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LE BERGER

C’est possible; moi je vous dis ce que j’ai toujours ouï dire… Voyez-vous ce beau chariot, avec ces quatre roues qui éblouissent tout le nord? C’est le Chariot des Âmes. Les trois étoiles qui précèdent sont les trois bêtes de l’attelage; et la toute petite qui va prés de la troisième, nous l’appelons le Charretier.

MOI

C’est ce que dans les livres on nomme la Grande Ourse.

LE BERGER

Comme il vous plaira… Voyez, voyez tout à l’entour les étoiles qui tombent: ce sont de pauvres âmes qui viennent d’entrer au Paradis. Signons-nous, monsieur Frédéric.

MOI

Beaux anges (comme on dit), que Dieu vous accompagne!

LE BERGER

Mais tenez, un bel astre est celui qui resplendit pas loin du Chariot, là-haut: c’est le Bouvier du ciel.

MOI

Que dans l’astronomie on dénomme Arcturus.

LE BERGER

Peu importe. Maintenant regardez là sur le nord, l’étoile qui scintille à peine: c’est l’étoile Marine, autrement dit la Tramontane. Elle est toujours visible et sert de signal aux marins- lesquels se voient perdus, lorsqu’ils perdent la Tramontane.

MOI

L’étoile Polaire, comme on l’appelle aussi, se trouve donc dans la Petite Ourse; et comme la bise vient de là, les marins de Provence, comme ceux d’Italie, disent qu’ils vont à l’Ourse, lorsqu’ils vont contre le vent.

LE BERGER

Tournons la tête, nous verrons clignoter la Poussînière ou le Pouillier, si vous préférez.

MOI

Que les savants nomment Pléiades et les Gascons Charrette des Chiens.

LE BERGER

C’est cela. Un peu plus bas resplendissent les Enseigres, – qui, spécialement, marquent les heures aux bergers. D’aucuns les nomment les Trois Rois, d’autres les Trois Bourdons ou le Râteau ou le Faux Manche.

MOI

Précisément, c’est Orion et la ceinture d’Orion.

LE BERGER

Très bien. Encore plus bas, toujours vers le midi, brille Jean de Milan.

MOI

Sirius, si je ne me trompe.

LE BERGER

Jean de Milan est le flambeau des astres. Jean de Milan, un jour, avec les Enseignes et la Poussinière, avait été, dit-on, convié à une noce. (La noce de la belle Maguelone, dont nous parlerons tantôt.) La Poussinière, matinale, partit, paraît-il, la première et prit le chemin haut. Les Enseignes, trois filles sémillantes, ayant coupé plus bas, finirent par l’atteindre. Jean de Milan, resté endormi, prit, lorsqu’il se leva, le raccourci et, pour les arrêter, leur lança son bâton à la volée… Ce qui fait que le Faux Manche est appelé depuis le Bâton de Jean de Milan.

MOI

Et celle qui, au loin, vient de montrer le nez et qui rase la montagne?

LE BERGER

C’est le Boiteux. Lui aussi était de la noce. Mais comme il boite, pauvre diable, il n’avance que lentement. Il se lève tard du reste et se couche de bonne heure.

MOI

Et celle qui descend, là-bas, sur le ponant, étincelante comme une épousée?

LE BERGER

Eh bien! c’est elle! l’étoile du Berger, 1’Étoile du Matin, qui nous éclaire à l’aube, quand nous lâchons le troupeau, et le soir, quand nous le rentrons: c’est elle, l’étoile reine, la belle étoile, Maguelone, la belle Maguelone, sans cesse poursuivie par Pierre de Provence, avec lequel a lieu, tous les sept ans son mariage.

MOI

La conjonction, je crois, de Vénus et de Jupiter ou de Saturne quelquefois.

LE BERGER

A votre goût… mais tiens, Labrit! Pendant que nous causions, les brebis se sont dispersées, tai! tai! ramène-les! Oh! le mauvais coquin de chien, une vraie rosse… Il faut que j’y aille moi-même. Allons, monsieur Frédéric, vous, prenez garde de ne pas vous égarer!

MOI

Bonsoir! Galant Jean.

Retournons aussi, comme le pâtre, à nos moutons. A partir des Provençales, recueil poétique où avaient collaboré les trouvères vieux et jeunes de cette époque-là, quelques-uns, dont j’étais, engagèrent entre eux une correspondance au sujet de la langue et de nos productions. De ces rapports, de plus en plus ardents, naquit l’idée d’un congrès de poètes provençaux. Et, sur la convocation de Roumanille et de Gaut qui avaient écrit ensemble dans le journal Lou Boui-Abaisse, la réunion eut lien le 29 août 1852, à Arles, dans une salle de l’ancien archevêché, sous la présidence de l’aimable docteur d’Astros, doyen d’âge des trouvères. Ce fut là qu’entre tous nous fîmes connaissance, Aubanel, Aubert, Bourrelly, Cassan, Crousillat, Désanat, Garcin, Gaut, Gelu, Giéra, Mathieu, Roumanille, moi et d’autres. Grâce au bon Carpentrassien, Bonaventure Laurent, nos portraits eurent les honneurs de l’Illustration (18 septembre 1852).

Roumanille, en invitant M. Moquin-Tandon, professeur à la faculté des sciences de Toulouse et spirituel poète en son parler montpelliérain, l’avait chargé d’amener Jasmin à Arles. Mais, quand Moquin-Tandon écrivit à l’auteur de Marthe la folle, savez-vous ce que répondit l’illustre poète gascon: «Puisque vous allez à Arles, dites-leur qu’ils auront beau se réunir quarante et cent, jamais ils ne feront le bruit que j’ai fait tout seul.»

– Voilà Jasmin de pied en cap, me disait Roumanille.

Cette réponse le reproduit beaucoup plus fidèlement que le bronze élevé à Agen, en son honneur. Il était ce que l’on appelle, Jasmin, un fier bougre.

D’ailleurs, le perruquier d’Agen, en dépit de son génie, fut toujours aussi maussade pour ceux qui, comme lui, voulaient chanter dans notre langue. Roumanille, puisque nous y sommes, quelques années auparavant, lui avait envoyé ses Pâquerettes, avec la dédicace de Madeleine, une des poésies les meilleures du recueil. Jasmin ne daigna pas remercier le Provençal. Mais ayant, le Gascon, vers 1848, passé par Avignon, où il donna un concert avec Mlle Roaldès, qui jouait de la harpe, Roumanile, après la séance, vint avec quelques autres saluer le poète qui avait fait couler les larmes en déclamant ses Souvenirs:

– Où vas-tu grand-père?

– Mon fils à l’hôpital… C’est là que meurent les Jasmins.

– Qui êtes-vous donc? fit l’Agenais au poète de Saint-Remy.

– Un de vos admirateurs, Joseph Roumanille.

– Roumanille? Je me souviens de ce nom… Mais je croyais qu’il fût celui d’un auteur mort.

– Monsieur, vous le voyez, répondit l’auteur des Pâquerettes, qui ne laissa jamais personne lui marcher sur le pied, je suis assez jeune encore pour pouvoir, s’il plaît à Dieu, faire un jour votre épitaphe.

Qui fut bien plus gracieux pour la réunion d’Arles, ce fut ce bon Reboul, qui nous écrivit ceci: «Que Dieu bénisse votre table… Que vos luttes soient des fêtes, que les rivaux soient des amis! Celui qui fit les cieux a fait celui de notre pays si grand et si bleu qu’il y a de l’espace pour toutes les étoiles.»

Et cet autre Nîmois, Jules Canonge, qui disait: «Mes amis, si vous aviez un jour à défendre notre cause, n’oubliez pas qu’en Arles se fit votre assemblée première et que vous fûtes étoilés dans la cité noble et fière qui a pour armes et pour devise: l’épée et l’ire du lion.»

Je ne me souviens pas de ce que je dis ou chantai là, mais je sais seulement qu’en voyant le jour renaître, j’étais dans le ravissement; et, Roumanille l’a dit dans son discours de Montmajour, en 1889. Il paraît que, songeur, plongé dans ma pensée, dans mes yeux de jeune homme «resplendissaient déjà les sept rayons de l’Étoile».

Le Congrès d’Arles avait trop bien réussi pour ne pas se renouveler. L’année suivante, 21 août 1853, sous l’impulsion de Gaut, le jovial poète d’Aix, à Aix se tint une assemblée (le Festival des Trouvères) deux fois nombreuse comme l’assemblée d’Arles. C’est là que Brizeux, le grand barde breton, nous adressa le salut et les souhaits où il disait: