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Je m’en doutais vaguement. Je respire profondément, allons, ça commence à carburer. On vient de se replacer sur l’orbite, le Gros, ses morbacks et moi. Nous sommes plus qu’au vif du sujet : nous en sommes au cœur.

— Vous travaillez pour Chon ?

— Oui.

— Tu as connu Tepabosco ?

Il fronce les sourcils.

— Oui.

— Parle-moi de lui.

Il écarquille les yeux.

— Mais je ne sais pratiquement rien, señor. Sinon qu’il arrivait d’Europe pour surveiller Paulo Chon.

Donc, quoi qu’en pense le Boss, Casimodus était un traître.

— Comment le sais-tu ?

— Il l’a dit à Conchita.

— Et comment a-t-il connu Conchita ? Par hasard ?

— Je ne pense pas.

— Alors ?

Il hésite. Le suifeux reprend un peu du poil de la bête. Quand on discutaille avec un gars, il ne tarde pas à se sentir en confiance. Mais Béru veille. Il s’approche du ficelé et ce dernier reprend conscience de sa situation comme par enchantement.

— Je vais tout vous dire, señor. Paulo Chon a été prévenu par une lettre anonyme qu’un étranger venait d’arriver à l’Hôtel Dubonn e Sinzano avec l’intention de lui nuire.

— Intéressant. Alors ?

— Alors il a chargé Conchita d’entrer en contact avec l’homme.

— Quelle idée ?

— Paulo Chon est un homme très habile, señor. Il sait que très souvent la ruse d’une femme réussit là où la force d’un homme échoue.

— Continue.

— L’homme en question a, je crois, subi le charme de Conchita.

— Et il a parlé ?

— Pas tout de suite. Mais il a parlé. Mieux : il a fait alliance avec elle et Chon. Pour avoir un alibi vis-à-vis de ses chefs d’Europe il a fait exprès d’avoir un accident. C’est tout ce que je sais, señor. Par le sang du Christ, je le jure !

À mon humble avis ça n’est déjà pas mal.

— Es-tu au courant des rendez-vous qu’a Paulo Chon avec des gens de la Guadeloupe ?

— Absolument pas, señor. Je travaille assez peu pour Chon. Je… je ne fais que récolter pour lui des renseignements dans les lieux publics.

Un indic. Un simple indic. Je traduis à Béru qui hausse ses magnifiques épaules de plantigrade.

— Pas étonnant qu’il s’affale dès qu’on lui donne une tape ! fait mon camarade avec mépris.

— Passons maintenant à la souris, dis-je. Elle doit en avoir long comme un peloton de ficelle à nous raconter. M’est avis qu’elle est dans les papelards du chef poulet, elle.

— Je te la ramène, fait le Béru.

Il passe dans la pièce voisine et y pousse un grand cri intraduisible en sanscrit. Quand le Gros pousse une beuglante, faites-moi confiance, point n’est besoin de baisser l’intensité du poste de radio.

Il radine, toujours en chaussettes.

— Cette vermine de maison de passe s’est échappée !

— Hein ?

— Elle a frotté ses liens contre la plaque de verre du bureau pour les cisailler.

Je me pince le nez, ce qui, chez moi, est le signe extérieur d’une intense réflexion.

— On n’a plus qu’à déménager en vitesse, Gros. À l’heure qu’il est l’alerte est peut-être donnée et on va avoir droit à une corrida de première !

À peine ai-je parlé qu’un ronflement d’auto nous parvient. Des portières claquent : une, deux, trois, quatre, cinq, six…

Doit y avoir une tripotée de bagnoles.

— V’là de la visite, annonce Béru. Tu crois qu’ils viennent prendre le thé, ou quoi ?

— La fenêtre, soufflé-je, vite !

— Mais je suis t’en chaussettes, objecte Sa Rondeur.

— Objection non valable, Votre Sonnerie, fais-je en sautant dans le jardin.

CHAPITRE VI

Les matuches pullulent dans le secteur. Et ils continuent de radiner. De nouvelles bagnoles stoppent devant l’entrée de la maison. Heureusement pour nous, ces patates ne commencent pas par la cerner et se contentent de s’agglomérer devant l’entrée.

Courbé en deux, je fonce à travers une pelouse dont l’herbe jaunie craque sous mes semelles. Le pas lourd et feutré du Gros Sac sans souliers me file le train. Nous atteignons sans encombre une haie vive derrière laquelle nous nous accroupissons.

Maintenant, il s’agit de prendre une décision, de la choisir bonne et de la mettre rapidement à exécution.

Ces messieurs grouillent dans la maison. On voit une sarabande de silhouettes caractéristiques se dessiner derrière les voilages.

Des lumières s’allument au premier étage, des coups de sifflet retentissent, des ordres fusent. Ça piétine, ça trépigne, ça s’exclame, ça déclame, ça téléphone…

Et voilà que des poulets sautent par la fenêtre que nous avons nous-mêmes empruntée et s’égaillent dans le garden. Sans doute ont-ils délivré le suifeux et cet abominable leur a désigné la voie de notre fuite.

— C’est le moment de numéroter nos plumes ! me souffle le Gros. J’ai idée qu’y va y avoir du dégât !

Je coule un coup de périscope par-dessus mon épaule. Derrière nous, c’est la savane, plantée d’arbres chétifs et qui s’éclaircit jusqu’à l’orée des faubourgs. Seulement, entre elle et nous, il y a une étendue gazonnée, absolument nue.

— Faut les mettre, chuchote Béru.

— Avec ce clair de lune à tout casser, on est certains de déguster du plomb avant d’avoir fait dix mètres !

Je me tais, car deux malabars coiffés de casquettes plates à visière carrée s’avancent dans notre direction.

— Tu leur envoies le potage ? murmure l’Enflure.

Du regard, je lui fais signe de se taire et de ne plus broncher. Il m’obéit. Les deux flics ne sont plus qu’à cinq mètres de nous. Votre San-Antonio bien-aimé pense tellement vite que la trajectoire de sa pensée ne peut se mesurer qu’en années-lumière. Je me dis que notre haie étant la seule du jardin, ils ne peuvent pas ne pas regarder derrière. Et s’ils regardent ils ne peuvent pas ne pas nous voir. Je voudrais bien que le temps suspende son vol, comme un garçon de ferme soigneux suspend son falzar à un clou de la grange avant de caramboler la servante du château. Alentour le ramdam est à son comble. Ça piétine, ça vocifère, ça s’interpelle, ça se bouscule, ça klaxonne.

Les deux poulardins sont là, devant nous, masqués à leurs collègues par la haie. En une fraction de dixième de seconde je me dis : « S’ils n’ont pas leur pétard à la main, j’ai une chance. »

Je les braque avec ma mitraillette et à voix basse je leur dis :

— Un cri, un geste, et vous êtes morts tous les deux !

Le premier se pétrifie. Le second porte la main à sa ceinture pour solliciter l’aide et l’assistance de ses camarades. Il a un brin d’intelligence et il se dit que cela ne me servirait de rien de tirer, puisque toute la meute se rabattrait sur nos côtelettes. Mais Béru est l’homme des grandes occases. Tel un monstrueux crapaud buffle (et plus buffle que crapaud), il bondit en avant, tout en restant accroupi. Sa tronche taurine percute le bide du poulet. Rude coup de boutoir, mes frères. Il vaut mieux réceptionner un train de marchandises dans l’estom’ plutôt que la tronche à Béru. Le poulet cuhaltier part à la renverse en suffoquant. Bérurier se jette alors sur lui et, d’un coup du tranchant de la main sur la glotte, l’envoie à dame pour le compte. L’autre flageole et ses genoux applaudissent à se rompre la rotule.

— Estourbis-le d’une chiquenaude ! dis-je au Gros.

Il ne demande que ça, le Proéminent. Une châtaigne de l’Ardèche bien placée sur la nuque du second poultok, et nous nous retrouvons seuls.