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Ce propos se rapporte à l’usage que voici:

Les reliques vénérées de Marie Jacobé, de Marie Salomé, et de Sara leur servante sont renfermées, sous la voûte du chœur et de l’abside, dans une chapelle haute, d’où, par un orifice qui donne dans l’église, la veille de la fête et au moyen d’un câble, on les descend lentement sur la foule enthousiaste.

Dès qu’on eut dételé, au milieu des dunes couvertes d’arroches et de tamaris, qui entourent le bourg, nous courûmes à l’église.

«Éclaire-les, ces Saintes chéries!» criaient des Montpelliéraines qui vendaient, devant la porte, des cierges, des bougies, des images et des médailles.

L’église était bondée de gens du Languedoc, de femmes du pays d’Arles, d’infirmes, de bohémiennes, tous les uns sur les autres. Ce sont d’ailleurs les bohémiens qui font brûler les plus gros cierges, mais exclusivement à l’autel de Sara, qui, d’après leur croyance, était de leur nation. C’est même aux Saintes-Maries que ces nomades tiennent leurs assemblées annuelles, y faisant de loin en loin l’élection de leur reine.

Pour entrer ce fut difficile. Des commères de Nîmes embéguinées de noir, qui traînaient avec elles leurs coussins (le coutil pour coucher dans l’église, se disputaient les chaises:

«Je l’avais avant vous! – Moi je l’avais louée!» Un prêtre faisait baiser de bouche en bouche le Saint Bras; aux malades on donnait des verres d’eau saumâtre, de l’eau du puits des Saintes qui est au milieu de la nef et qui, à ce qu’on dit, ce jour-là devient douce. Certains, pour s’en servir en guise de remède, raclaient avec leurs ongles la poussière d’un marbre antique, sculpture encastrée dans le mur, qui fut «l’oreiller des Saintes». Une odeur, une touffeur de cierges brûlants, d’encens, d’échauffé, de faguenas, vous suffoquait. Et chaque groupe, à pleine voix et pêle-mêle, y chantait son cantique.

Mais en l’air, quand apparurent les deux châsses en forme d’arches, aïe! quels cris «Grandes Saintes Maries!» Et à mesure que la corde se déroulait dans l’espace, les cris aigus, les spasmes s’exaspéraient de plus belle. Les fronts, les bras levés, la foule pantelante attendait un miracle… Oh! du fond de l’église, soudain s’est élancée, comme si elle avait des ailes, une superbe jeune fille, blonde, déchevelée; et frôlant de ses pieds les têtes de la foule, elle vole, comme un spectre, au travers de la nef, vers les châsses flottantes et crie: «O Grandes Saintes! Rendez-moi, par pitié, l’amour de mon cadet!»

Tous se levèrent.»C’est Alarde «criaient les Beaucairois.»C’est sainte Madeleine qui vient visiter ses sœurs!» disaient d’autres effarés… Et en somme nous pleurions tous.

Pour finir, le lendemain, il y eut la procession sur le sable de la plage, au mugissement, au souffle des ondes blanchissantes qui s’y éclaboussaient. Au loin, sur la haute mer louvoyaient deux ou trois navires qui avaient l’air en panne et les gens se montraient une traînée resplendissante que le remous des vagues prolongeait sur la mer: «C’est ce chemin, disait-on, que les Saintes Maries, dans leur nacelle, tinrent pour aborder en Provence après la mort de Notre-Seigneur». Sur le rivage vaste, au milieu de ces visions qu’illuminait un soleil clair, il nous semblait vraiment que nous étions en paradis.

Alarde, la belle fille, un peu pâlie depuis la veille, portait sur les épaules, avec d’autres Beaucairoises, la «Nacelle des Saintes» et tous disaient: «Hélas! c’est une pauvre folle que son cadet a délaissée.»

Mais comme nous voulions aller voir Aigues-Mortes et qu’était de partance un omnibus qui y passait, aussitôt que les Saintes eurent (vers les quatre heures) remonté dans leur chapelle, nous nous embarquâmes de suite avec un troupeau de commères de Montpellier ou de Lunel, revendeuses et tripières à coiffes bouillonnées, qui, dès qu’ou fut en route, se mirent à chanter derechef à plein gosier:

Courons aux Saintes Maries

Pour leur donner notre foi;

Que nos cœurs se multiplient

Pour Jésus et pour sa croix!

et cet autre cantique si répété pendant la fête:

Désarmez le Christ, désarmez le Christ

Par vos prières

Désarmez le Christ, désarmez le Christ

Et soyez au ciel nos bonnes mères!

– C’est pourtant dame Roque, rien qu’elle et son mari, qui le firent, ce joli chant, disait une poissarde en achevant ses victuailles, et toute cette nuit on ne chante plus que ça.

Les femmes de Provence ne savaient rien chanter que les anciens cantiques de leur Ame dévote (1):

J’ai vu sous de sombres voiles

Onze étoiles,

La lune avec le soleil.

(1) Titre d’un recueil de cantiques fort populaires autrefois, œuvre d’un prêtre de Provence.

– Ah! combien sont plus beaux nos chants de Montpellier!

– Et les langues d’aller. Nous passâmes sur un banc le petit Rhône, à Sylve-Réal. Il y avait là un fort, un joli petit fort, doré par le soleil et bâti par Vauban, que le Génie très sottement a fait détruire depuis lors.

Nous traversâmes le désert et la pinède du Sauvage, et sur le soir enfin, du milieu des marais, nous vîmes émerger, noirs et farouches dans la pourpre du couchant, les gigantesques tours, les créneaux, les remparts de la ville d’Aigues-Mortes.

– N’importe! fit alors une des bonnes femmes, si, pendant le voyage de l’omnibus aux Saintes il y avait à Montpellier plus d’enterrements qu’il ne faut, les croque-morts, peut-être, seraient embarrassés.

– Eh bien! on porterait à bras.

– Oh! je crois qu’ils en ont deux, de voitures pour les morts…

A ces mots, nous apercevant que l’horrible guimbarde, aïe! était peinte en noir:

– Mais par hasard, demandâmes-nous, cet omnibus serait…

– Le carrosse, messieurs, des pompes funèbres de Montpellier.

– Sacré coquin de sort!

Affolés, d’un coup de pied nous ouvrîmes la portière, nous sautâmes sur la route, nous payâmes le conducteur et, ayant secoué nos hardes au grand air, à pied et à notre aise nous gagnâmes Aigues-Mortes.

Une vraie ville forte de Syrie ou d’Égypte, cette silencieuse cité des Ventres-Bleus (comme les gens d’Aigues-Mortes sont dénommés quelquefois, par allusion aux fièvres endémiques du pays), avec son quadrilatère de remparts formidables calcinés au soleil, qu’on dirait de tantôt abandonné par saint Louis, avec sa tour de Constance, où, sous Louis XIV, après les dragonnades, furent emprisonnées quarante protestantes qui y restèrent oubliées dans une horrible détention, jusqu’à la fin du règne, durant peut-être quarante ans.

Un jour, longtemps après, avec deux belles dames du monde protestant de Nîmes, nous retournions visiter la grosse tour d’Aigues-Mortes, et en lisant les noms des malheureuses prisonnières, gravés par elles-mêmes dans les pierres du donjon: «Poète, nous dirent-elles, suffocantes d’émotion, ne vous étonnez pas de nous voir pleurer ainsi: pour nous autres huguenotes, ces pauvres femmes, martyres de leur foi, sont nos Saintes Maries!»

CHAPITRE XV: JEAN ROUSSIÈRE

L’adroit laboureur. – Le char de verdure. – La légende de saint Éloi – L’air de Magali. – La mort de mon père. – Les funérailles, – Le deuil. – Le partage.

– Bonjour, monsieur Frédéric.

– Ha! bonjour.

– Que m’a-t-on dit? que vous avez besoin d’un homme à gages!

– Oui… D’où es-tu?

– De Villeneuve, le pays des «lézards», près d’Avignon.

– Et que sais-tu faire?

– Un peu tout. J’ai été valet aux moulins à huile, muletier, carrier, garçon de labour, meunier, tondeur, faucheur lorsqu’il le faut, lutteur à l’occasion, émondeur de peupliers, un métier élevé! et même cureur de puits, qui est le plus bas de tous.

– Et l’on t’appelle?

– Jean Roussière, et Rousseyron (et Seyron pour abréger).

– Combien veux-tu gagner? C’est pour mener les bêtes.