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– Mon oncle Matéry, qui était pénitent blanc.

– Ton oncle Matéry? Il a pour cent ans de purgatoire.

– Malédiction! pour cent ans! et qu’avait-il fait?

– Tu te rappelles qu’il portait la croix aux processions. Un jour, des mauvais plaisants se donnèrent le mot, et l’un d’eux se met à dire: «Voyez Matéry qui porte la croix!» Un peu plus loin un autre répète: «Voyez Matéry qui porte la croix!» Un autre finalement lui fait comme ceci: «Voyez, voyez Matéry, qu’est-ce qu’il porte?» Matéry impatienté répliqua, paraît-iclass="underline" «Un viédaze comme toi». Et il eut un coup de sang et mourut sur sa colère.

– Alors, faites-moi voir ma tante Dorothée, qui était tant, tant dévote.

– Fi! elle doit être au diable, je ne la connais pas…

– Que celle-là soit au diable, cela ne m’étonne guère, car pour la dévotion si elle fut outrée, pour la méchanceté c’était une vraie vipère… Figurez-vous que…

– Jarjaye, je n’ai pas loisir; il me faut aller ouvrir à un pauvre balayeur que son âne vient d’envoyer au paradis d’un coup de pied.

– O grand saint Pierre, puisque vous avez tant fait et que la vue ne coûte rien, laissez-moi voir un peu le paradis, qu’on dit si beau!

– Oui, parbleu! tout de suite, vilain huguenot que tu es!

– Allons, saint Pierre, souvenez-vous que par là-bas mon père, qui est pêcheur, porte votre bannière aux processions, et les pieds nus…

– Soit, dit le saint, pour ton père, je te l’accorde; mais vois, canaille, c’est entendu, tu n’y mettras que le bout du nez.

– Ça suffit.

Donc le céleste portier entrebâille sans bruit la porte et dit à Jarjaye: «Tiens, regarde.»

Mais celui-ci, tournant soudainement le dos, entre à reculons dans le paradis.

– Que fais-tu? lui demande saint Pierre.

– La grande clarté m’offusque, répond le Tarasconnais; il me faut entrer par le dos; mais selon votre parole, lorsque ne j’y aurai mis le nez, soyez tranquille, je n’irai pas plus loin «Allons, pensa le bienheureux, j’ai mis le pied dans la musette.» Et le Tarasconnais est dans le paradis.

– Oh! dit-il, comme on est bien! comme c’est beau! quelle musique.

Au bout d’un certain moment, le porte-clefs lui fait:

– Quand tu auras assez bayé, voyons, tu sortiras, parce que je n’ai pas le temps de te donner la réplique…

– Ne vous gênez pas, dit Jarjaye, si vous avez quelque chose à faire, allez à vos occupations… Moi je sortirai quand je sortirai… Je ne suis pas pressé du tout.

– Mais tels ne sont pas nos accords.

– Mon Dieu, saint homme, vous voilà bien ému! Ce serait différent s’il n’y avait point de large; mais, grâce à Dieu, la place ne manque pas.

– Et moi je te prie de sortir, car si le bon Dieu passait…

– Ho! puis, arrangez-vous comme vous voudrez. J’ai toujours ouï dire: qui se trouve bien, qu’il ne bouge. Je suis ici, j’y reste.

Saint Pierre hochait la tête, frappait du pied. Il va trouver Saint Yves.

– Yves, lui fait-il, toi qui es avocat, tu vas me donner un conseil.

– Deux, s’il t’en faut, répond saint Yves.

– Sais-tu que je suis bien campé? Je me trouve dans tel cas, comme ceci, comme cela… Maintenant que dois-je faire?

– Il te faut, lui dit saint Yves, prendre un bon avoué et citer par huissier le dit Jarjaye pardevant Dieu.

Ils cherchent un bon avoué; mais d’avoué en paradis, jamais personne n’en avait vu. Ils demandent un huissier. Encore moins! Saint Pierre ne savait plus de quel bois faire flèche.

Vient à passer saint Luc:

– Pierre, tu es bien sourcilleux! Notre-Seigneur t’aurait-il fait quelque nouvelle semonce?

– Oh! mon cher, ne m’en parle pas! Il m’arrive un embarras, vois-tu, de tous les diables. Un certain nommé Jarjaye est entré par une ruse dans le paradis et je ne sais plus comment le mettre dehors.

– Et d’où est-il, ce Jarjaye?

– De Tarascon.

– Un Tarasconnais? dit saint Luc. Oh! mon Dieu, que tu es bon? Pour le faire sortir, rien, rien de plus facile… Moi, étant, comme tu sais, l’ami des bœufs, le patron des toucheurs, je fréquente la Camargue, Arles, Beaucaire, Nîmes, Tarascon, et je connais ce peuple: je sais où il lui démange et comment il faut le prendre… Tiens, tu vas voir.

A ce moment voletait par là une volée d’anges bouffis.

– Petits! leur fait saint Luc, psitt, psitt!

Les angelots descendent.

– Allez en cachette hors du paradis; et quand vous serez devant la porte, vous passerez en courant et en criant: «Les bœufs, les bœufs!»

Sitôt les angelots sortent du paradis et comme ils sont devant la porte, ils s’élancent en criant: «Les bœufs, les bœufs! Oh tiens! oh tiens! la pique!»

Jarjaye, bon Dieu de Dieu! se retourne ahuri.

– Tron de l’air! quoi! ici on fait courir les bœufs! En avant! s’écrie-t-il.

Et il s’élance vers la porte comme un tourbillon et, pauvre imbécile, sort du paradis.

Saint Pierre vivement pousse la porte et ferme à clef, puis mettant la tête au guichet: -

– Eh bien! Jarjaye, lui dit-il goguenard, comment te trouves-tu à cette heure?

– Oh! n’importe, riposte Jarjaye. Si ç’avait été les bœufs, je ne regretterais pas ma part de paradis.

Cela disant, il plonge, la tête la première, dans l’abîme.

(Almanach provençal de 1864.)

LA GRENOUILLE DE NARBONNE

I

Le camarade Pignolet compagnon menuisier, – surnommé la «Fleur de Grasse», – par une après-midi du mois de juin, revenait tout joyeux de faire son Tour de France. La chaleur était assommante et, sa canne garnie de rubans à la main, avec son affûtage (ciseaux, rabots, maillet), plié derrière le dos dans son tablier de toile, Pignolet gravissait le grand chemin de Grasse, d’où il était parti depuis quelque trois ou quatre ans.

Il venait, selon l’usage des Compagnons du Devoir, de monter à la Sainte-Baume pour voir et saluer le tombeau de maître Jacques, père des Compagnons. Ensuite, après avoir inscrit sur une roche son surnom compagnonique, il était descendu jusqu’à Saint-Maximin, pour prendre ses couleurs chez maître Fabre, le maréchal qui sacre les Enfants du Devoir. Et, fier comme un César, le mouchoir sur la nuque, le chapeau égayé d’un flot de faveurs multicolores et, pendus à ses oreilles, deux petits compas d’argent, il tendait vaillamment la guêtre dans un tourbillon de poussière. Il en était tout blanc.

Quelle chaleur! De temps en temps, il regardait aux figuiers s’il n’y avait pas de figues; mais elles n’étaient pas mûres, et les lézards bayaient dans les herbes havies; et les cigales folles, sur les oliviers poudreux, sur les buissons et les yeuses, au soleil qui dardait, chantaient rageusement.

– Nom de nom, quelle chaleur! disait sans cesse Pignolet.

Ayant, depuis des heures, vidé sa gourde d’eau-de-vie, il pantelait de soif et sa chemise était trempée.

– Mais en avant! disait-il. Bientôt, nous serons à Grasse.

Oh! sacré nom de sort! Quel bonheur, quelle joie d’embrasser père et mère et de boire à la cruche l’eau des fontaines de Grasse, et de conter mon Tour de France, et d’embrasser Mion sur ses joues fraîches, et de nous marier, vienne la Madeleine, et ne plus quitter la maison! En marche, Pignolet! Plus qu’une petite traite!

Enfin, le voilà au portail de Grasse et, dans quatre enjambées, à l’atelier de son père.

II

– Mon gars, ô mon beau gars, cria le vieux Pignol en quittant son établi, sois le bien arrivé! Marguerite, le petit!

Cours, va tirer du vin; mets la poêle, la nappe… Oh! la bénédiction! Comment te portes-tu?