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Conchita hausse les épaules et murmure :

— Hablador !

— Tu vas l’entendre, la chanson de l’hablador, ma colombe.

Je recule jusqu’au couloir où gît le cœur de la môme. Pas beau à contempler, l’ami Rouflaquettes. Je le traîne au milieu du salon.

— Reconnais qu’il n’aurait pas volé son admission à l’hôpital le plus proche, dis-je en désignant l’estourbi.

Elle fait une grimace et détourne les yeux.

— Si on peut encore quelque chose pour lui, poursuis-je, il n’y a pas un instant à perdre. Alors je te fais la proposition suivante : tu parles et on l’expédie chez les hommes en blanc. Sinon c’est chez les hommes en noir qu’il finira la nuit.

Un silence. Je me demande ce que va décider ma soi-disant conquête de la soirée.

— Allez vous faire f… ! lâche-t-elle d’un ton sans réplique.

— Tu es certainement de bon conseil, mais je demande à réfléchir, dis-je sans marquer la moindre colère. Ton ami ici présent qui me paraît issu de l’accouplement d’un crapaud et d’une bonbonne d’huile sera, je l’espère, plus loquace.

Le gélatineux secoue la tête éperdument.

— Ne me faites pas de mal, señor, je ne sais rien.

— Penses-tu ! pépère, ce n’est qu’une absence de mémoire très passagère. Ça se soigne, tu vas voir…

Conchita se tourne vers le zig et se met à lui déballer d’une voix véhémente une tirade qui lui vaudrait son admission immédiate à la Comédie-Française. Je ne pige que des bribes de sa diatribe, mais le sens général ne m’échappe pas. Elle assure au suifeux que, s’il l’ouvre, il lui arrivera des malheurs si graves qu’il regrettera que sa mère ait rencontré son père.

C’est un gros problème qui se pose à notre ami Gras-du-Bide. Il est pris entre deux feux. D’un côté la menace intimidante de ma mitraillette, de l’autre la perspective peu réjouissante de représailles sévères.

— On se décide, mon cher furoncle ?

— Laisse-le moi, y me plaît ! fait dans mon dos la voix graillonneuse et tant aimée de Bérurier.

Et le Gravos fait une entrée de théâtre. Il a ses bretelles qui lui battent les noix, une veste de pyjama au lieu de chemise, sa veste est partagée en deux dans le dos, il est sans chapeau et sans souliers. Ses chaussettes grises sont ravaudées avec du coton rouge. On dirait qu’il a deux truites de six livres à la place de pieds.

— T’as eu le naze creux en me bigophonant, fait-il. Figure-toi que pendant que tu me causais la Rousse intervertissait l’hôtel. Comme c’est que je sors de la cabine, j’aperçois un paquet de matuches qui causaient avec le vioque du Byrrho. Je me dis : « Benoît, c’est pas le moment d’apprendre l’english pour chanter le Goût Suave du Singe à la princesse Margaret ». Je regrimpe l’escadrin mine de rien. Mais voilà que, comme j’entre dans ma carrée, les roussins se lancent à l’assaut. « Qu’est-ce que c’est qu’il y a ? » me demande Interjection. J’y mets une mornifle à bascule pour la faire taire et je me reloque comme un qu’entendrait sa femme rentrer tandis qu’il se farcit la bonniche. Les autres commencent de cogner dans ma lourde. Y avait pas à hésiter : j’ai filé par la fenêtre… J’ai voulu me laisser glisser le long du tuyau d’écoulement, mais il a cédé et je m’ai retrouvé accroché par la veste à l’enseigne de l’hôtel. Heureusement, sans quoi je me fracturais quèque chose. J’ai pu me dégager. Juste à ce moment, un poulet qu’était au volant du car de flics s’est annoncé. Il arrivait pas à déboucler son étui à revolver, ce tordu. Et je te jure qu’il est pas près d’y arriver. Je l’ai cueilli d’une droite au menton comme Carpentier lui-même a jamais pu en placer une !

Il se tait pour reprendre haleine.

— Vois-tu, San-A, murmure-t-il. J’aime mieux ça. Je commençais à me détériorer le moral avec ces histoires…

— Tu es venu comment ?

— Ben, avec le car de police.

— Hein ?

— J’allais pas me mettre à chercher un taxi en chaussettes, non ?

— Et le car, qu’en as-tu fait ?

— Il est derrière la maison, on ne peut pas le voir de la route.

— Béru, tu es le Chevalier Bayard ressuscité !

Il hausse les épaules.

— Quand on est presque quasiment commissaire, faut se montrer à la hauteur, non ? Bon, c’est pas le tout. T’avais des questions à poser à ces messieurs-dames, je crois avoir compris ?

— Exactement.

Il opine.

Puis de sa démarche de gladiateur il va couper les cordons des rideaux et s’en sert pour ficeler Conchita et le Gros Moche.

— Pour sa pomme, c’est pas la peine, hein ? me dit-il en montrant Rouflaquettes.

La présence du cher homme me dope. C’est physique. Béru a beau être un individu borné, cradingue et aussi bien éduqué qu’un crachat sur un trottoir, il n’en possède pas moins une étonnante personnalité qui vous subjugue.

— On va commencer par le bonhomme, lui soufflé-je dans le cornet, il m’a l’air plus facile à convaincre. Seulement il faut isoler la poule car cette petite garce l’intimide.

Sans mot dire, Béru saisit Conchita tel un paquet de linge sale et va la remiser dans la pièce voisine.

— À nous deux qui dansons si bien, fait-il en revenant. Pose-z’y les questions, je me charge de t’obtenir les réponses.

— Je leur ai déjà demandé qui était l’homme qui leur a rendu visite tout à l’heure.

Et je répète ma question en anglais. Le Gros se tourne alors vers le Suifeux.

L’autre, ficelé au dossier de sa chaise, sent que son destin débloque et il claque des dents. On dirait qu’on verse un sac de lentilles dans une baignoire de zinc. Comme il reste muet, Béru l’entreprend. On ne peut pas mesurer l’étendue de son imagination. C’est le Biaise Pascal du passage à tabac ; le Descartes du sévice ; le Montesquieu de la persuasion. Il commence par enfiler son index et son médius droits dans les narines du gars. Puis il monte sur une chaise et entreprend de soulever son client à quarante centimètres du sol.

— Force et souplesse ! déclame Béru. Dis-y au monsieur que son pif va ressembler à un entonnoir, dans pas longtemps et peut-être avant !

Je traduis, mais le « monsieur » ne m’écoute pas. Il pousse des cris de goret égorgé. Le sang ruisselle de son tarin. Lorsque Bérurier lâche sa prise, il a les doigts tout rouges et se les essuie aux vêtements de sa victime.

— Ça, c’est seulement du museau de porc en guise d’hors-d’œuvre, affirme mon valeureux coéquipier. Maintenant j’y sers les filets de sole meunière.

Il se place face au bonhomme, écarte ses bras, et se met à le gifler à toute vitesse, des deux mains. Il lui colle une vingtaine de doublés et laisse retomber ses épousseteuses.

— Regarde comme y donne des couleurs à ce pas-frais ! Pas la peine de changer les assiettes, je lui apporte le plat de résistance illico : la côte de bœuf braisée !

Il recule et lance sa jambe en avant pour filer un coup de savate dans la figure du suifeux, mais il calcule mal son élan et s’écroule sur le plancher. C’est tant mieux pour l’autre qui serait sûrement mort asphyxié. Fou de rage, le Gros se relève et, ne pouvant plus nuancer ses sévices, se jette sur le faisandé qu’il chicorne à coups de poing.

J’arrête le massacre.

— L’abîme pas trop, il a peut-être envie de parler.

Je pose la question au zig qui me répond que son plus cher désir est de me satisfaire pleinement.

— Ton nom ?

— Juan Lépino.

— Cette maison est à toi ?

— Oui.

— Qui est le visiteur de tout à l’heure ?

— Paulo Chon.