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– Pas trop mal, grâce à Dieu! Et vous autres, par ici, père, êtes-vous tous gaillards?

– Eh! comme de pauvres vieux… Mais s’est-il donc fait grand!

Et tout le monde l’embrasse, père, mère, voisins, et les amis, et les fillettes. On lui décharge son paquet, et les enfants manient les beaux rubans de son chapeau et de sa longue canne. La vieille Marguerite, les yeux larmoyants, allume vivement le feu avec une poignée de copeaux; et, pendant qu’elle enfarine quelques morceaux de merluche pour régaler le garçon, maître Pignol, le père, s’assied à table avec Pignolet, et de trinquer: «A la santé!» Et l’on commence à mouiller l’anche.

– Par exemple, faisait le vieux maître Pignol en frappant avec son verre, toi, dans moins de quatre ans, tu as achevé ton Tour de France et te voilà déjà, à ce que tu m’assures, passé et reçu Compagnon du Devoir! Comme tout change, cependant! De mon temps, il fallait sept ans, oui, sept belles années, pour gagner les couleurs… Il est vrai, mon enfant, que là, dans la boutique, je t’avais assez dégauchi et que, pour un apprenti, tu ne poussais pas déjà, tu ne poussais pas trop mal le rabot et la varlope… Mais, enfin, l’essentiel est que tu saches ton métier et que, je le crois du moins, tu aies vu et appris tout ce que doit connaître un luron qui est fils de maître.

– Oh! père! pour cela, répondit le jeune homme, voyez, sans me vanter, je ne crois pas que personne, dans la menuiserie, me passe la plume par le bec.

– Eh bien! dit le vieux, voyons, raconte-moi un peu, tandis que la morue chante et cuit dans la poêle, ce que tu remarquas de beau, tout en courant le pays.

III

– D’abord, père, vous savez qu’en partant d’ici, de Grasse, je filai sur Toulon, où j’entrai à l’arsenal. Pas besoin de relever tout ce qui est là-dedans: vous l’avez vu comme moi.

– Passe, oui, c’est connu.

– En partant de Toulon, j’allai m’embaucher à Marseille, fort belle et grande ville, avantageuse pour l’ouvrier, où les coteries ou camarades me firent observer, père, un cheval marin qui sert d’enseigne à une auberge.

– C’est bien.

– De là, ma foi, je remontai sur Aix, où j’admirai les sculptures du portail de Saint-Sauveur.

– Nous avons vu tout cela.

– Puis, de là, nous gagnâmes Arles, et nous vîmes la voûte de la commune d’Arles.

– Si bien appareillée qu’on ne peut pas comprendre comment ça tient en l’air.

– D’Arles, père, nous tirâmes sur le bourg de Saint-Gille, et là, nous vîmes la fameuse Vis…

– Oui, oui, une merveille pour le trait et pour la taille.

Ce qui fait voir, mon fils, qu’autrefois, tout de même, aussi bien qu’aujourd’hui, il y eut de bons ouvriers.

– Puis, nous nous dirigeâmes de Saint-Gille à Montpellier, et là, on nous montra la célèbre Coquille…

– Oui, qui est dans le Vignoble, et que le livre appelle la «trompe de Montpellier».

– C’est cela… Et, après, nous marchâmes sur Narbonne.

– C’est là que je t’attendais.

– Quoi donc, père? A Narbonne, j’ai vu les Trois-Nourrices, et puis l’archevêché, ainsi que les boiseries de l’église Saint-Paul.

– Et puis?

– Mon père, la chanson n’en dit pas davantage: «Carcassonne et Narbonne – sont deux villes fort bonnes – pour aller à Béziers; – Pézénas est gentille, – mais les plus jolies filles – n’en sont à Montpellier.»

– Alors, bousilleur, tu n’as pas vu la Grenouille?

– Mais quelle grenouille?

– La Grenouille qui est au fond du bénitier de l’église Saint-Paul. Ah! je ne m’étonne plus que tu aies sitôt fait, bambin, ton Tour de France! La Grenouille de Narbonne! le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, que l’on vient voir de tous les diables. Et ce saute-ruisseau! criait le vieux Pignol en s’animant de plus en plus, ce méchant gâte-bois qui se donne pour compagnon n’a pas vu seulement la Grenouille de Narbonne! Oh! mais, qu’un fils de maître ait fait baisser la tête, dans la maison, à son père, mignon, ça ne sera pas dit! Mange, bois, va dormir, et, dès demain matin, si tu veux qu’on soit coterie, tu regagneras Narbonne pour voir la Grenouille.

IV

Le pauvre Pignolet, qui savait que son père ne démordait pas aisément et qu’il ne plaisantait pas, mangea, but, alla au lit, et le lendemain, à l’aube, sans répliquer davantage, après avoir muni de vivres son bissac, il repartit pour Narbonne.

Avec ses pieds meurtris et enflés par la marche, avec la chaleur, la soif, par voies et par chemins, va donc mon Pignolet!

Aussitôt arrivé, au bout de sept ou huit jours, dans la ville de Narbonne, – d’où selon le proverbe, «ne vient ni bon vent ni bonne personne», – Pignolet qui, cette fois, ne chantait pas, je vous l’assure, sans prendre le temps même de manger un morceau ou boire un coup au cabaret, s’achemine de suite vers l’église Saint-Paul et, droit au bénitier, s’en vient voir la Grenouille.

Dans la vasque de marbre, en effet, sous l’eau claire, une grenouille rayée de roux, tellement bien sculptée qu’on l’aurait dite vivante, regardait accroupie, avec ses deux yeux d’or et son museau narquois, le pauvre Pignolet, venu de Grasse pour la voir.

– Ah! petite vilaine, s’écria tout à coup, farouche, le menuisier. Ah! c’est toi qui m’as fait faire, par ce soleil ardent, deux cents lieues de chemin! Va, tu te souviendras de Pignolet de Grasse!

Et voilà le sacripant qui, de son baluchon, tire son maillet, son ciseau, et pan! d’un coup, à la grenouille il fait sauter une patte. On dit que l’eau bénite, comme teinte de sang, devînt rouge soudain, et la vasque du bénitier, depuis lors, est restée rougeâtre.

(Almanach Provençal de 1890.)

LA MONTELAISE

I

Une fois, à Monteux, qui est l’endroit du grand saint Gent et de Nicolas Saboly, il y avait une fillette blonde comme l’or. On lui disait Rose. C’était la fille d’un cafetier. Et, comme elle était sage et qu’elle chantait comme un ange, le curé de Monteux l’avait mise à la tête des choristes de son église.

Voici que, pour la Saint-Gent, fête patronale de Monteux, le père de Rose avait loué un chanteur.

Le chanteur, qui était jeune, tomba amoureux de la blondine; la blondine, ma foi, devint amoureuse aussi. Puis, un beau jour, les deux enfants, sans tant aller chercher, se marièrent; la petite Rose fut Mme Bordas.

Adieu, Monteux! Ils partirent ensemble. Ah! que c’était charmant, libres comme l’air et jeunes comme l’eau, de n’avoir aucun souci, que de vivre en plein amour et chanter pour gagner sa vie!

La belle première fête où Rose chanta, ce fut pour sainte Agathe, la vote des Maillanais.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

C’était au café de la Place (aujourd’hui Café du Soleil): la salle était pleine comme un œuf. Rose, pas plus effrayée qu’un passereau de saule, était droite, là-bas au fond, sur une estrade, avec ses cheveux blondins, avec ses jolis bras nus, et son mari à ses pieds l’accompagnant sur la guitare.

Il y avait une fumée! C’était rempli de paysans, de Graveson, de Saint-Remy, d’Eyrague et de Maillane. Mais on n’entendait pas une mauvaise parole. Ils ne faisaient que dire:

– Comme elle est jolie! le galant biais! Elle chante comme un orgue, et elle n’est pas de loin, elle n’est que de Monteux!

Il est vrai que Rose ne chantait que de belles chansons. Elle parlait de patrie, de drapeau, de bataille, de liberté, de gloire, et cela avec une passion, une flamme, un tron de l’air, qui faisaient tressaillir toutes ces poitrines d’hommes. Puis, quand elle avait fini, elle criait:

– Vive saint Gent!

Des applaudissements à démolir la salle. La petite descendait, faisait, toute joyeuse, la quête autour des tables; les pièces de deux sous pleuvaient dans la sébile et, riante et contente comme si elle avait cent mille francs, elle versait l’argent dans la guitare de son homme, en lui disant: