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Réveillez-vous, enfants de la Gironde, Et tressaillez dans vos sépulcres froids:

La liberté va rajeunir le monde…

Guerre éternelle entre nous et les rois!

Un enthousiasme fou m’avait enivré soudain pour ces idées libérales, humanitaires, que je voyais dans leur fleur: et mon républicanisme, tout en scandalisant les royalistes de Maillane, qui me traitèrent de «peau retournée» faisait la félicité des républicains du lieu qui, étant le petit nombre, étaient fiers et ravis de me voir avec eux chanter la Marseillaise.

Or, chez ces hommes-là, descendants pour la plupart des démagogues populaires qu’à la Révolution on nommait «les braillards» tous les vieux préjugés, rancunes et rengaines de l’ancienne République s’étaient, de père en fils, transmis comme un levain.

Une fois, que j’essayais de leur faire comprendre les rêves généreux de la République nouvelle, sans cacher mon horreur pour les crimes qui firent, au temps de la première, périr tant d’innocents:

– Innocents, me cria d’une voix de tonnerre le vieux Pantès, mais vous ignorez donc que les aristocrates, avaient juré, les monstres, de jouer aux boules avec les têtes des patriotes?

Et, me voyant sourire, le vieux Brulé me dit:

– Connaissez-vous l’histoire du château de Tarascon?

– Quelle histoire? répondis-je.

– L’histoire de la fois où le représentant Cadroy vint donner l’impulsion aux contre-révolutionnaires… Écoutez-la et vous saurez le motif de ce refrain que les Blancs, de temps à autre, nous chantent sur la moustache:

De bric ou de broc

Ils feront le saut

De la fenêtre

De Tarascon,

Dedans le Rhône:

Nous n’en voulons plus

De ces gueux-là,

De ces gueux

De sans-culottes

Vous savez, ou vous ignorez, qu’à la chute de Robespierre, les modérés tombèrent sur les bons patriotes et en remplirent les prisons. A Tarascon ils firent monter les prisonniers, tout nus comme des vers, au sommet du château, et de là, ils les forçaient, à coups de baïonnettes, de sauter dans le Rhône par la fenêtre qui s’y trouve. C’est alors qu’un nommé Liautard, de Graveson, qui est encore en vie, étant resté le dernier pour faire le plongeon, profita d’un moment où on l’avait laissé seul, dépouilla sa chemise, qu’il jeta avec les autres, et alla se cacher dans un tuyau de cheminée, de sorte que les brigands, lorsqu’ils revinrent de là-haut et qu’ils comptèrent les chemises, crurent avoir tout noyé, et vidèrent les lieux. Liautard, la nuit venue, gagna le haut du château; puis par une corde qu’il avait faite avec les vêtements des autres, ils descendit aussi bas qu’il put, puis plongea dans le Rhône, qu’il traversa à la nage, et s’en vint à Beaucaire frapper chez un ami qui lui donna l’hospitalité.

– Et le pauvre Balarin, disait le Bouteillon (un petit homme rageur qui sans cesse cognait sur le casaquin des prêtres), le pauvre Balarin qui pêchait à la ligne en 1815 là-bas dans la Font-Mourguette, et qu’ils assassinèrent parce qu’il ne voulait pas crier: «Vive le roi!»

– Et, faisait le gros Tardieu, le monsieur du Mas Blanc, qui, vers la même époque, fut abattu d’un coup de fusil tiré à travers la porte!

– Et Trestaillon! avançait l’un.

– Et le Pointu! ajoutait l’autre.

Telles étaient les invectives qui, d’un côté comme de l’autre, avec la république étaient revenues sur l’eau. Et, ici comme ailleurs, cela ramena la brouille et les divisions intestines. Les Rouges commencèrent de porter la ceinture et la cravate rouge, et les Blancs les portèrent vertes. Les premiers se fleurirent avec des bouquets de thym, emblème de la Montagne; les seconds arborèrent les fleurs de lis royales. Les républicains plantaient des arbres de la liberté; la nuit, les royalistes les sciaient par le pied. Puis vinrent les bagarres, puis les coups de couteau; et bref, ce brave peuple, ces Provençaux de même race qui, un mois avant, jouaient, plaisantaient, banquetaient ensemble, maintenant, pour des vétilles qui n’aboutissaient à rien, se seraient mangé le foie.

Par suite, les jeunes gens, c’est-à-dire tous ceux de la même conscription, nous nous séparâmes en deux partis; et chaque fois, hélas! que le dimanche au soir, après avoir bu un coup, on s’entre-croisait à la farandole, pour rien on en venait aux mains.

Aux derniers jours du carnaval, les garçons ont coutume de faire le tour des fermes pour quêter des œufs, du petit salé, et ramasser de quoi manger quelques omelettes. Ils font ces tournées-là en dansant la moresque, avec un tambour ou un tambourin, et en chantant d’ordinaire des couplets comme ceux-ci:

Mettez la main, dame, au clayon:

De chaque main un petit fromage!

Mettez la main dans le saloir,

Donnez un morceau de jarret!

Mettez la main au panier d’œufs,

Donnez-en trois ou six ou neuf

Mais nous, cette année-là, en faisant la quête aux œufs, comme des niais que nous étions, nous ne chantions que la politique. Les Blancs disaient:

Si Henri V venait demain,

Oh! que de fêtes, oh! que de fêtes;

Si Henri V venait demain,

Oh! que de fêtes nous ferions.

Et les Rouges répondaient:

Henri V est aux îles

Qui pèle de l’osier,

Pour en coiffer les filles

Amies du vert et blanc.

Quand nous eûmes, le soir, dans notre coterie, mangé l’omelette au lard et vidé nombre de bouteilles, nous sortîmes du cabaret, comme on le fait dans les villages, en manches de chemise avec la serviette au cou; et au son du tambour, les falots à la main, nous dansâmes la Carmagnole en chantant la chanson qui avait alors la vogue:

La fleur du thym, ô mes amis,

Va embaumer notre pays:

Plantons le thym, plantons le thym,

Républicains, il reprendra!

Faisons, faisons la farandole

Et la montagne fleurira.

Puis nous brûlâmes Carême-prenant, nous criâmes: «Vive Marianne!» en faisant flotter nos ceintures rouges, bref, nous fîmes grand tapage.

Le lendemain en me levant, et je ne fus pas trop matinal ce jour-là, mon père qui m’attendait, sérieux, solennel, comme aux grandes circonstances, me dit:

– Viens par ici, Frédéric, j’ai à te parler.

Je me songeai: Aïe! aïe! aïe! Cette fois nous y voici, aux bouillons de la lessive!

Et sortant de la maison, lui devant, moi derrière, – le suivant sans souffler mot, – il me mena vers un fossé qui était à environ cent pas de la ferme, et m’ayant fait asseoir auprès de lui sur le talus, il commença:

– Que m’a-t-on dit? qu’hier, tu as fait bande avec ces polissons qui braillent «Vive Marianne», que tu dansas la Carmagnole! que vous fîtes flotter vos ceintures rouges en l’air! Ah! mon fils tu es jeune! C’est avec cette danse et c’est avec ces cris que les révolutionnaires fêtaient l’échafaud. Non content d’avoir fait mettre sur les journaux une chanson où tu méprises les rois… Mais que t’ont fait, voyons, ces pauvres rois?

A cette question, je le confesse, je me trouvai entrepris pour répondre et mon père continuant:

– M. Durand-Maillane, dit-il, un gros savant, puisqu’il avait présidé la fameuse Convention, mais aussi sage que savant, ne la voulut pas signer, pourtant, la mort du roi; et un jour qu’il causait avec Pélissier le jeune, qui était son neveu (nous étions voisins de mas et mon père, maître Antoine, se trouvait avec eux), un jour, dis-je, qu’il causait avec son neveu Pélissier, conventionnel aussi, et que celui-ci se vantait d’avoir voté la mort: «Tu es jeune, Pélissier, tu es jeune, lui dit M. Durand-Maillane, et quelque jour tu le verras, le peuple va payer par des millions de têtes celles de son roi!» Ce qui ne fut que trop vérifié, hélas! que trop vérifié par vingt années de rude guerre.