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Thubault s’était approché de la croisée ; il pianotait sur la vitre en regardant les frondaisons du Bois. Par cette attitude, il signifiait à Agnès qu’elle avait toute liberté pour agir…

— Vous m’excusez ? fit-elle.

Il s’inclina sans la regarder. Agnès sortit du salon et se précipita dans la chambre. Mais comme elle voulait rabattre le panneau de son secrétaire, elle constata que la clé de celui-là avait disparu…

— Rose ! cria-t-elle. Rose !

Celle-ci montra son visage inquiet. Elle se disait que les étrangetés de la maison continuaient…

— Avez-vous vu la clé de mon secrétaire ?

— Non, Madame, fit la domestique.

Folle de rage, Agnès secoua sa servante.

— Méfiez-vous, ce meuble contenait une grosse somme d’argent, si on ne la retrouve plus la police viendra ici !

— Dois-je lui téléphoner tout de suite, à la police ! questionna Rose avec hauteur… Elle ferait peut-être bien de venir ! Avec les gens qui entrent ici depuis quelque temps, il ne serait pas étonnant en effet qu’un vol ait été commis.

— Que dites-vous ! gronda Agnès.

Mais elle se calmait… En hâte, elle chercha autour d’elle sur les autres meubles, espérant y découvrir la clé disparue. Soudain, elle pensa qu’Eva l’avait peut-être prise et courut dans sa chambre. Sa fille était assise dans un fauteuil, en tenue de ville, sa valise posée à ses côtés. Elle avait un regard étrange qu’Agnès ne lui connaissait pas. Elle le darda impitoyablement sur sa mère.

— Alors, dit-elle, ça y est ?

— Comment, s’étrangla Agnès, qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je te demande si le notaire a fait son boulot, ma poule !

Elle avait une voix éteinte, forte pourtant, mais dépourvue de passion. Agnès crut deviner en un éclair. Cela lui sembla si énorme qu’elle repoussa cette pensée.

— Qui t’a dit que le notaire…

— C’est moi qui lui ai envoyé le testament, fit Eva… C’est moi qui l’avais fait rédiger par Henri. C’est moi qui ai tué Henri en voiture, volontairement. Note que je pensais claquer avec lui. Que veux-tu, ma poule, l’idée d’avoir une mère criminelle ne me bottait pas.

Elle reprit, d’un ton plus dolent :

— C’est moi qui ai pris la clé du magot… Il restera dans ton secrétaire jusqu’à ce qu’on appose les scellés. Et je vais te dire encore une chose, ma poule… Une dernière… Avant l’accident, j’ai pour ainsi dire violé Henri… Tu entends bien ? Je ne bluffe pas. Il a été mon amant… J’ai voulu aller jusqu’au bout, moi aussi. Et maintenant ça y est, c’est fini : on se quitte. Nous nous séparons sans argent, sans soutien, l’une et l’autre… Tu veux bien que nous fassions un concours ? Dis ? À celle qui se remplume la première… La course aux pigeons ? La course au cher fric sans lequel tu m’as assuré qu’on ne pouvait pas vivre… Départ à zéro ! Je suis jeune, mais tu as de l’expérience… Je suis jolie, mais tu es belle… Je suis fraîche, mais tu n’as pas de conscience… Qui va gagner, ma poule, d’après toi ! Hein, voyons, d’après les données de ce petit problème ?

Une larme jaillit des yeux d’Agnès. Elle sentait se creuser en elle inexorablement un vide vertigineux dans lequel tout son être s’engloutirait comme s’écroulent les parois d’une carrière.

— Tu pleures ? remarqua Eva… Parce que tu as tout perdu, avoue ?

— Non, fit Agnès, je pleure seulement parce que je t’ai perdue, toi, ma choute !

— Pas possible !

Eva la détaillait impitoyablement.

— Après tout, fit-elle, nous allons peut-être commencer à vivre vraiment, toi et moi… Toi en prenant une âme, et moi en perdant la mienne. Adieu, ma poule…

Elle se leva, prit sa lourde valise…

— Ne cherche pas la clé du secrétaire, je l’ai jetée dans les toilettes…

Agnès restait debout dans l’encadrement de la porte.

— Je ne veux pas que tu me quittes, dit-elle… Tu n’en as pas le droit… Tu n’as pas l’âge de…

Elle se tut, détourna la tête, ne pouvant soutenir l’éclat intense des yeux d’Eva.

— Tu oublies que tu parles à la fille d’une meurtrière, dit la jeune fille ; laisse-moi passer !

Agnès s’écarta. Elle courut au lit de sa fille, s’y jeta à plat ventre et se mit à hurler comme une louve.

La porte du hall se referma doucement sur Eva.

62

Ficelle dormait, bien que le soleil fût déjà haut à l’horizon. Depuis la mort de Coco la Jolie, il avait un sommeil difficile. La nuit ranimait des fantômes qui, l’ivresse aidant, dansaient pour lui une sarabande nauséeuse, jusqu’aux premières lueurs de l’aube.

Il rouvrit les yeux, aperçut le ciel par une lézarde de sa roulotte et réalisa que quelqu’un frappait à la porte. Comme il allait crier d’entrer, celle-ci s’ouvrit et Ficelle crut rêver en voyant le Notaire.

Il se leva d’un bond de son grabat, glissa précipitamment les pans déchiquetés de sa chemise dans le caleçon qui lui servait de pyjama et s’avança, le nez frémissant d’émotion.

Chaque fois qu’il voyait Valmy, il ressentait le même bonheur attendri. Il y avait dans son trouble de l’admiration et peut-être quelque chose de sensuel que cet être émasculé ne savait pas identifier.

— C’est toi ! exulta le clochard. Oh ! sapristi, c’est toi, mon vieux Notaire…

Il poussa un escabeau vers son ancien compagnon. Valmy s’y laissa tomber en geignant de fatigue. Il était courbatu par sa nuit tumultueuse.

— T’es rudement chic de venir, fit l’homme au grand nez en enjambant son pantalon. Rudement chic, ça, tu peux le croire…

Il s’arrêta de parler et laissa aller des larmes impossibles à contenir.

— T’es au courant, pour Coco ?

— Oui, fit Valmy… On m’a appris…

Ficelle boutonna son gilet de clown rapiécé, qui ne tenait dans le dos qu’avec des épingles de sûreté.

— J’ai pensé que c’était toi, fit-il.

Il n’osait plus regarder le Notaire.

Valmy étira ses jambes engourdies sous la caisse servant de table. Il se demandait comment il avait pu supporter l’immonde odeur que dégageaient ces oripeaux et cette crasse.

— Ce n’est pas moi, soupira-t-il… C’est un accident…

Il fit à son compagnon de misère le récit de la mort de Coco tel que le lui avait raconté Jeanne. Il relata le fait avec une grande économie d’expressions. Il venait demander un immense service à Ficelle et il ne tenait pas à l’amadouer avec une littérature facile. C’eût été une tricherie indigne des deux hommes.

— Voilà, conclut le Notaire. Maintenant, tu sais tout ! Alors, à ta conscience de décider… Tu peux prévenir les flics, c’est ton droit, et même ton devoir de citoyen… Seulement, depuis le début de mes avatars, je me suis passé d’eux, et j’aimerais que ça continue… C’est cela que je suis venu te dire, Ficelle !

Ficelle ne répondit rien. Il paraissait infiniment désabusé. Valmy remarqua qu’il ressemblait de plus en plus à un farfadet. Il écrasa quelques grains de café dans le couvercle d’une boîte à sucre, en utilisant un caillou comme pilon. Il mit le résultat de ce sommaire concassage dans une casserole d’eau et fit chauffer le tout sur un réchaud.