te la fera visionner en couleurs naturelles sur Môssieur Vosges ! Ça me sera d’autant plus agréable que j’ai une sacrée dent contre ce mec.

Valmy sembla ne pas avoir entendu, mais son regard fixe disait que la flèche avait atteint son but.

— Qu’est-ce que tu décides, Notaire ?

— Je n’ai pas de chéquier, dit Valmy…

— Tu permets ? demanda Tino.

Il fouilla consciencieusement les poches de sa victime.

— Il est où ton carnet ?

— À la maison… Rue du Chemin-Vert.

— Chez ton infirmière ?

— Oui.

— Bon, fais-nous un mot… Ça évitera des explications orageuses.

Valmy hocha la tête, vaincu.

Après tout, il se moquait de l’argent. Une fois que les gangsters l’auraient dépouillé, ils lui ficheraient peut-être la paix, et il pourrait organiser sa vengeance.

Le Dingo alla demander de quoi écrire à Grosse Patte.

Pendant leur bref tête-à-tête, Tino et le Notaire évitèrent de se regarder. Ils avaient honte : l’un d’être le plus fort, l’autre d’être le plus faible.

Le Dingo revint avec un méchant bloc-correspondance qui n’avait pas servi depuis longtemps et un stylo Bic.

— Vas-y, invita Tino.

Valmy réfléchit.

— Tu te décides, oui ?

Le Notaire écrivit :

Chère Jeanne

N’ayez aucune inquiétude à mon sujet. Veuillez remettre le courrier arrivé à mon nom au porteur de la présente.

À bientôt. Je vous embrasse.

Lucien.

— C’est un peu sec ? questionna le Corse en relisant la missive.

— Je peux en dire plus si tu y tiens, ironisa Valmy.

L’autre n’insista pas.

— On va te donner à bouffer, en attendant d’avoir le chéquier, promit-il.

— Vous êtes bien bons…

Lorsqu’il remonta de la cave, Tino Mattei était à cran. Sa conscience faisait des siennes, décidément. Mathieu le comprit et crut opportun de déboucher la bouteille de champagne en attente.

— Qu’est-ce qu’on branle ? demanda le Dingo.

Ils étaient assis dehors, sous un parasol à bandes rouge et jaune, agressif comme le drapeau espagnol.

— Faut piquer ce chéquier, assura le Corse. On ne peut pas risquer le coup d’aller à la banque avec lui.

— On dirait que ça le tracasse, le petit Vosges, non ?

— On dirait, convint Mattei.

— M’est avis que t’as touché la corde sensible, grâce à Ficelle. Il a eu une bath idée de ramener son grand pif tout à l’heure…