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Où vais-je retrouver cette petite gueuse ? Sûrement pas au « Parisiana ». Elle ne serait pas patate au point d’y retourner ! J’en suis à ce point très précis de mes déboires lorsque j’entends un pas dans l’escalier branlant. Vite fait, je souffle la bougie et je file m’accroupir entre le lit et le mur.

Les pas se rapprochent. La porte s’ouvre. À la faible clarté sourdant de la fenêtre, je distingue une silhouette d’homme.

Celui-ci fait exactement ce que j’ai fait moi-même en entrant ici : il gratte une allumette. Ensuite il rallume la bougie.

Dans ma position, il m’est malaisé de le voir ; pourtant, à certains moments de ses allées et venues, il passe dans mon maigre champ visuel. Je constate alors qu’il s’agit d’un grand gaillard brun nanti de rouflaquettes impressionnantes et je reconnais le gnace que j’ai vidé du « Parisiana ». Tiens, tiens, tiens !

Je me retiens de respirer. Rouflaquettes se penche, et, un instant, je me dis qu’il va regarder sous le lit si j’y suis. En fait, il y prend une valise. Et cette valise, heureusement, me dissimule aux yeux de notre petit camarade. Il pose la valoche sur le pieu, l’ouvre (pas le lit : la valise) et se met à empiler des fringues qu’il puise dans les tiroirs d’une vieille commode et au portemanteau vissé derrière la porte.

Si un jour vous avez des œufs de Pâques à emballer ou des sujets en verre filé, ne le prenez pas pour faire les pacsons, car vous auriez des surprises à l’arrivée. Il fout tout pêle-mêle dans la valise. Si Conchita veut être décente, faudra qu’elle s’achète un fer à repasser.

Ça me démange de bondir de ma planque pour lui placer une décoction de phalanges sur le museau. Ça me démange d’autant plus que je commence à m’ankyloser vilain ; seulement, je me dis que je ferais une bien meilleure affaire en suivant le déménageur d’élite. Pas besoin d’avoir son certificat d’études primaires pour piger ce qui se passe. Après m’avoir dépouillé, Conchita est allée rejoindre son Jules. Ils se sont dit que, par Incarnation, je finirais par obtenir l’adresse de Conchita et qu’il fallait déménager d’urgence. Alors Rouflaquettes est venu en vitesse ramasser les frusques de la donzelle. Si je lui colle la dérouillée qui me picote les poings peut-être qu’il parlera ; mais peut-être aussi qu’il ne parlera pas. La prudence me conseille d’agir en souplesse.

Le grand vilain pas beau a fini sa moisson. Il éteint la bougie et se dégrouille de dévaler l’escalier. Dès que les marches ont cessé leurs gémissements, je m’élance. En trois bonds me voilà en bas. J’arrive dans la Calle au moment précis où une vieille guimbarde arrangée en camionnette (on a scié l’arrière de la carrosserie et mis un plateau de bois à la place) démarre.

Votre San-A chéri ne fait ni une ni deux : il s’élance, cramponne le bord du plateau et réussit en souplesse un rétablissement de haut style (je n’ai pas dit de style haut). Comme la guimbarde ne comporte ni lunette arrière ni rétroviseur sur l’aile, le conducteur ne s’est aperçu de rien.

Nous filons à vive allure dans le quartier crapuleux de la capitale cuhaltière. Des bouges, des venelles, des terrains vagues…

On longe le port ; sur ma droite, une forêt de grues défile. Puis on traverse un faubourg en planches. Les petites cabanes façon zone, avec leurs cheminées tordues dorment sous la lune. L’auto roule encore une paire de kilomètres et s’arrête dans un fabuleux grincement de freins inefficaces.

Rapide comme une gazelle déguisée en kangourou, je saute du plateau. Nous sommes en rase cambrousse, à l’orée de la ville.

Une casa confortable se dresse sur la droite, derrière une allée bordée de palmiers. Je me jette derrière une touffe de plantes grasses et j’attends.

Rouflaquettes sifflote en sortant la valise de son bahut. Il a l’air content de lui et ne paraît pas se souvenir des deux ratiches que je lui ai fait cracher au début de la soirée.

D’un pas alerte il s’engage dans l’allée en balançant la valoche de Conchita à bout de bras. J’attends qu’il soit entré dans la maison avant de me relever. La nuit est devenue douce car une brise légère souffle de la mer. Je consulte le cadran lumineux de ma montre : trois heures moins vingt ! Je pique sur la hacienda en prenant soin de marcher dans l’ombre des palmiers.

Comme je vais y parvenir, le ronflement d’une voiture me fait tressaillir. Je me retourne, et je distingue un double faisceau lumineux en train de virer. Une auto quitte la route pour emprunter l’allée. Ses occupants m’ont-ils aperçu ? Je me file à plat ventre sur le sol aride, derrière le tronc d’un palmier et j’attends la suite des événements.

L’auto — une puissante chignole ricaine aux chromes scintillants — arrive à ma hauteur et passe sans s’arrêter. Elle va jusqu’à la porte de la casa et s’immobilise. Ses phares s’éteignent, trois hommes en descendent, dont l’un me paraît porter un uniforme, peut-être est-ce une livrée de chauffeur. Les arrivants pénètrent dans la maison. La porte se referme, et de nouveau le silence de la nuit s’étend sur ma tête, à peine troublé par le crépitement des insectes et le lointain grondement de la mer. San-A, dont la curiosité est chauffée à blanc, reprend sa marche en avant. Que signifie ce micmac ? Jusqu’à l’arrivée de la voiture amerloque je croyais piger la situation ; mais maintenant j’avoue ne plus très bien réaliser ce qui se passe.

Je m’annonce à pas de loup devant la fenêtre éclairée. C’est une large baie panoramique, à demi ouverte, because la chaleur, et devant laquelle un fin voilage flotte doucement. À travers le tulle je distingue parfaitement ce qui se passe dans la carrée. De même j’entends tout, seulement les occupants parlent en cuhaltier, et, hélas ! je ne comprends pas cette langue dérivée de l’espagnol.

La pièce est vaste, bien meublée, avec des divans moelleux, un bar roulant des mieux garnis et des ventilateurs blancs aux pales ornées de rubans qui clapotent joyeusement.

Six personnages occupent ce living. Il y a là ma petite amie Conchita, son Julot aux rouflaquettes, un gros bonhomme chauve et suifeux, deux fois volumineux comme Béru et qui boit de la bière à même la bouteille, un petit homme vêtu d’un costar de toile beige bien coupé (il est le seul à porter une cravate), un policier en uniforme, et un autre type bien baraqué qui doit être un poulet en civil. Drôle de réunion, les gars ; et combien inattendue ! Que viennent fiche ces flics céans ?

Pour l’instant c’est Conchita qui tient le crachoir. Elle parle abondamment, avec vivacité en brandissant mon portefeuille. L’homme au complet beige s’en saisit, l’ouvre et farfouille dedans avec une dextérité qui force l’admiration. Il dédaigne l’argent et ne s’intéresse qu’à ma carte. Si je ne craignais pas de souiller mon pantalon je me flanquerais des coups de tatane dans le dargif. Faut être vachement truffe pour conserver une carte de matuche à son nom véritable quand on se pointe dans un patelin avec un passeport suisse, non ? Un débutant ne ferait pas une chose aussi sotte ! Ah ! j’en ai sec. Si je m’écoutais, je me révoquerais, comme l’Edit de Nantes, séance tenante !

Le type cravaté (c’est sans aucun doute le boss de ce joli monde) enfouille ma carte. Puis il jette négligemment le portefeuille sur la table basse. Le Gros suifeux prend des verres sur le bar roulant et demande aux arrivants ce qu’ils veulent picoler. Je le comprends à ses mimiques. Les zigs répondent « whisky ». Alors il cramponne une bouteille de bourbon et leur verse de copieuses rasades.

L’homme au complet beige s’assied sur la table, face à Conchita. Ses manières sont brusques et autoritaires. Ce type-là, croyez-moi, c’est quelqu’un. Il a le regard aigu d’un oiseau de proie, une bouche aux lèvres minces, des mâchoires anguleuses.