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Ficelle repoussa les gamins. Comme il s’éloignait, un détail lui fouetta la mémoire. Il revint au gosse qui tenait la lampe et la lui prit des mains. Il reconnut fort bien l’objet. Le boîtier était cabossé et rouillé. Et la pile, pour fonctionner, avait besoin d’être bloquée avec un morceau de carton plié en quatre. Or, ce carton de renfort, c’était Ficelle en personne qui l’avait placé, à la demande de Coco…

— Où que t’as trouvé cette lampe, p’tit ? demanda-t-il.

— Dans la cour, près de la porte, assura le gosse.

Du doigt, il désignait le lieu de sa trouvaille. Ficelle constata que c’était à l’opposé de l’escalier de la cave. Il fut troublé. Il était peu vraisemblable que Coco fût descendue au sous-sol sans sa lampe…

L’homme en noir s’engagea dans l’escalier roide. Il gratta quelques allumettes et put gagner sans encombre le bas des marches. À cet endroit, une grosse tache d’humidité montrait qu’on avait lavé les derniers degrés. Ficelle étouffa un sanglot. C’était là que son amie avait cessé d’exister. Le destin de Coco la Jolie était venu cesser dans ce trou sombre aux relents de caveau.

Il se signa et enflamma une nouvelle allumette pour atteindre le local de Cheval. La clé était sur la porte, et cette dernière n’était que tirée. Le petit homme entra. Du premier coup d’œil, il vit le sommier posé à plat avec des liens passés entre les mailles du treillage métallique. On avait attaché quelqu’un là-dessus. Il se dit que les enquêteurs avaient bâclé l’enquête. Une pocharde ne les intéressait vraiment pas.

Ficelle remonta à la surface. Les gosses piaillaient toujours et essayèrent de le faire participer à leur épopée texane. Mais ils n’eurent pas plus de chance que la première fois, car Ficelle avait une mission à remplir.

Il dansa un moment devant la porte fermée, l’oreille sensible aux bruits de l’immeuble. Puis il se décida à sonner. Il espérait voir la porte s’ouvrir… Il croyait avoir perçu des craquements de parquet. Mais rien n’est plus trompeur et moins aisé à identifier que les bruits épars dans un immeuble.

« Le Notaire et sa petite seront sortis », songea-t-il.

Par acquit de conscience, il s’offrit encore deux coups de sonnette plus affirmés, avant de redescendre.

Comme il atteignait le rez-de-chaussée, il vit Jeanne Huvet pénétrer dans l’ascenseur.

Il s’élança :

— Hep ! Mademoiselle ! Mademoiselle !

Jeanne fit coulisser la porte pliante. En reconnaissant Ficelle, elle éprouva une désagréable impression.

— Vous désirez ?

— Vous me reconnaissez ? dit aimablement Ficelle en s’efforçant de sourire… C’est moi l’ami du Notaire… J’allais le voir à l’Hosto et je…

— Et vous le guettiez dans cette rue, fit l’infirmière avec hauteur.

Elle sentait l’éther. L’odeur piquait désagréablement le nez de Ficelle.

— C’est-à-dire, commença le pauvre hère, toujours prêt à s’excuser.

Il repensa à l’escalier de la rue de Charonne, et à la tache d’humidité. Un seau d’eau avait lavé les dernières traces de Coco en ce monde. Une flambée de colère l’anima.

— Je veux voir le Notaire ! dit-il.

Sa voix, brusquement décidée, fit tiquer Jeanne.

— Il est en voyage.

— Ah oui ! grommela Ficelle. Depuis quand ?

— Quelques jours…

— Depuis que sa femme est morte, quoi !

Jeanne blêmit et ses mains se crispèrent sur la porte de l’ascenseur.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire…

— Moi, je comprends, dit Ficelle.

Il reprit, plus obstiné, plus farouche encore :

— Il faut que je le voie, y a pas !

— Mais je vous dis qu’il est en voyage…

— Où ça ?

— Mais est-ce que cela vous regarde ! s’emporta l’infirmière…

— Un peu, mon neveu, repartit l’homme au grand nez, gonflé d’importance.

Il se sentait désigné par la Providence. Il était le réceptacle d’un grave secret dont il pouvait diriger les conséquences à sa guise.

— En tout cas, fit-il, ça pourrait regarder la police. Moi qui vous cause, demoiselle, si j’allais trouver les poulets (notez que je les aime pas, mais y a des cas où on n’a pas le droit de s’écouter), si j’allais les trouver et que je leur apprenne ce qui s’est passé l’autre nuit rue de Charonne, ça pourrait barder… Non ?

Ses petits yeux prompts sondaient l’expression horrifiée de son interlocutrice.

— J’aime bien le Notaire, fît l’homme en noir, mais j’aimais bien Coco aussi. Et quand je sais qu’on l’a tuée, la pauvre vieille, je me dis qu’il suffit pas qu’on foute sa carcasse dans un trou. Faut aussi qu’on la venge, voilà ! Et on la vengera, textuel !

— Je ne comprends rien à ce que vous dites, trancha Jeanne.

Son cœur battait à grands coups sourds.

— Le Notaire me comprendra sûrement. M’est avis qu’il attige… Avant de voir les flics, je veux lui causer… Si je peux pas le voir, je fonce au « commissériat », c’est recta !

Il y eut un bruit de porte. Un miaulement… Un gros chat noir quitta la loge de la concierge et se frotta contre les murs, le dos rond, la queue rectiligne. La concierge passa la tête par l’entrebâillement et regarda vers le fond du couloir. Ce mendigot, près de l’ascenseur, en grande conversation avec l’une des locataires, ne lui dit rien qui vaille.

— Est-ce que ce serait que ce type vous embête, mameselle Huvet ? cria-t-elle à la cantonade.

Ficelle se retourna et sourit de pitié.

— Mais non, pas du tout ! la rassura Jeanne.

— Alors, questionna Ficelle, où c’est-y que je peux voir le Notaire ?

La jeune fille se dit qu’il fallait à tout prix gagner du temps. Si l’homme en noir se rendait vraiment au commissariat, ça pouvait être la tuile. Maintenant, il serait difficile de plaider la légitime défense…

— Demain, fit-elle.

— Ici ?

— Oui… Non ! Non ! attendez… Plutôt à la brasserie La Savoie, place de la République…

— Si vous voulez, consentit Ficelle, magnanime… À quelle heure ?

— Huit heures du soir !

Elle voulait gagner le plus de temps possible. Ficelle flaira quelque chose dans ce goût-là et se rembrunit.

— Pas d’entourloupe, c’est le Notaire que je veux voir, prévint-il. Sans Notaire, c’est même pas la peine de vous déranger…

Il jugea qu’il en avait assez dit et tourna les talons.

Il vit la concierge embusquée derrière son rideau. Pour se soulager, Ficelle lui tira la langue en sortant.

Jeanne entra et trouva Hervé adossé au mur, l’air aussi effrayé qu’elle.

— Figure-toi que nous venons d’avoir une visite, dit-il…

— Je sais, je l’ai rencontré !

— Ah !…

Le jeune homme haussa les épaules.

— J’ai regardé par le trou de la serrure ; en le reconnaissant je n’ai pas ouvert, bien sûr ! Figure-toi que c’est un des types qui étaient venus chez moi me faire chanter…