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Ayant dit, je me penche par la portière baissée afin de saisir la courroie de l’étui. Je tire un coup sec. L’appareil photographique qui tenait la pédale d’accélération soulevée se retire. La pierre enfonce la pédale et la tient appuyée au plancher. Tout ça en moins de temps qu’il n’en faut à un mathématicien distingué pour compter jusqu’à 1. L’automobile se rue dans la mer. Elle ralentit because la résistance de l’eau, mais elle continue d’avancer. Elle parcourt un mètre, deux, trois, quatre mètres. Puis elle s’immobilise. Mais je m’en fous, car son pavillon affleure à peine la surface de l’eau. De plus comme il est vert, il ne se remarque pas.

— Beau turf, apprécie Bérurier. Et maintenant ?

— Maintenant, mon pote, on va essayer de dégauchir un bateau pour quitter ce patelin.

— Y a des paquebots, ici, tu crois ?

— Non, mais je n’ai pas envie de me faire cueillir en m’annonçant à bord d’un bâtiment de transport.

— Alors ?

— Ce qu’il nous faut c’est fréter un bateau de pêche. On a tout ce qu’il faut pour décider un patron de barque à nous emmener jusqu’aux côtes de Floride : de l’argent et une mitraillette !

— Tu me plais, affirme Béru. T’as quéque chose dans le crâne !

— Ça fait pour ceux qui n’ont qu’un poids chiche véreux en guise de cerveau, Gros.

— C’est pour moi que tu causes ?

J’arrondis mon index et je frappe son large front comme on toque à une porte.

— Entrez ! rigole l’Obèse.

— À quoi bon, puisqu’il n’y a personne, objecté-je.

Allons, le moral est revenu, mes chéries !

CHAPITRE VII

Une barre d’émeraude s’élargit au fond de l’horizon. Dites, c’est pas beau, cette image ? Ah ! Si je voulais, vous verriez un peu ce style. Je trusterais tous les prix, depuis le Goncourt jusqu’au prix Cognacq. Ce serait la méchante panique dans la littérature française, la débâcle des cracks et des Gracq ; Mauriac à la soupe populaire ! Sartre au chômage avec sa Grande Sartreuse ! Je serais obligé de faire agrandir notre pavillon pour emmagasiner les diplômes, les coupes et les Oscars. Ce seraient les essayages de mon habit vert devant les photographes internationaux ! Et la bath épée, fine et ciselée, qui est si pratique pour les grillades sur le barbe-cul ! Marcel Achard vous le dira. Seulement votre San-A n’a pas de ces ambitions-1à. La prose de salon, pour masturbé encéphalique, ça ne l’intéresse pas, le commissaire. Lui, quand il a un message à expédier, il n’écrit pas un livre, je vous l’ai déjà dit : il va à la poste. Le phosphore, il le réserve pour ses allumettes.

Phosphore et fais reluire ! Y en a qui écrivent avec des stylos au néon, d’autres avec des stylos au néant ; ça se fait de plus en plus, parole ! Le gars Bibi se contente d’emplir le sien avec de l’encre ; au moins, quand il fait des taches il peut les enlever au corrector ! San-A, c’est l’allié farouche de la S.N.C.F. Le Nobel de la littérature ferroviaire. Sa longueur d’onde c’est Paris-Dijon par le Mistral ou Paris-Sens en omnibus. Le vrai repos du guerrier c’est lui. C’est grâce à San-A que la jeunesse oublie cette époque bizarre où l’on interdit les films de Vadim aux gars de dix-huit ans, mais où on leur permet d’aller au casse-pipe. C’est grâce à San-A, toujours, que les secrétaires oublient l’ulcère à l’estomac de leur patron et les bonniches la main baladeuse du fils de la maison. San-A for ever ! Même les intellectuels homologués le lisent, aux gogues d’accord — chacun prend ses aises où il peut — mais ils se le farcissent régulièrement, je suis renseigné. Et les Royco ? Alors eux, c’est du délire, depuis le matuche à chaussettes de laine tricotées maison jusqu’aux huiles — que dis-je ! — jusqu’aux pierres à huile !

Le San-Antonio, c’est le signe d’une époque épique et cholestérolée ! On le trouve partout : dans les pharmacies, dans les clandés, dans les casernes, dans les presbytères, chez les presbytes, dans les mess, à la messe, à Metz (Toul et Verdun, les trois éméchés) et même chez certains libraires ! Il est pour la main tendue au-dessus des parties (à condition qu’elles ne soient pas placées trop bas). La main tendue par-dessus les frontières. Le dénominateur pas si commun que ça ! Il veut la paix, le pain, la liberté ; le pet de lapin en liberté. Il aime, quoi ! Qui ? Mais les hommes du monde entier et les femmes de mon dentier ! Oui, surtout les nanas, en amour c’est comme lors des naufrages : les femmes et les enfants d’abord. On garde le capitaine pour la bonne bouche ! Tout aimer, voilà le secret. Être amoureux du grain de café qu’on moud le matin, de l’oiseau qui s’oublie sur votre chapeau, du facteur qui vous apporte votre feuille d’impôt, du proviseur qui vous balance du lycée, de l’adjudant qui vous fait ramper dans la boue. Aimer la boue ! Aimer la m… Ne vous gênez pas, y’en aura pour tout le monde ! Aimer, aimer ! Le voilà, le secret ! Qu’on se le dise.

Vous allez penser que je parle de moi avec assez de verve, mais je veux bien permettre qu’un autre me le serve ! Aimer Edmond Rostand, tenez ! Et puis s’aimer soi-même, surtout si l’on est son genre !

Les petits Cadums entretiennent la santé ! Flûte ! où en étais-je ?

Ah oui : la plage cuhaltière, avec Béru en chaussettes. L’aurore qui point. Et le petit port de Santa Nanatépénar endormi.

Le Gravos pousse des gémissements à chacune de ses enjambées car les galets meurtrissent ce qu’on est bien obligé d’appeler la plante de ses pieds. Au bout d’un moment, comme nous sommes à l’extrémité de la jetée (une jetée qui pouvait encore servir) ; il maugrée :

— Tu pourrais planquer ta sulfateuse à poumons, si qu’on rencontre quelqu’un, on pourrait jamais lui faire croire que tu vas à la pêche.

Le Sublime a raison. Je glisse la mitraillette dans la jambe de mon futal et j’ai illico l’impression de porter un appareil orthopédique. Je marche comme un gars qui aurait morflé un éclat d’obus dans les cannes ou qui viendrait de visionner un film porno.

Vaille que vaille, nous arrivons sur le port. À première vue je ne détecte pas âme qui vive, mais à deuxième vue j’entends chantonner un mec quelque part, et, à troisième vue, j’aperçois un pêcheur en train de ravauder ses filets. Un matinal. Pour l’instant, il est tout seulâbre dans l’aube fragile. C’est un jeune gars, trapu, qui porte un maillot rayé, un short, et qui fume déjà un cigarillo.

Il nous regarde venir et s’arrête de remmailler. Il est surpris par notre aspect. Son regard de braise exprime la plus complète curiosité.

Je l’aborde par un cordial :

— Buenos dias, señor.

Il hoche la tête (à sa place Charpini branlerait le chef), et marmonne un truc que je ne pige pas et qui doit être une formule de politesse.

Je lui demande s’il parle anglais, et il me dit que oui. Voilà qui s’engage bien.

— C’est votre bateau, questionné-je, en désignant un petit bâtiment long d’une dizaine de mètres et pourvu d’un moteur.

— Oui, señor.

— Joli bateau. Figurez-vous que mon ami et moi, nous rêvons d’une balade en mer ? Ça vous ennuierait de nous emmener faire une petite croisière ?

Je sors mon portefeuille et j’agite une liasse de biftons.

— On vous paierait largement.

Le regard du marin se fige. Il hoche la tête (Charpini rebranlerait le chef).

— Ce n’est pas possible, señor.

— Pourquoi ?

— Parce que je dois partir pêcher et qu’il me faut réparer mon filet.

— Mais si je vous paie trois fois le prix que vous pouvez espérer tirer de votre pêche ? insisté-je patiemment.