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Le lendemain matin, le cœur passablement ému, je retournai a l’Hôtel de Ville avec tous les candidats qui devaient se présenter. Mais déjà pas mal d’entre eux n’étaient pas si fiers que la veille. Dans une grande salle devant une grande table chargée d’écritoires, de papiers et de livres, il y avait, assis gravement sur leurs chaises, cinq professeurs, en robes jaunes, cinq fameux professeurs venus exprès de Montpellier avec le chaperon bordé d’hermine sur l’épaule et la toque sur la tête. C’était la Faculté des Lettres, et voyez le hasard: un d’eux était M. Saint-René Taillandier, qui devait quelques ans après devenir le patron, le chaleureux patron de notre langue provençale. Mais à cette époque, nous ne nous connaissions pas et l’illustre professeur ne se doutait certes pas que le petit campagnard qui bredouillait devant lui deviendrait quelque jour un de ses bons amis.

Je jouai de bonheur: je fus reçu, et je m’en allai par la ville, comme porté par les anges. Mais, comme il faisait chaud, je me rappelle que j’avais soif; et, en passant devant les cafés, avec ma houssine en l’air, je pantelais de voir, blanchissante dans les verres, la bonne bière écumeuse. Mais j’étais si craintif et si novice dans la vie, que je n’avais jamais mis les pieds dans un café, et je n’osais pas y entrer!

Que faisais-je pour lors? je parcourais les rues de Nîmes, flambant, resplendissant, si bien que tous me regardaient et que d’aucuns, même, disaient:

– Celui-là est bachelier!

Et quand je rencontrai une borne fontaine, je m’abreuvais à son eau fraîche et le roi de Paris n’était pas mon cousin.

Mais le plus beau, ensuite, fut au Petit Saint-Jean. Nos braves jardiniers m’attendaient impatients, et me voyant venir, rayonnant à fondre les brumes, ils s’écrièrent:

– Il a passé!

Les hommes, les femmes, les filles, tout le monde sortit, et en veux-tu des embrassades et des poignées de main! On eût dit que la manne venait de leur tomber.

Alors, le Remontrant (celui qui parlait du gosier) demanda la parole. Ses yeux étaient humides et il dit:

– Maillanais, allez, nous sommes bien contents! vous leur avez fait voir, à ces petits messieurs, que de la terre, il ne sort pas que des fourmis, il en sort aussi des hommes.

Allons, petites, en avant et un tour de farandole.

Et nous nous prîmes par les mains et, dans la cour du Petit Saint-Jean, un bon moment nous farandolâmes. Puis on s’en fut dîner, nous mangeâmes une brandade, on but et on chanta jusqu’à l’heure du départ.

Il y a de cela cinquante-huit ans passés. Toutes les fois que je vais à Nîmes et que je vois de loin l’enseigne du Petit Saint-Jean, ce moment de ma jeunesse reparaît à mes yeux dans toute sa clarté – et je pense avec plaisir à ces braves gens qui, pour la première fois, me firent connaître la bonhomie du peuple et la popularité.

Enfin me voilà libre dans mon Mas paternel et dans ma belle plaine de froment et de fruits, à la vue pacifique de mes Alpiles bleues, avec leur Caume au loin, leurs Calancs, leurs Baux, leurs Mourres, si connus, si familiers, le Rocher-Troué, le Monceau-de-Blé, le Mamelon-Bâti, la Grosse-Femme! me voilà libre de revoir, quand venait le dimanche, ces compagnons de mon jeune âge si regrettés, si enviés, quand j’étais dans la geôle. Avec quel plaisir, quels enthousiasmes, en nous promenant farauds, sur le cours, après vêpres, nous nous contions ce qui nous était arrivé, depuis qu’on ne s’était vu: Raphel à la course des hommes avait remporté le prix; Noël avait enlevé la cocarde à un taureau; Gion, à la charrette qu’on fait courir à la Saint-Eloi avait mis la plus belle des mules de Maillane; Tanin s’était loué pour le mois de semailles au grand Mas Merlata et Paulet avait riboté, pendant trois jours et trois nuits, à la foire de Beaucaire.

Et tous avaient ensuite (pour le moins) une amie, ou, pour mieux dire, une promise, avec laquelle ils coquetaient depuis leur première communion. Quelques-uns même avaient l’entrée, c’est-à-dire, le droit d’aller, le dimanche au soir faire un brin de veillée à la maison de leur belle.

Moi qu’avaient dépaysé mes sept années d’école, j’étais hélas! le seul à garder les manteaux, et, quand nous rencontrions les volées de fillettes qui, se tenant par le bras, nous barraient la rue, je remarquai qu’avec moi elles n’étaient pas à l’aise comme avec les camarades. Elles et eux, se comprenant sur la moindre des choses, faisaient leurs gognettes de rien; mais moi j’étais pour elles devenu un «monsieur» et si à l’une d’elles j’avais conté fleurette, elle n’eût à coup sûr pas voulu croire à mes paroles.

De plus, ces gars, élevés dans un cercle d’idées toutes primaires, avaient des admirations toujours renouvelées pour des choses qui moi ne disaient que peu ou rien: par exemple, une emblavure qui avait décuplé ou rendu douze pour un, un haquet dont les roues battaient ferme sur l’essieu, un mulet qui tirait fort, une charrette bien chargée, ou un fumier bien empilé.

Et alors je me rabattais, l’hiver, sur les veillées où j’eus l’occasion ainsi d’écouter nos derniers conteurs: entre autres le Bramaire, un ancien grenadier de l’armée d’Italie, qui mangeait toutes vivantes les cigales et les rainettes, si bien que ces bestioles lui chantaient dans le ventre. Il me semble l’entendre, lorsqu’il voulait réveiller les auditeurs qui sommeillaient:

– Cric – Crac!

– De la m… dans ton sac, Du butin dans le mien!

Un souvenir de la caserne ou du temps où, en campagne, on était campé sous la tente.

Un autre qui en savait, des sornettes, à ne plus finir, c’était le vieux Dévot auquel je suis heureux de payer ici ma dette car, si simple qu’elle fût, je lui dois la donnée de mon poème de Nerto. Et à propos de ces veillées, nous allons en toucher un mot. Aujourd’hui dans nos villages, les paysans, après souper, vont au café faire leur partie de billard, de manille ou d’un jeu de cartes quelconque, et, des veillées anciennes, c’est à peine s’il en reste une espèce de semblant chez quelques artisans qui travaillent à la lampe, tels que les menuisiers ou bien les cordonniers.

Mais en ce temps, la mode de ces réunions joyeuses était loin d’être perdue: et elles se tenaient en général dans les étables ou dans les bergeries, parce que là avec le bétail, on se trouvait plus chaudement. L’usage était que chaque veilleur ou habitué de la veillée fournît la chandelle à son tour, et il fallait que la chandelle durât deux soirées, de sorte que, quand les assistants la voyaient à moitié usée, ils se levaient et allaient au lit.

Seulement pour que la chandelle s’usât moins rapidement, on mettait sur le lumignon, savez-vous quoi? un grain de sel; on la posait debout sur le fond d’une portoire ou d’un cuvier renversé, et les femmes qui filaient ou qui berçaient leurs petits (car les mères apportaient les berceaux à la veillée) avec leurs hommes et leurs enfants s’asseyaient tout autour, sur la litière ou sur des billots. Lorsqu’il n’y avait pas de sièges, les fileuses, une devant l’autre, la quenouille au côté (quenouille de roseau renflée et coiffée de chanvre), tournaient lentement autour du veilloir, afin d’éclairer leur fil, et l’on y disait des contes, interrompus souvent par un ébrouement des bestiaux, un bêlement ou un braiment. Parmi ces contes de veillée, celui que je vais vous dire se répétait fréquemment, parce qu’un de mes oncles, le bon M. Jérôme, y avait joué un rôle et que c’était un conte vrai.

Vers 1820 ou 25, peu importe la date, à Maillane mourut un certain Claudillon; et comme il n’avait pas d’enfants, sa maison resta close pendant cinq ou six mois. Pourtant un locataire à la fin vint l’habiter et les fenêtres se rouvrirent.

Mais, quelques jours après, il courut dans Maillane une rumeur étrange: la maison de Claudillon était hantée. Le nouvel habitant et sa femme entendaient ravauder et far- fouiller toute la nuit: un bruit particulier, comme si on remuait du papier, du parchemin. Dès qu’on allumait la lampe, on n’entendait plus rien; et dès qu’on l’éteignait, recommençait de plus belle le froissement mystérieux. Ils eurent beau, les locataires, fureter, virer, tourner dans tous les coins de la maison, nettoyer le buffet, regarder sous le lit, sous l’escalier, sous les planches de l’évier, ils ne virent rien qui pût expliquer peu ou prou le remuement nocturne, et ce bruit tous les jours renaissait dans la nuit; à ce point vous dirai-je que ces gens prirent peur et déménagèrent en disant aux voisins: «Y couche qui voudra, dans la maison de Claudillon: les revenants la hantent.» Et ils partirent.