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Tout à l’heure mes châsses vont être salement mélangés, j’en ai peur. Je suis bon pour une visite à l’oculiste.

Mais même si j’étais menacé de devenir aveugle, je ne raterais pas un spectacle de cette qualité.

Héléna vient de s’allonger sur le pageot. Sa peau est pâle comme le sont certains vases de Bohème ; ses seins sont drus et modelés pour s’adapter à la main de l’homme. Ses cheveux répandus sous sa tête achèvent de donner à l’image un caractère affolant. Je me dis que si je mate encore un moment par mon judas je vais avoir un voltage tel que je sauterai à pieds joints l’île de la Cité.

Je laisse retomber le tableau et je descends à ma voiture afin d’y prendre le matériel dont je me suis muni. C’est un petit magnétophone de notre cru qui s’adapte n’importe où. Je le branche dans le trou et j’arrange le dispositif. Il me faudrait quelque chose pour caler l’appareil contre le mur. J’empoigne un annuaire téléphonique qui se trouve sur une tablette et je l’ouvre en son milieu afin qu’il serve de support au magnétophone. J’arrange mon petit bazar et je m’offre une cigarette.

Je peux me détendre un brin : pas un soupir de la môme Héléna ne m’échappera. J’ai dans l’idée que l’enregistrement vaudra son pesant de moutarde. Il y a des amateurs qui en proposeront une fortune !

J’éprouve une légitime fierté. En somme je n’ai pas perdu mon temps.

Je règle l’appareil et je m’apprête à me relever lorsque mon regard qui est toujours à la hauteur des circonstances se pose sur l’annuaire ouvert. On peut y lire une ligne non recouverte par le magnétophone. Je lis :

Le Champignon, bar, rue Fontaine.

Je ne sais pas si vous croyez au père Noël ? Moi je vous affirme que pour le quart d’heure je ferais du pâté de foie avec le type qui me soutiendrait qu’il n’existe pas.

Le Champignon bar ! Champignon ! Champignon !

Comment n’ai-je pas songé plus tôt à un truc de ce genre ?

Comment n’ai-je pas compris que les mots français qui se prononcent dans une conversation étrangère sont en général des noms de lieux ?

Champignon ! répétait Héléna dans le téléphone…

Pourquoi ne s’agirait-il point d’un bar ? Je décide d’aller traîner mon pif rue Fontaine.

Je sors en fermant soigneusement ma porte à clef !

En bas, je dis à la mère Tapedur :

— Je reviendrai un peu plus tard ; en attendant je vous interdis d’entrer dans ma chambre ou de dire un mot à mon sujet à qui que se soit. Si vous ne tenez pas votre langue, je vous enverrai droit au mitard et vous y resterez tellement longtemps que vous vous demanderez pourquoi le Bon Dieu vous a dotée de jambes !

Là-dessus je fonce sur le boulevard des Batignolles.

CHAPITRE V

UN AMI QUI ME VEUT DU BIEN !

Le « Champignon » n’est pas duraille à découvrir. C’est la boîte de nuit traditionnelle. L’entrée est en relief et représente un énorme champignon du type plutôt vénéneux. Il y a un aboyeur devant la lourde ; un pauvre tordu transi de froid qui a deux glaçons pendus au blair et qui promet aux flâneurs des sensations fortes. Il assure que les plus belles souris de Paname sont à l’intérieur, à poil et en couleur… Je fais mine de me laisser séduire par son baratin et j’entre au « Champignon ».

L’endroit n’est pas plus tartouze qu’un autre. Il serait même assez sympa. C’est petit, intime, chaud, accueillant. Les tables ont la forme de champignons ainsi que les chaises, les verres et la gueule du barman.

Sur une minuscule piste, trois gonzesses font le classique numéro de danse des girls dont l’unique talent chorégraphique consiste à savoir tortiller du pétrousquin.

Elles n’ont en fait de vêtements pour elles trois qu’une plume d’autruche. C’est suffisant à mon gré. Je souhaiterais même qu’un courant d’air emballe la plume car elles ne sont pas mal roulées. Mais dans cette cage à rat, on peut s’attendre davantage à l’apparition d’un diplodocus femelle qu’à celle d’un courant d’air.

Je grimpe sur un tabouret du bar et je dis au garçon de chercher son plus grand verre et de l’emplir avec son whisky le meilleur.

Il réagit rapidement.

Tandis que mon cube de glace fond lentement dans le breuvage, je coule un regard professionnel sur l’assistance. J’en suis pour mon boulot de rétine ! R.A.S., comme disent les communiqués d’état-major les jours où un millier de pègreleux seulement se sont fait débiter en tranches. Tous les gnaces qui sont là ont l’air de braves fêtards venus cigler trois sacs une bouteille de champ éventé.

Je me demande ce que j’espérais… Je ferais bien mieux de retourner rue de Courcelles, because dans la tôle de la mère Tapedur, le spectacle est à l’œil et bien moins au chiqué qu’ici…

Les trois petites pétroleuses remuent encore leur standard pendant un moment. Puis elles s’en vont en faisant des effets de plume.

Le pianiste — car un piano constitue tout l’orchestre — joue un petit air qui donne envie de se gratter, après quoi arrive une chanteuse sans voix, serrée dans un fourreau à parapluie en satin blanc.

Elle vagit une goualante qui raconte les démêlés d’un légionnaire avec une enfoirée à la mords-moi-le-nerf-rachidien qui lui fait rater l’appel du soir. De quoi faire chialer une brique ! Tout le monde se marre à l’exception de la môme du vestiaire qui compatit car elle doit avoir du sable chaud dans son soutien-gorge.

J’en suis à mon troisième whisky. Je m’apprête à commander le quatrième, ce qui est d’une logique rigoureuse, lorsque le garçon est sollicité par la sonnerie du téléphone. Il sort l’appareil de sa niche et écoute.

— Allô ?

Une voix d’homme bonnit un grand baratin. Le garçon regarde les consommateurs du bar, son regard s’arrête à moi.

— C’est sûrement pour vous, fait-il…

— Pardon ?

— C’est pour vous…

Et il me cloque l’écouteur dans les paluches. Je regarde ce morceau d’ébonite comme un canard regarde un chausse-pied. Je me demande presque à quoi ça peut servir. Enfin je retrouve mon esprit d’initiative et je me colle le truc contre l’oreille.

Une voix d’homme, très riche, très grave, me demande si je suis le commissaire San-Antonio.

Je réponds qu’il n’y a pas une minute j’étais prêt à le jurer mais que ma surprise est tellement vive que je peux aussi bien être Ray Ventura ou le président Senghor.

Le type invisible se met à rigoler.

— Toujours de l’esprit, hé, monsieur le commissaire ?

— De plus en plus, je lui fais, à tel point que j’en vends en petits flacons aux bonshommes qui sont empêchés de la cellule grise.

— Dites-moi, reprend l’inconnu, ça vous botterait d’avoir du nouveau sur l’affaire Stevens ?

— Assez, oui ; vous en avez ?

— Je connais un endroit où vous en trouverez…

— C’est votre petit doigt qui vous a affranchi ?

— Exactement.

— J’écoute…

— Vous connaissez Louveciennes ?

— Un peu, mon neveu, j’ai un copain qui a une auberge dans le coin, aux bords de la Seine.

— À l’entrée de la localité, sur la route, il y a une propriété qui s’appelle « Les Ormeaux ».

— C’est possible.

— C’est même certain…

— Alors ?

Alors, si vous alliez y faire un tour, vous compléteriez peut-être votre éducation…

— Vous croyez ?