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Re-claque sonore sur le compartiment étanche de sa rombière.

— Pas vrai, Inflammation ?

L’autre écarte ses moustaches pour lui décerner le sourire de la soumission. Je me dis que c’est pas tout ça et qu’il serait opportun d’inviter la môme Conchita Danlavaz à prendre un godet. Elle a beau être entraîneuse, c’est pas tous les jours qu’elle entraîne un zigoto arrivant d’Europe. Elle doit se souvenir de sa soirée avec Casimodus, non ? Un homme seul, lorsqu’il est loin de chez lui et qu’il rencontre une nana à l’oreille aussi complaisante que le réchaud deux flammes, ne manque pas de se raconter. C’est un vice. Peut-être que cette pin-up pourra m’affranchir à propos du Roumain.

Je la cherche dans la salle. En ce moment, elle est en train de discutailler avec un grand pas-beau aux rouflaquettes ravageuses.

Je m’approche du couple au moment où l’orchestre remet le couvert avec le tango de « Certains l’aiment chaud ».

— Si vous voulez me permettre, señorita ! demandé-je en m’inclinant devant elle.

Le pas-beau aux rouflaquettes s’interpose :

— Vous ne voyez pas que cette fille est avec un monsieur ?

— Quelqu’un qui appelle une aussi ravissante demoiselle « cette fille  » ne saurait être un monsieur, rétorqué-je du tac au tac.

Il verdit.

— Pardon ? Vous répéteriez ce que vous venez de dire ?

— Volontiers, si je doutais un seul instant que vous fussiez sourd, señor. Mais en vous voyant d’aussi grandes oreilles, la chose me paraît peu probable.

Conchita éclate de rire. Quelques personnes se rapprochent, flairant la castagne. Mon rival décrit une légère rotation et me balance un crochet. Seulement s’il m’avait prévenu huit jours à l’avance par lettre recommandée avec accusé de réception je n’aurais pas été davantage sur mes gardes. Vous le savez, les jeux du corps me sont aussi familiers que les exercices de style. J’esquive promptement et, avant qu’il ait eu le temps de piger je lui expédie un doublé à la face. Il s’ébroue, crache une dent gâtée, et dégaine de sa poche un cure-dent à casse-croûte dont la lame est longue comme la hallebarde d’un Suisse. Cette fois, ça va hallebarder, en effet. Il se précipite. L’orchestre s’arrête dans une succession de couacs et la foule se rassemble. Si vous voyiez votre San-Antonio bien-aimé, mes chéries, vous auriez des vapeurs. Je laisse charger le julot et, quand il est à ma hauteur, je décris un saut de carpe et je réussis à cramponner son bras armé. Une clé digne des meilleures ceintures noires, et mon gars est obligé de lâcher son lingue. Je lui mets alors un coup de genou dans la boîte à bijoux et un coup de boule dans son appareil à casser les noisettes. Il recrache une dent, moins gâtée que la précédente. Pour faciliter l’effeuillage de ses molaires, je replace un doublé particulièrement appuyé. Cette fois, il prend une faiblesse et s’écroule. Je ramasse son ya et je le tends à Conchita.

— Señorita, voulez-vous me permettre de vous offrir ce petit souvenir ? Vous vous en servirez comme coupe-papier.

Elle sourit. Ses yeux brillent d’admiration. Je sens que j’ai tout un carnet de tickets avec cette bergère. Elle admire la force et ne demande qu’à couronner le vainqueur. Le peuple est lâche. La foule m’applaudit et les videurs-maison cramponnent Rouflaquettes par les ailerons et le traînent jusqu’à la lourde.

— Vous êtes fort et généreux, me gazouille Conchita.

— Assez généreux pour vous demander de bien vouloir prendre une consommation avec moi, señorita.

— Et galant avec ça ! ajoute-t-elle.

La galanterie, elle s’y connaît, Conchita. Elle en vend du soir au matin, cette enfant de mutins !

On va rejoindre Sa Redondance, lequel, en plein gringue avec Incarnation, ne s’est aperçu de rien.

Il salue ma conquête fort civilement (n’étant pas en uniforme la chose lui est aisée) et murmure à mon oreille :

— Pas mal, ta portion, mais pas assez poilue.

Nous devisons de conserve, comme on dit chez Olida. Ces demoiselles nous disent qu’il y a peu d’étrangers à Cuho depuis la révolution. La vie y est moins marrante, et, contrairement aux promesses faites par Infidel Castré, il y fait tout aussi chaud qu’auparavant.

L’orchestre cesse de fonctionner et le chef annonce qu’il va y avoir exhibition de twist par les fameux danseurs Torpatéfez y Rentrapa. Cette danse moderne n’est pas encore parvenue jusqu’à Le Corona et un murmure de curiosité accueille l’annonce apostolique.

Un couple de jeunes gens en blue-jean vient se trémousser. Maigres applaudissements du public qui préfère le tango. Le chef d’orchestre invite les assistants à danser le twist. Un jury d’honneur est constitué et la direction promet une prime de dix mille ronds de fumée à la personne qui obtiendra le premier prix.

— Si qu’on irait ? propose le Gros.

— Vas-y, je t’attends là, fais-je.

Vous croyez que le Béru se déballonne ?

Pas du tout ! Il se lève et tend la main à sa partenaire.

— Viens, ma petite Constipation, on va leur montrer ce qu’on sait faire à Pantruche.

Terrorisée, la gosse refuse. Alors Béru y va seulâbre. Il n’y a en tout et pour tout qu’une dizaine d’amateurs. L’orchestre fait un bis et ça part ! Le succès de Lagonfle est foudroyant. On dirait qu’une meute de loups enragés lui mord les miches. Faut le voir se déhancher et ployer les jambes ! Un spectacle dantesque, gigantesque, burlesque, grand-guignolesque ! Toute la salle se met à battre des mains pour encourager le Gravos. Écœurés, les autres concurrents abandonnent. Maintenant Sa Bonbonne est seul en piste ! Il sue ! Il s’essouffle. Il se contorsionne. C’est la grosse crise d’épilepsie, la danse de Saint-Guy poussée à son paroxysme. Sa chemise est sortie de son pantalon, ses boutons de braguette roulent sur le plancher ciré. Son chapeau aux bords gondolés compose autour de sa bouille violacée une auréole noire du plus surprenant effet. Un vent d’hystérie collective souffle sur le dancinge. Les femmes glapissent, les hommes tonitruent, les musiciens ponctuent. Et Béru, infatigable, superbe, triomphant, secoue sa tonne de tripes avec une grimace d’apoplectique en crise. Son gros dargif va et vient avec une frénésie qui ne fait que croître si elle n’embellit pas. Ça donne le vertige. Tornade sur la Manche ! Un cyclone à la Jamaïque ! Faut le voir pour y croire ! On dirait un cachalot harponné ! Le Vieil Homme et l’amer ! Comment qu’il secoue la salade, le Mastar ! Il est branché sur la haute tension, mes fils ! Qui m’aurait dit que j’aurais droit à une soirée pareille en venant au Parisiana !

Enfin le morceau cesse et le Gros s’écroule sur son socle. La salle délire d’enthousiasme. On lui vote la prime à l’unanimité plus sa voix. Triomphant, épuisé mais radieux, il nous rejoint et sa souris velue lui fait un gros mimi humide dans le cou pour le récompenser.

— Alors, chère Interdiction, qu’est-ce que tu dis de ça ?

— Mais qu’est-ce qui t’a pris, murmuré-je. Tu sais donc danser le twist ?

— Penses-tu, rigole le Gros, seulement je vais te faire une confidence : depuis quelques jours, j’ai des morpions. Je sais pas où ce que Berthe a chopé ça… Toujours est-il que ça me démange que tu peux pas t’imaginer comment, et que c’était le moyen idéal pour se gratter en public. Tu dis que je leur ai flanqué le vertige à mes pensionnaires, dis, San-A !

Il chope la main de sa conquête.

— Avec les dix mille ronds de fumée, j’offre à boire, décrète le Magnanime. Qu’est-ce que tu penses d’un coup de champ’, infection ?

Le Gros est vraiment le héros de la fête.

Il étale son savoir avec complaisance. Il affirme qu’il a gagné des concours de danse.