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– Il possède, disait-il, sept arpents de toitures.

Les filles qui s’engagent pour la cueillette des olives – à Mouriés, elles sont nombreuses – le louaient pour leur dire des contes à la veillée. Elles lui donnaient, je crois, un sou chacune par veillée. Il les faisait tordre de rire, car il savait tous les contes, plus ou moins croustilleux, qui, d’une bouche à l’autre, se transmettent dans le peuple, tels que: Jean de la Vache, Jean de la Mule, Jean de l’Ours, le Doreur, etc.

Une fois que la neige commençait à tomber:

– Allons, disions-nous, le cousin apparaîtra bientôt.

Et il ne manquait jamais.

– Bonjour, cousin!

– Cousin, bonjour!

Et voilà. La main touchée et son bâton déposé, humblement, derrière la porte, et s’attablait, mangeait une belle tartine de fromage pétri et entamait, ensuite, le sujet de l’olivaison, Et il contait que les meules, en son bourg de Mouriès, ne pouvaient tenir pied à la récolte des olives. Et il disait:

– Comme on est bien, l’hiver, lorsqu’il fait froid, dans ces moulins à huile! Écarquillé sur le marc tout chaud, on regarde, à la clarté des caleils à quatre mèches, les presseurs d’huile moitié nus qui, lestes comme chats, poussent tous à la barre, au commandement du chef:

– Allons, ce coup! Encore un coup! Encore un bon coup! Houp! que tout claque! Là!

Étant, le cousin Tourrette, comme tous les songeurs, tant soit peu fainéant, il avait, toute sa vie, rêvé de trouver une place où il y eût peu de travail.

– Je voudrais, nous disait-il, la place de compteur de mornes, à Marseille par exemple, dans un de ces grands magasins où, lorsqu’on les débarque, un homme, étant assis, peut, en comptant les douzaines, gagner (me suis-je laissé dire) ses douze cents francs par an.

Mon pauvre vieux Major! Il mourut comme tant d’autres, sans avoir vu réaliser sa rêverie sur les mornes.

Je n’oublierai pas non plus, parmi mes collaborateurs, ou, tant vaut dire, mes fauteurs de la poésie de Mireille, le bûcheron Sibouclass="underline" un brave homme de Montfrin, habillé de velours, qui venait tous les ans, à la fin de l’automne, avec sa grande serpe, tailler joliment nos bourrées de saule. Pendant qu’il découpait et appareillait ses rondins, que d’observations justes il me faisait sur le Rhône, sur ses courants, ses tourbillons, sur ses lagunes, sur ses baies, sur ses graviers et sur ses îles, puis sur les animaux qui fréquentent ses digues, les loutres qui gîtent dans les arbres creux, les bièvres qui coupent des troncs comme la cuisse, et sur les pendulines qui, dans les Ségonnaux, suspendent leurs nids aux peupliers blancs, et sur les coupeurs d’osier et les vanniers de Valiabrègue!

Enfin, le voisin Xavier, un paysan herboriste, qui me disait les noms en langue provençale et les vertus des simples et de toutes les herbes de Saint-Jean et de Saint-Roch. Si bien que mon bagage de botanique littéraire, c’est ainsi que je le formai… Heureusement! car m’est avis, sans vouloir les mépriser, que nos professeurs des écoles, tant les hautes que les basses, auraient été, bien sûr, entrepris pour me montrer ce qu’était un chardon ou un laiteron.

Comme une bombe, dans l’entrefaite de ce prodrome de Mireille, éclata la nouvelle du coup d’État du 2 décembre 1851.

Quoique je ne fusse pas de ces fanatiques chez qui la République tient lieu de religion, de justice et de patrie, quoique les Jacobins, par leur intolérance, par leur manie du niveau, par la sécheresse, la brutalité de leur matérialisme, m’eussent découragé et blessé plus d’une fois, le crime d’un gouvernant qui déchirait la loi jurée par lui m’indigna. Il m’indigna, car il fauchait toutes mes illusions sur les fédérations futures dont la République en France pouvait être le couvain.

Quelques-uns des collègues de l’École de Droit allèrent se mettre à la tête des bandes d’insurgés qui se soulevaient dans le Var au nom de la Constitution; mais le grand nombre, en Provence comme ailleurs, les uns par dégoût de la turbulence des partis, les autres éberlués par le reflet du premier Empire, applaudirent, il est vrai, au changement de régime. Qui pouvait deviner que l’Empire nouveau dût s’effondrer dans une effroyable guerre et l’écroulement national?

Pour conclure, je vais citer ce qui me fut dit un jour, après 1870 par Taxile Delord, républicain pourtant et député de Vaucluse, un jour qu’en Avignon, sur la place de l’Horloge, nous nous promenions ensemble:

– La gaffe, disait-il, la plus prodigieuse qui se soit jamais faite dans le parti avancé, fut la Révolution de 1848. Nous avions au gouvernement une belle famille, française, nationale, libérale entre toutes et compromise même avec la Révolution, sous les auspices de laquelle on pouvait obtenir, sans trouble, toutes les libertés que le progrès comporte… Et nous l’avons bannie. Pourquoi? Pour faire place à ce bas empire qui a mis la France en débâcle!

Quoi qu’il en soit, en conséquence, je laissai de côté – et pour toujours – la politique inflammatoire, comme ces embarras qu’on abandonne en route pour marcher plus léger, et à toi, ma Provence, et à toi, poésie, qui ne m’avez jamais donné que pure joie, je me livrai tout entier.

Et voici que, rentré dans la contemplation, un soir, me promenant en quête de mes rimes, car mes vers, tant que j’en ai fait, je les ai trouvés tous par voies et par chemins, je rencontrai un vieux qui gardait les brebis. Il avait nom «le galant jean». Le ciel était étoilé, la chouette miaulait, et le dialogue suivant (que vous avez lu peut-être, traduit par l’ami Daudet) eut lieu dans cette rencontre.

LE BERGER

Vous voilà bien écarté, monsieur Frédéric?

MOI

Je vais prendre un peu l’air, maître Jean.

LE BERGER

Vous allez faire un tour dans les astres?

MOI

Maître Jean, vous l’avez dit. Je suis tellement soûl, désabusé et écœuré des choses de la terre que je voudrais, cette nuit, m’enlever et me perdre dans le royaume des étoiles.

LE BERGER

Tel que vous me voyez, j’y fais, moi, une excursion presque toutes les nuits, et je vous certifie que le voyage est des plus beaux.

MOI

Mais comment faire pour y aller, dans cet abîme de lumière?

LE BERGER

Si vous voulez me suivre, pendant que les brebis mangent, tout doucement, monsieur, je vous y conduirai et vous ferai tout voir.

MOI

Galant Jean, je vous prends au mot.

LE BERGER

Tenez, montons par cette voie qui blanchit du nord au sud: c’est le chemin de Saint Jacques. Il va de France droit sur l’Espagne. Quand l’empereur Charlemagne faisait la guerre aux Sarrasins, le grand saint Jacques de Galice le marqua devant lui pour lui indiquer la route.

MOI

C’est ce que les païens désignaient par Voie Lactée.