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Ils furent interrompus par l’arrivée du marchand de journaux chargé de France-Soir.

— T’es abonné ? plaisanta Dingo en se tournant vers Grosse Patte qui touillait son verre de champ’ avec un moser.

— Faut bien se tenir au courant de l’actualité, s’excusa le demi-ermite. Et puis la Vonvon ligote les feuilletons dessinés.

Il se leva pour cueillir le journal sur la barrière blanche. Il le posa sur la table. Le Dingo s’en empara, car en première page figurait une photographie de la voiture accidentée de Taride.

— Tu parles d’un bigornage ! exulta le maigre truand, frémissant d’excitation.

Le Corse lut la légende. Il allait replier le journal lorsque son regard tomba sur un entrefilet relatant le décès de Coco la Jolie. Les quelques lignes apprenaient brièvement au public qu’une vieille clocharde s’était tuée en essayant de piller une cave, rue de Charonne.

Il montra l’article à son complice.

— Mince, dit le Dingo. Elle a pas eu de pot, la pauvre vioque ! Elle devait être bourrée à la clé, va savoir…

— C’est possible, admit le Corse. En tout cas, ça va nous aider…

— Nous aider ?

— À la bonne vôtre ! intervint Grosse Patte qui tenait à faire boire son champagne très frappé.

Il leva son verre pour un toast rapide et but en dégustant, les yeux au ciel…

Tino s’empara de son verre, mais au lieu de le porter à ses lèvres, il murmura :

— Oh ! Mathieu… Est-ce que ça te casserait vraiment les bûmes si je te chargeais d’une commission ?

52

Sans Valmy, ils étaient comme deux enfants que leurs parents auraient abandonnés dans la salle d’attente d’une grande gare.

De retour à l’appartement, Jeanne avait pansé la blessure assez bénigne d’Hervé. Puis ils s’étaient mis à attendre le Notaire. Mais le sommeil les avait terrassés et ils s’étaient endormis dans le divan du salon, épaule contre épaule, jusqu’à ce que la froidure de l’aube les réveille.

Au matin, Hervé avait repris un peu de température et Jeanne lui avait dit de se recoucher. Elle devait aller à l’hôpital de bonne heure, mais n’avait pu se résoudre à l’abandonner. Elle se moquait de sa situation. Rien ne comptait plus pour elle que ce grand garçon blond, si pâle, si indécis, que la vie effarouchait.

Elle fit sa toilette et, ensuite, décida que la nouvelle journée était vraiment commencée.

— Jeanne ! appela le blessé.

Il venait de se réveiller en sursaut après un second sommeil précaire. Il se sentait l’âme pesante et plus que jamais avait besoin de protection. Ce besoin l’aida à surmonter le reliquat de répulsion que lui inspirait encore l’acte de Jeanne. À la lumière du jour, le cadavre de Coco la Jolie était beaucoup moins terrifiant ; presque banal.

Elle se précipita, comblée par le ton gémissant de cet appel.

— Lucien n’est pas encore rentré ?

— Non…

Ils tendirent l’oreille simultanément, comme si le fait de parler de lui pouvait provoquer le retour du Notaire. Mais l’immeuble était silencieux, et les seuls bruits venaient de la rue, de la quincaillerie précisément devant laquelle un camionneur ganté de cuir déchargeait des barres de fer.

— Il a dû lui arriver quelque chose, dit le jeune homme.

— Vous croyez ?

— Il me semble.

À nouveau ils laissèrent se gonfler le silence. Puis quand il eut empli toute la chambre et qu’il commença à les étouffer, ils se rapprochèrent l’un de l’autre. Ce fut simple. Hervé remua la main, sur son drap, comme pour s’emparer de la main de Jeanne. Elle s’approcha, s’assit sur le lit à un endroit qui lui était familier.

— Je vous remercie, pour cette nuit, balbutia-t-il…

— J’ai eu si peur, répondit-elle.

Il l’attira et elle se renversa contre Hervé. Elle était bien. Elle renouait un contact qui s’était rompu sur une plage normande, plusieurs années auparavant. Depuis cette date, les hommes l’effrayaient. Elle avait peur de leur assurance, de leurs yeux hardis et de leur sourire prometteur. Avec Hervé, ce n’était pas pareil.

Il serait toujours un enfant, un merveilleux adolescent qui ne pourrait jamais rien décider et qui vivrait dans l’ombre d’une personnalité plus forte que la sienne. Elle pouvait lui demander de l’amour en ayant la certitude de le garder. Le lendemain, il serait là.

— On est bien, chuchota-t-il en caressant la tête de la jeune fille.

Elle lui écrasait un peu la poitrine, mais il ne disait rien. Le bonheur ressenti valait mille fois cette impression passagère.

— Jeanne, reprit-il, de sa voix chuchoteuse, s’il était arrivé quelque chose à Lucien, cela ne changerait rien pour nous deux, n’est-ce pas ?

Il ne pouvait se résoudre à perdre cette vie végétative dans l’appartement. Comme Valmy après sa résurrection, il savourait le charme confiné du logis vieillot. Il s’imaginait très bien épousant Jeanne, trouvant un emploi de décorateur qui lui permettrait de travailler à la maison en l’attendant… Le soir, quand elle rentrerait de l’hôpital, ils partiraient tous les deux faire des courses dans le quartier populeux où régnait une chaude ambiance de gens heureux.

Il se mit à parler, à décrire cette paisible existence sans ambition. Et elle l’écouta, ravie, n’osant croire à cette chance inouïe qui lui arrivait.

Hervé se tut. Il opéra un mouvement tournant et renversa sa compagne sur le lit. Elle gisait un peu de travers, la tête presque hors de la couche, les jambes pendantes par-dessus les siennes. Ils s’embrassèrent longuement. Depuis son empoisonnement, les sens d’Hervé étaient en veilleuse. Ce matin, il retrouva toute sa juvénile ardeur. Il se mit à caresser lentement la poitrine de Jeanne, que cette position en arc de cercle tendait à l’extrême. Elle eut un soubresaut, saisit brutalement le poignet du jeune homme en criant :

— Non ! Non !

— Pourquoi ? bredouilla Hervé, interloqué par cette réaction.

Jeanne ferma les yeux.

« Avec lui ce n’est pas pareil », se disait-elle de toutes ses forces. Elle avait besoin de se convaincre. Avec lui, elle pouvait dominer sa peur du mâle, vaincre ses complexes…

Il y avait des hardiesses qu’elle devait supporter, encourager… L’amour, ce n’était pas seulement des baisers de cinéma. Avec lui, elle devait aller jusqu’au bout de l’expérience… Elle lâcha le poignet du garçon, mais sans éloigner sa main, prête à le ressaisir. Hervé hésita, mais un besoin de viol le poussait à braver la panique sensuelle de cette fille. Le désir lui donnait des forces nouvelles.

Il dégrafa lentement le corsage. Elle le laissa faire. Dans le clair-obscur de la chambre, il voyait la main attentive de Jeanne planer au-dessus de son poignet comme un oiseau de proie. Ses doigts affolés se glissèrent dans l’échancrure et se posèrent sur la soie tiède du soutien-gorge. Au lieu de s’y attarder, il contourna le buste de la jeune infirmière, la soulevant par à-coups pour atteindre la fermeture. Il fut déconcerté par le système d’agrafage. Sa maladresse apaisa Jeanne. Un léger sourire, un peu énigmatique, détendit sa figure crispée.

Hervé parvint à ouvrir le soutien-gorge, puis le releva en prenant garde de ne pas effleurer les seins. Lorsqu’il les eut dégagés, il écarta le corsage et les admira goulûment, en se contenant pour ne pas les pétrir comme le lui soufflait son désir. Jeanne avait repris son attitude attentive. Elle était sur le qui-vive, la mâchoire crispée. Hervé ne se pressait pas. Il avait compris qu’il fallait démultiplier infiniment chaque phase de cette marche d’approche. Elle devait prévoir et s’habituer à chacun de ses gestes. Il attendit, rapprocha son visage de la poitrine offerte.