Le rameau d’olivier couronnera vos têtes,
Moi je n’ai que la lande en fleurs:
L’un symbole riant de la paix et des fêtes
L’autre symbole des douleurs.
Unissons-les, amis; les fils qui vont nous suivre
De ces fleurs n’ornent plus leurs fronts:
Aucun ne redira le son qui nous enivre,
Quand nous, fidèles, nous mourrons…
Mais peut-elle mourir la brise fraîche et douce?
L’aquilon l’emporte en son vol,
Et puis elle revient légère sur la mousse
Meurt-il le chant du rossignol?
Non, tu ranimeras l’idiome sonore,
Belle Provence, à son déclin;
Sur ma tombe longtemps doit soupirer encore
La voix errante de Merlin.
Outre ceux que j’ai cités comme figurant au Congrès d’Arles, voici les noms nouveaux qui émergèrent au Congrès d’Aix: Léon Alègre, l’abbé Aubert, Autheman, Bellot, Brunet, Chalvet, l’abbé Emery, Laidet, Mathieu Lacroix, l’abbé Lambert, Lejourdan, Peyrottes, Ricard-Bérard, Tavan, Vidal etc., avec trois trouveresses, Mlles Reine Garde, Léonide Constans et Hortense Rolland.
Une séance littéraire, devant tout le beau monde d’Aix, se tint, après midi, dans la grande salle de la mairie, courtoisement ornée des couleurs de Provence et des blasons de toutes les cités provençales. Et sur une bannière en velours cramoisi étaient inscrits les noms des principaux poètes provençaux des derniers siècles. Le maire d’Aix, maire et député, était alors M. Rigaud, le même qui plus tard donna une traduction de Mirèio en vers français.
Après l’ouverture faite par un chœur de chanteurs,
Trouvères de Provence,
Pour nous tous quel beau jour!
Voici la Renaissance
Du parler du Midi,
dont Jean-Baptiste Gaut avait fait les paroles, le président d’Astros discourut gentiment en langue provençale; puis, tour à tour, chacun y alla de son morceau. Roumanille, très applaudi, récita un de ses contes et chanta la Jeune Aveugle; Aubanel dévida sa pièce des Jumeaux, et moi la Fin du Moissonneur. Mais le plus grand succès fut pour la chansonnette du paysan Tavan, les Frisons de Mariette, et pour le maçon Lacroix, qui fit tous frissonner avec sa Pauvre Martine.
Émile Zola, alors écolier au collège d’Aix, assistait à cette séance et, quarante ans après, voici ce qu’il disait dans le discours qu’il prononça à la félibrée de Sceaux (1892):
«J’avais quinze ou seize ans, et je me revois, écolier échappé du collège, assistant à Aix, dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, à une fête poétique un peu semblable à celle que j’ai l’honneur de présider aujourd’hui. Il y avait là Mistral déclamant la Mort du Moissonneur, Roumanille et Aubanel sans doute, d’autres encore, tous ceux qui, quelques années plus tard, allaient être les félibres et qui n’étaient alors que les troubadours.»
Enfin, au banquet du soir, où l’on en dit, conta et chanta de toutes sortes, nous eûmes le plaisir d’élever nos verres à la santé du vieux Bellot, qui s’était, dans Marseille et toute la Provence, fait une renommée, méritée assurément, de poète drolatique, et qui, ébahi de voir ce débordement de sève, nous répondait tristement:
Je ne suis qu’un gâcheur;
J’ai dans ma pauvre vie, noirci bien du papier:
Gaut, Mistral, Crousillat, qui, eux, n’ont pas la flemme,
De notre provençal débrouilleront l’écheveau.
CHAPITRE XII: FONT-SÉGUGNE
Le groupe avignonnais. – La fête de sainte Agathe. – Le père de Roumanille. – Crousiflat de Salon, – Le chanoine Aubanel. – La famille Giéra. – Les amours d’Aubanel et de Zani. – Le banquet de Font-Ségugne. – L’institution du Félibrige. – L’oraison de saint Anselme. – Le premier chant des félibres.
Nous étions, dans la contrée, un groupe de jeunes, étroitement unis, et qui nous accordions on ne peut mieux pour cette œuvre de renaissance provençale. Nous y allions de tout cœur.
Presque tous les dimanches, tantôt dans Avignon, tantôt aux plaines de Maillane ou aux Jardins de Saint-Rémy, tantôt sur les hauteurs de Châteauneuf-de-Gadagne ou de Châteauneuf-du-Pape, nous nous réunissions pour nos parties intimes, régals de jeunesse, banquets de Provence, exquis en poésie bien plus qu’en mets, ivres d’enthousiasme et de ferveur, plus que de vin. C’est là que Roumanille nous chantait ses Noëls, là qu’il nous lisait les Songeuses, toutes fraîches, et la Part du Bon Dieu encore flambant neuve; c’est là que, croyant, mais sans cesse rongeant le frein de ses croyances, Aubanel récitait le Massacre des Innocents; c’était là que Mireille venait, de loin en loin, dévider ses strophes nouvellement surgies.
A Maillane, lors de la Sainte-Agathe, qui est la fête de l’endroit, les «poètes» (comme on nous appelait déjà) arrivaient tous les ans pour y passer trois jours, comme les bohémiens. La vierge Agathe était Sicilienne: on la martyrisa en lui tranchant les seins. On dit même qu’à Arles, dans le trésor de Saint-Trophime, est conservé un plat d’agate qui, selon la tradition, aurait contenu les seins de la jeune bienheureuse. Mais d’où pouvait venir aux Arlésiens et aux Maillanais cette dévotion pour une sainte de Catane? Je me l’expliquerais de la façon suivante:
Un seigneur de Maillane, originaire d’Arles, Guillaume des Porcellets, fut, d’après l’histoire, le seul Français épargné aux Vêpres Siciliennes, en considération de sa droiture et de sa vertu. Ne nous aurait-il pas, lui ou ses descendants, apporté le culte de la vierge catanaise? Toujours est-il qu’en Sicile, sainte Agathe est invoquée contre les feux de l’Etna et à Maillane contre la foudre et l’incendie. Un honneur recherché par nos jeunes Maillanaises, c’est, avant leur mariage, d’être trois ans prieuresses (comme on dirait prêtresses) de l’autel de sainte Agathe, et voici qui est bien joli: la veille de la fête, les couples, la jeunesse, avant d’ouvrir les danses, viennent, avec leurs musiciens, donner une sérénade devant l’église, à sainte Agathe.
Avec les galants du pays, nous venions, nous aussi, derrière les ménétriers, à la clarté des falots errants et au bruit des pétards, serpenteaux et fusées, offrir à la patronne de Maillane nos hommages… Et, à propos de ces saints honorés sur l’autel, dans les villes et les villages, de-ci de-là, au Nord comme au Midi, depuis des siècles et des siècles, je me suis demandé, parfois: Qu’est-ce, à côté de cela, notre gloire mondaine de poètes, d’artistes, de savants, de guerriers, à peine connus de quelques admirateurs? Victor Hugo lui-même n’aura jamais le culte du moindre saint du calendrier, ne serait-ce que saint Gent qui, depuis sept cents ans, voit, toutes les années, des milliers de fidèles venir le supplier dans sa vallée perdue! Et aussi, un jour qu’à sa table (les flatteurs avaient posé cette question:
– Y a-t-il, en ce monde, gloire supérieure à celle du poète?
– Celle du saint, répondit l’auteur des Contemplations.
Lors de la Sainte-Agathe, nous allions donc au bal voir danser l’ami Mathieu avec Gango, Villette et Lali, mes belles cousines. Nous allions, dans le pré du moulin, voir les luttes s’ouvrir, au battement du tambour:
Qui voudra lutter, qu’il se présente…
Qui voudra lutter…
Qu’il vienne au pré!
les luttes d’hommes et d’éphèbes où l’ancien lutteur Jésette, qui était surveillant du jeu, tournait et retournait autour des lutteurs, butés l’un contre l’autre, nus, les jarrets tendus, et d’une voix sévère leur rappelait parfois le précepte: défense de déchirer les chairs…
– O Jésette… vous souvient-il de quand vous fîtes mordre la poussière à Quéquine?
– Et de quand je terrassai Bel-Arbre d’Aramon, nous répondait le vieil athlète, enchanté de redire ses victoires d’antan. On m’appelait, savez-vous comme? Le Petit Maillanais ou, autrement, le Flexible. Nul jamais ne put dire qu’il m’avait renversé et, pourtant, j’eus à lutter avec le fameux Meissonnier, l’hercule avignonnais qui tombait tout le monde; avec Rabasson, avec Creste d’Apt… Mais nous ne pûmes rien nous faire.