— Je vous écoute, grince Paulo Chon.
Alors, en termes concis et même circoncis, je lui narre notre odyssée. Je ne passe rien. Je joue brèmes sur table. Qu’est-ce qu’on risque ? Casimodus est clamsé et j’ignore l’identité de notre informateur.
Mais c’est sur ce chapitre que Chon m’accroche.
— Qui a prévenu vos services de mes entrevues avec les personnes en question ?
— Je l’ignore.
— Eh bien, nous allons essayer de vous rafraîchir la mémoire.
— Vous me poseriez le pôle Nord sur la tête que ça ne me la rafraîchirait pas. J’ai fait une enquête justement pour essayer de découvrir le mystérieux informateur. Il vous sera facile de contrôler : j’ai interrogé à ce propos le personnel du Dubonn e Sinzano.
Il se gratte la nuque. Un gentil boulot s’opère dans sa tronche. Ce salingue n’a pas du hachis Parmentier à la place du cerveau. Soudain, sa figure chafouine s’éclaire.
— Il y a peut-être un moyen de démasquer ce traître, annonce-t-il.
— Je serais curieux de le connaître.
— Vous allez câbler à votre chef pour le lui demander, tout simplement.
— J’y avais songé, figurez-vous.
— Alors ?
— Si mon chef ne m’a pas révélé l’identité de son correspondant c’est qu’il tient à la garder secrète. On voit que vous ne connaissez pas mon patron : il ne la confiera à personne…
— Essayons toujours…
Il va à son petit secrétaire en acajou incrusté d’argent, l’ouvre et y prend de quoi écrire. Il se met alors à rédiger le message et nous fait la grâce de nous le lire :
« Casimodus décédé stop. Dois absolument contacter qui vous savez stop. Prière me donner les moyens de le rencontrer stop. Très urgent, stop.
Il mordille son stylo.
— De quel nom me conseillez-vous de signer ? demande-t-il.
— Lustucru Ozeufrais, répond Béru, ce qui lui vaut de réceptionner un coup de pied dans le bigoudi à double carburateur. Chon répète sa question.
— Je signe de votre nom ou de votre pseudonyme ?
Et comme je ne réponds pas.
— Dites-vous bien, mon cher… collègue, que ce sont vos deux existences qui se jouent en ce moment. Si j’obtiens le nom du traître, vous serez reconduit à l’aéroport. Sinon on trouvera bien un coin de terre quelque part pour recevoir vos carcasses !
— Signez San-A, décidé-je.
Dans ma petite bouille de moineau déprimé se fait le raisonnement suivant. Le Vieux, qui n’est pas tombé de la dernière ondée, sait — et pour cause ! — que je suis ici sous un faux blaze et qu’il faut montrer ses fafs lorsqu’on veut câbler à l’étranger. Il se dira que ce message signé incomplètement de mon vrai nom cache un piège.
— Merci, fait Chon. Maintenant le nom et l’adresse de votre supérieur ?
Je lui file les renseignements avec plaisir. J’ai hâte que le dabuche soit prévenu.
Chon mande un de ses sbires et lui remet le papier.
— Voilà, fait-il lorsque l’homme est parti. Ce câble va être expédié en urgent et d’ici quelques heures il sera parvenu à son destinataire. Je souhaite pour vous que la réponse ne tarde pas et qu’elle soit bonne.
À peine a-t-il déclaré cela qu’il fait claquer ses doigts et se met à hurler par la baie.
Le messager qui était déjà dans sa chignole réapparaît. Chon lui redemande le message.
— Nous allions faire une bêtise, me dit-il en souriant. Vous devez signer du nom porté sur votre passeport puisque les pièces d’identité sont réclamées au service des télégrammes pour l’étranger.
Je ravale ma déconvenue.
Il est duraille à blouser, ce fils de putois. Maintenant, tout est fichu. Je viens de condamner un type à mort, car il y a de fortes chances pour que le Vieux réponde à ma requête et m’allonge le blaze de son fameux correspondant.
Béru, qui réalise brusquement ma ruse, m’adresse une grimace d’hépatique posant pour une publicité pharmaceutique.
— Tu l’as in the baba, me dit-il dans un anglais des plus corrects.
— S’il n’y avait que moi !
Chon se marre comme un petit fou. Puis il donne des instructions à son bourreau. Ici, comme en France, tout finit par des Samson. Pepito vient nous chercher. Il dégage la chaîne de l’anneau, mais sans l’ôter de nos menottes, et il nous entraîne à l’extérieur comme on emmène une couple de bœufs à l’étable.
CHAPITRE IX
Je voudrais bien pouvoir faire tourner l’étable, seulement pour cela ce n’est pas du fluide qu’il me faudrait, mais un troupeau de bulldozers dans la force de l’âge.
Drôle d’étable à la vérité !
Imaginez un blockhaus de ciment aux murs larges comme l’esplanade des Invalides. Un couloir étroit y mène, une porte en fer plus épaisse que celle d’un coffre de la Banque d’Angleterre et zébrée de verrous gros comme ma cuisse.
Pepito nous fait pénétrer dans une cellule grande comme deux cabines de bain. Au ras du mur il y a un autre anneau de fer auquel il nous agrafe comme précédemment. Ce cachot ne prend le jour et l’air que par une fente large de quinze centimètres et haute de dix percés dans la formidable muraille, et dirigée vers la mer. On n’a donc, pour tout horizon, qu’un rectangle de bleu de cent cinquante centimètres carrés.
Le King-Kong cuhaltier nous laisse, sans proférer une syllabe et repart. Il lui faut cinq minutes au moins pour tirer les verrous. Ceux-ci grincent comme le diamant d’un vitrier qui écrirait son nom sur la vitre d’un grand magasin et qui s’appellerait Népomucène Anticonstitutionnellement.
Son pas décroît.
Nous restons seuls dans la presque totale obscurité.
— Tu veux que je te dise, murmure Sa Rondeur. Hein, tu veux que je te dise, San-A ?
— Ça n’est peut-être pas la peine, soupiré-je. J’ai déjà des charançons dans la matière grise !
— Je vais te le dire quand même, San-A. Figure-toi que quand c’est qu’on s’est marida, Berthe et moi, un oncle à elle voulait nous céder en villégiature son magasin d’articles de pêche.
— Tu veux peut-être dire en viager, Gros ?
— Xactement. À Lyon qu’il était, ce magasin. Tu te rends compte ? Une ville où ce qu’y a deux fleuves, si la vente de l’asticot ça doit carburer !
— Je le conçois, Gros.
— Et en plus t’as le beaujolais fruité !
— Aussi, Gros, je l’admets.
— À Paris, on croit boire du beaujolais, mais mes choses, oui ! Le vrai de vrai, c’est les Lyonnais qui se le biberonnent à notre santé.
— Laisse-les faire, notre santé en a grand besoin.
Il se tait un moment, puis :
— Ce que je voulais te dire, San-A, c’est qu’en ce moment où je te cause, je me demande si que j’aurais pas mieux fait d’accepter. D’autant que l’oncle que je te parle est clamsé l’année après notre mariage. C’est la vie, non ?
— Oui, Gros, c’est la vie.
Le Gravos me fait alors cette sublime remarque :
— T’as pas l’air en train, gars ?
— Erreur, Béru. Je suis en train. En train de me dire que je ne pensais pas m’allonger un jour comme le premier malfrat de faubourg. À cause de moi, un homme va se faire liquider. C’est le genre d’idée qu’on n’arrive pas à digérer même avec des sels d’Éno.
Des heures passent. Nous les employons à roupiller car nous avons eu une nuit aussi blanche (de Castille) que mouvementée.
J’ignore combien de temps nous en écrasons ainsi. Arrivé au terme de notre pioncette, la voix béruréenne articule dans l’ombre épaisse du cachot :