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Hervé respira un grand coup, plongea et vit la clé sur la porte de la cave. Il réussit à la tourner, mais n’eut pas la force de tirer la porte. Il dut refaire surface pour respirer goulûment l’air fade du sous-sol. Ensuite il replongea, s’arc-bouta contre le mur et parvint à ouvrir la porte… Sous l’eau, il aperçut les jambes de Valmy juché sur son lit. Il pénétra dans le réduit et émergea. Une lampe brillait dans la cellule de Lucien. En actionnant le commutateur, Jeanne l’avait éclairée. Hervé sortit de l’eau à quelques centimètres de l’ampoule et la lumière l’éblouit. Il tourna la tête, vit la figure ravagée de son ami. Hervé se sentit fort. Son acte de bravoure lui faisait déjà du bien.

Il cligna de l’œil à Lucien.

— J’arrive au poil, non ? gargouilla-t-il.

Il monta sur le lit.

— Vous savez nager, Lucien ?

— Je n’ai plus la force…

— Bon, nouez vos bras autour de mon cou, respirez profondément et ne vous démenez pas, même si vous buvez la tasse… Il n’y en a que pour quelques secondes, dites-vous bien ça !

Il avait peur que Valmy se débatte une fois sous l’eau… Mais Lucien venait de récupérer son calme. Il fit ce que le garçon lui disait. Hervé apprécia ce fardeau. Quelques semaines plus tôt, il avait frappé cet homme avec la volonté de le tuer, et voici que par un merveilleux retour des choses, il lui était donné de le sauver !

Valmy retint sous souffle, ferma les yeux… Il ne sentait pas le froid de l’eau. Le corps de son sauveteur lui communiquait sa chaleur. Même pendant les secondes durant lesquelles ils restèrent immergés, afin de repasser la porte, il n’éprouva pas la moindre appréhension. Il aurait pu, lui semblait-il, demeurer des heures sans respirer.

61

Pour recevoir le tabellion, Agnès s’était, selon sa propre expression, déguisée en veuve. Elle avait donc passé une robe noire dont l’unique coquetterie résidait dans l’ampleur de la jupe et l’amorce du décolleté. Elle arpentait l’appartement en se pétrissant les mains, car elle était très inquiète. Le notaire avait dit :

— Il faut que je vous voie d’urgence pour vous faire part d’une grave communication…

Il n’avait pas parlé d’une communication importante. Non, c’était une grave communication…

Et depuis qu’elle avait raccroché, Agnès se demandait « Grave pour qui ? » À cela une seule réponse : grave pour elle.

Elle ouvrit la porte d’Eva.

— Tu es déjà levée ! s’exclama-t-elle.

Non seulement la jeune fille était levée, mais elle avait fait sa toilette.

— Je vais sortir tôt, dit Eva.

— Pourquoi cette valise ? questionna Agnès, suspicieuse, tu pars en voyage ?

— Non… Stephani m’a demandé d’apporter quelques toilettes pour les bouts d’essai !

La veuve de Taride se retira avec un imperceptible haussement d’épaules. Les jeunes filles étaient bien incompréhensibles décidément. Elle avait, après l’accident, cru sa fille au bord du suicide ou de la dépression nerveuse, et voilà qu’elle se mettait dans la tête d’être vedette de cinéma !

Le coup de sonnette fut comme un trait de râpe sur ses nerfs. Elle gagna le salon, voulant se composer une attitude. Elle avait besoin de tous ses moyens.

Me Thubault ne correspondait guère à l’idée qu’on se fait ordinairement d’un notaire. Il était jeune, sportif, avec des manières un peu feutrées d’homme du monde. On sentait qu’en vieillissant il deviendrait maniéré. Il essayait de compenser sa jeunesse par des lunettes cerclées d’or, des costumes surannés et un chapeau au bord roulé, mais malgré cette panoplie destinée à inspirer confiance, il restait jeune et fougueux.

Il baisa la main qu’Agnès lui tendait, s’enquit de la santé d’Eva et s’assit en face de Mme Taride. Une grande gêne paralysait ses gestes.

— Eh bien ! fit Agnès d’un ton enjoué, qu’avez-vous de si grave à m’apprendre ?

Le notaire ôta ses lunettes. C’était pour lui une façon de s’abstraire… Pendant qu’il les essuyait, il ne voyait plus ses interlocuteurs qu’à travers un brouillard rassurant.

— Légalement, madame, j’aurais dû vous prier de passer à mon étude, mais ce que j’ai à vous apprendre est si… si important et si… si surprenant que, mon Dieu…

— Je vous écoute, coupa sèchement Agnès, agacée par ces préambules.

— Madame Taride, le jour de son décès, votre mari a rédigé un testament en bonne et due forme qui vous dépouille complètement !

Comme chaque fois qu’elle subissait un choc violent Agnès resta impassible. Elle considéra Me Thubault comme on regarde quelqu’un qui vous apporte la contradiction.

— Croyez bien que je…, balbutia l’homme de loi. Mais c’est ainsi, et je suis dans la pénible obligation de faire mon métier.

— Comment avez-vous eu connaissance de ce testament ? interrogea Agnès.

— Il m’est parvenu de façon tout à fait anonyme, dit le notaire. Je suppose que votre mari l’avait confié à quelqu’un qui n’a pas voulu se faire connaître…

— Et vous ajoutez foi à des documents qui vous parviennent de cette façon-là, ironisa Agnès, très cinglante.

Le notaire fronça les sourcils.

— Madame Taride, ce testament est arrivé à mon étude voici deux jours. Avant de le prendre en considération, j’ai commencé par le faire expertiser. Il est entièrement de la main de votre mari et par conséquent rigoureusement inattaquable…

— Vraiment ! grinça Agnès… C’est ce que nous verrons !

— Libre à vous d’intenter une instance, fit le jeune tabellion en essuyant une fois encore ses verres ; mais je vous préviens que c’est parfaitement inutile…

— En somme, que me laisse mon défunt époux ?

— Rien, dit catégoriquement Thubault. Absolument rien…

Agnès hocha la tête.

— Et peut-on savoir l’heureux légataire universel ?

— Je ne devrais pas encore vous le dire, fit le notaire, mais c’est un certain Lucien Valmy.

Agnès resta un moment immobile, puis elle rit. Son mari lui avait joué une très belle farce ! Avant de mourir, il s’était admirablement vengé. Elle appréciait…

Elle ne parvenait pas à se mettre en colère. Elle se sentait délabrée par cette nouvelle stupéfiante. La figure ennuyée du notaire dansait devant ses yeux comme un masque de carnaval !

Valmy ! Henri avait choisi comme héritier le premier mari de sa femme.

— Je ne l’aurais jamais cru capable de ça, fit-elle.

Le notaire regarda sa montre.

— Je me suis permis de convoquer le commissaire de police afin de procéder à la pose des scellés.

— Comment !

— C’est une dure formalité, mais obligatoire, madame… Aussi, si heu !… vous vouliez rassembler vos… vos effets personnels… Enfin vous me comprenez !

Elle comprenait. Magnanime, il lui laissait quelques minutes pour sauver les bijoux, le liquide…, ses fourrures… Elle songea aux quatre millions enfermés dans le secrétaire de sa chambre. Elle devait commencer par là. En elle tout s’ordonnait. Sa formidable maîtrise lui dictait des gestes… D’abord, prendre le plus possible de valeurs… Ensuite, elle s’arrangerait bien pour attaquer le testament. Elle invoquerait la folie. Etait-il normal que Taride eût testé quelques instants avant de se tuer dans un accident d’auto ? Déjà elle voyait l’ouverture : elle ferait la leçon à Eva. La jeune fille dirait que c’était son beau-père qui avait donné un coup de volant fatal… Oui, elle pourrait peut-être gagner encore. Ah ! le mort voulait la bagarre ! Il l’aurait ! Elle n’avait peur ni des vivants ni des morts !