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— Suis-je idiote, reprit-elle, répondant au regard interrogateur de la domestique, j’allais vous demander si vous aviez une idée de l’endroit où ils étaient allés ! Vous comprenez, M. Valmy, qui est notre ami, a disparu et…

— Pas possible ! béa la soubrette.

L’infirmière se mordit les lèvres.

— Je veux dire qu’il ne nous a pas donné de ses nouvelles. Alors je…

Elle était à court de mensonges. Hervé prit le relais.

— Vous devez nous trouver bien mystérieux, mais nous ne voulons pas alerter la police tant que nous ne sommes pas certains qu’il lui est arrivé quelque chose…

— Je savais bien que tout ça n’était pas catholique, fit Rose.

— Qu’entendez-vous par « tout ça » ? questionna Jeanne.

— Pff… Depuis quelque temps, tout est déréglé à la maison… Y a du mystère, du drame, quoi ! Voyez par exemple l’accident de ce pauvre Monsieur… La conduite de Madame n’est pas pareille… Quant à Mademoiselle…

Hervé battit des paupières. Il parla et ne reconnut pas sa voix.

— Comment va-t-elle ?

— Bien et mal ! Je la trouve bizarre. On dirait qu’elle est très malheureuse et qu’elle ne veut pas qu’on s’en aperçoive.

Soudain, Rose se frappa le front.

— Je pense à quelque chose ; tout à l’heure, en fin d’après-midi, le Marseillais a téléphoné.

— Le Marseillais ?… Ah ! Mattei.

— Oui. Il était à Meulan… Il voulait que Madame l’appelle au 568.

— C’est une indication, convint Jeanne.

Elle nota le numéro. Pour écrire, elle avait lâché deux billets de mille francs qu’elle venait de tirer de sa poche. Elle les poussa du doigt.

— Voulez-vous accepter cela, à titre de dédommagement ?

— Non, répondit Rose. Je ne suis pas une concierge.

— Je ne voulais pas vous vexer, affirma Jeanne en rougissant.

Elle reprit l’argent et balbutia :

— Je vous remercie. Croyez bien que si nous nous permettons de vous questionner, c’est parce que nous sommes vraiment dans l’ennui.

— Si je me permets de répondre, fit Rose, enhardie, croyez bien que c’est que je l’ai compris.

60

À cette heure tardive, l’immense hall de la gare Saint-Lazare était presque vide. Quelques clochards « faisaient » les mégots avant l’arrivée des services de nettoiement. Des amoureux se séparaient en silence près des grilles au-delà desquelles haletait le dernier train pour Mantes.

Jeanne et Hervé coururent jusqu’à la voie 17 et comme ils pénétraient sur le quai, le convoi s’ébranla ; Hervé hissa sa compagne dans le dernier wagon. À peine l’eut-il rejointe que les portes à glissières se refermèrent dans un roulement régulier.

Ils se comprimèrent la poitrine en regardant défiler le morose univers de rails et de sémaphores. Le convoi prit de la vitesse et ne tarda pas à rouler au fond d’une profonde tranchée dominée par des immeubles noirs.

— Allons nous asseoir, invita le jeune homme, après avoir repris son souffle.

Ils pénétrèrent à l’intérieur du compartiment. Deux voyageurs seulement s’y trouvaient : un vieil homme au feutre cabossé qui tenait une petite valise à casse-croûte contre lui et une femme au maquillage flétri par une trop longue journée de travail.

La nuit était claire, malgré la pluie… Par instants, la lune apparaissait entre deux nuages, illuminant de sa lumière morte la banlieue endormie.

— Dans le fond, ce voyage est ridicule, soupira Hervé…

Il avait sommeil. Il était fatigué et désemparé. Il songeait à leurs brusques amours de la soirée ; à ce kiosque perdu sous la pluie où les catins du Bois venaient exercer leur sale industrie. Tout cela avait un côté affreusement mesquin. Jamais le garçon n’avait aimé une femme en éprouvant des réactions aussi ternes…

La main de Jeanne glissa le long de la manche humide de son compagnon. Elle trouva son poing crispé, l’ouvrit de force et s’y blottit.

— Il fallait tenter quelque chose, soupira-t-elle ; n’importe quoi.

— Songe que nous n’avons qu’un numéro de téléphone en fait d’indice…

— Un numéro de téléphone correspond toujours à une adresse, mon grand !

— Et après ? C’est peut-être l’adresse d’un café quelconque d’où Mattei a appelé…

— Ça peut également être celle d’une maison où il garde Lucien prisonnier…

Le train s’arrêta dans une gare mouillée. Le long du quai, un employé courait en balançant un fanal. Par-delà la gare, on découvrait une ville de banlieue, endormie. Sur une place un grand magasin de meubles à plusieurs étages étincelait de lumière.

Depuis le train, les jeunes gens apercevaient des mobiliers tristes étagés dans le noir de la place. Le train repartit. Le vieil homme à la valise carrée se prépara pour la prochaine station.

— Tu t’imagines que Valmy vit toujours ? murmura Hervé. Maintenant qu’ils ont eu son argent, tu penses…

— Ce serait tellement horrible ! frissonna Jeanne.

Il y eut encore deux arrêts assez brefs, puis la voie ferrée se mit à longer la Seine et les amants furent accaparés par l’étrange paysage qui se proposait à eux. Les villas bordant le fleuve baignaient dans l’eau grise. La crue faussait toute perspective. On voyait émerger le haut d’un portique et les arbres fruitiers ressemblaient maintenant à des massifs. Dans des cours inondées, des automobiles, surprises par la montée du fleuve, n’avaient plus que leur toit d’apparent. C’était saisissant et beau. D’une grandeur sinistre…

Lorsque le convoi pénétra dans la gare de Meulan, Hervé et Jeanne étaient seuls dans le compartiment. Quelques personnes descendirent du convoi qui s’éloigna rapidement, comme pressé d’en finir avec ce service nocturne.

Hervé donna les billets au préposé en faction devant la sortie, et attendit que s’écoule le maigre flot des voyageurs.

— Vous ne pourriez pas me laisser consulter l’annuaire du téléphone ? demanda-t-il à l’employé.

L’autre fit un geste d’assentiment et guida le couple jusqu’à son bureau. Des lampes de cuivre, alignées sur un rayon, accaparaient la maigre lumière de l’endroit. Le fonctionnaire s’empara d’un annuaire déchiqueté et le tendit à Hervé. L’ouvrage s’ouvrit tout seul à la page de Meulan. Chacun des jeunes gens prit une colonne et la descendit en ne lisant que les numéros de téléphone.

Ce fut Jeanne qui tomba sur le numéro cherché.

— Mathieu, villa Belle, lut la jeune fille.

L’employé venait de sortir un casse-croûte d’un tiroir et le débarrassait du papier gras qui l’enveloppait.

— M. Mathieu, vous connaissez ? demanda Hervé.

— Le pied bot ? interrogea l’homme en ouvrant la lame de son couteau de poche.

— Oui, c’est lui ! s’écria Hervé, reconnaissant à ce détail l’homme qui était venu chercher le courrier de Valmy.

— Prenez le pont. Dans le milieu il y a une île, sur la droite… Sa maison est par là…

Valmy avait pris le parti de s’asseoir sur le lit, les jambes repliées sous lui. Depuis plusieurs heures, tout bruit avait cessé dans la maison. Il restait seul, abominablement seul. L’eau s’infiltrait dans sa cellule. Il n’aurait jamais imaginé qu’elle pût monter aussi vite. En un rien de temps elle avait atteint ses chevilles, puis ses mollets… C’est alors qu’il s’était juché sur le lit. Naturellement, il se doutait bien que ça ne servirait à rien. Il lui suffisait de baisser la main pour effleurer le niveau de l’eau. L’humidité grimpait dans le matelas. Il avait l’impression d’être assis dans de l’herbe mouillée. Ce qui le terrorisait, surtout, c’était le noir. Il allait périr comme un rat au fond d’un trou, sans lumière… Il se livrait à des calculs de physique pour essayer de faire diversion… Par exemple, il se demandait, s’il ne resterait pas, au ras du plafond, une couche d’air comprimé par l’eau qui empêcherait celle-ci d’emplir complètement la pièce. Seulement il se rendait compte que l’épaisseur de la couche en question ne suffirait pas. Elle serait plus mince que sa tête. Même en se tenant debout sur le lit et en plaquant sa bouche contre le plafond…