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«Ce qui attire le Fantastique dans les étables, c’est, dit-on, les grelots; le bruit des grelots le fait rire, rire, tel qu’un enfant d’un an, lorsqu’on agite le hochet. Mais il n’est pas méchant, il s’en faut de beaucoup; il est capricieux et se plaît à faire des niches. S’il est de bonne humeur, il vous étrillera vos bêtes, il leur tresse la crinière, il leur met de la paille blanche, il nettoie leur mangeoire… il est même à remarquer que, là où est le Fantastique, il y a toujours une bête mieux portante que les autres, parce que le farfadet l’a prise en grâce par caprice, et alors, dans la nuit, il va et vient dans la crèche et lui soutire le foin des autres.

«Mais, par mégarde et par hasard, si, dans votre écurie, vous dérangez quelque chose contre sa volonté, aïe, aïe, aïe! la nuit suivante, il fait un sabbat de malédiction. Il embrouille la queue des bêtes, il leur entortille les pieds dans leurs chevêtres et licous; il renverse, patatras! l’étagère des colliers; il remue, dans la cuisine, la poêle et la crémaillère; enfin, il tarabuste de toutes les manières… Tellement qu’une fois, mon père, ennuyé de tout ce vacarme, dit:

«- Il faut en finir!

«Il prend, à cette fin, un picotin de vesces, monte au fenil, éparpille la menue graine dans le foin et dans la paille et crie au Fantastique:

«- Fantastique, mon ami! tu me trieras, une par une, ces graines de pois gris.

«Or, l’Esprit Fantastique, qui se complaît aux minuties et qui aime que tout soit bien rangé en ordre, se mit, à ce qu’il paraît, à trier les pois gris; et de vétiller, Dieu sait! car nous trouvâmes de petits tas un peu partout, dans le grenier… Mais (mon père le savait) ce travail méticuleux à la fin l’ennuya, et il détala du fenil, et jamais nous ne le revîmes.

«Si! car, pour achever, moi, je le vis encore une fois. Imagine-toi qu’un jour (je pouvais avoir onze ans), je revenais du catéchisme. Passant près d’un peuplier, j’entendis rire à la cime de l’arbre: je lève la tête, je regarde, et tout en haut du peuplier, j’aperçois l’Esprit Fantastique qui, en riant dans le feuillage, me faisait signe de grimper… Ah! je te demande un peu! Pas pour un cent d’oignons je n’y aurais grimpé; je déguerpis comme une folle et depuis, ç’a été fini.

«C’est égal, je t’assure que quand venait la nuit et qu’autour de la lampe on racontait de ces choses, nous ne risquions pas de sortir! Oh! pauvres petites, quelle frayeur! Puis, pourtant, nous devînmes grandes; arriva, comme on sait, le temps des amoureux; et alors, à la veillée, les garçons nous criaient:

«- Allons, venez, les filles! Nous ferons, à la lune, un tour de farandole.

«- Pas si sottes! répondions-nous. Si nous allions rencontrer l’Esprit Fantastique ou la Poule Blanche…

«- Ho! nigaudes, nous disaient-ils, vous ne voyez donc pas que ce sont là des contes de mère-grand l’aveugle! N’ayez pas peur, venez, nous vous tiendrons compagnie.

«Et c’est ainsi que nous sortîmes et, peu à peu, ma foi, en causant avec les gars, – les garçons de cet âge, tu sais, n’ont pas de bon sens, ils ne disent que des bêtises et vous font rire par foroe, – peu à peu, peu à peu, nous n’eûmes plus de peur… Et depuis lors, te dis-je, je n’ai plus ouï parler de ces hantises de nuit.

«Depuis lors, il est vrai, nous avons eu assez d’ouvrage pour nous ôter l’ennui. Telle que tu me vois, j’ai eu, moi, onze enfants, que j’ai tous menés à bien, et, sans compter les miens, j’en ai nourri quatorze!

«Ah! va, quand on n’est pas riche et qu’on a tant de marmaille, qu’il faut emmailloter, bercer, allaiter, ébrener, c’est un joli son de musette!»

– Allons, tante Renaude, le bon Dieu vous maintienne.

– Oh! à présent, nous sommes mûrs; il viendra nous cueillir quand il voudra.

Et, avec son mouchoir, la vieille se chassa les mouches; et, abaissant la tête, elle se reblottit tranquille pour boire son soleil.

CHAPITRE IV: L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE

Vagabondage par les champs. – Les bestioles du bon Dieu. – La vieille de Papeligosse. – Les bohémiens. – Le tonneau du loup: rêve.

Vers les huit ans, et pas plus tôt, – avec mon sachet bleu pour y porter mon livre, mon cahier et mon goûter, – on m’envoya à l’éco1e…, pas plus tôt, Dieu merci! Car, en ce qui a trait à mon développement intime et naturel, à l’éducation et trempe de ma jeune âme de poète, j’en ai plus appris, bien sûr, dans les sauts et gambades de mon enfance populaire que dans le rabâchage de tous les rudiments.

De notre temps, le rêve de tous les polissons qui allions à l’école était de faire un plantié. Celui qui en avait fait un était regardé par les autres comme un lascar, comme un loustic, comme un luron fieffé!

Un plantié désigne, en Provence, l’escapade que fait l’enfant loin de la maison paternelle, sans avertir ses parents et sans savoir où il va. Les petits Provençaux font cette école buissonnière lorsque, après quelque faute, quelque grave méfait, quelque désobéissance, ils redoutent, pour leur rentrée au logis, quelque bonne rossée.

Donc, sitôt pressentir ce qui leur pend à l’oreille, mes péteux plantent là l’école et père et mère; advienne que pourra, ils partent à l’aventure et vive la liberté!

C’est chose délicieuse, incomparable, à cet âge, de se sentir maître absolu, la bride sur le cou, d’aller partout où l’on veut et en avant dans les garrigues! et en avant aux marécages et en avant par la montagne!

Seulement, puis vient la faim. Si c’est un plantié d’été, encore c’est pain bénit. Il y a les carrés de fèves, les jardins avec leurs pommes, leurs poires et leurs pêches, les arbres de cerises, qui vous prennent par l’œil, les figuiers qui vous offrent leurs figues bien mûries, et les melons ventrus qui vous crient: «Mangez-moi» Et puis, les belles vignes, les ceps aux grappes d’or, ha! il me semble les voir!

Mais si c’est un plantié d’hiver, il faut alors s’industrier… Parbleu, il est de petits drôles qui, passant par les fermes où ils ne sont pas connus, demandent l’hospitalité. Puis, s’ils peuvent, les fripons volent les œufs aux poulaillers et même les nichets, qu’ils boivent tout crus, avale!

Mais les plus fiers et les hautains, ceux qui ont délaissé l’école et la famille, non tant par cagnardise que par soif d’indépendance ou pour quelque injustice qui les a blessés au cœur, ceux-là fuient l’homme et son habitation. Ils passent le jour, couchés dans les blés, dans les fossés, dans les champs de mil, sous les ponts ou dans les huttes. Ils passent la nuit aux meules de paille ou bien dans les tas de foin. Vienne faim, ils mangent des mûres (celles des haies, celles des chaumes), des prunelles, des amandes qu’on oublia sur l’arbre ou des grappillons de lambruche. Ils mangent le fruit de l’orme (qu’ils appellent du pain blanc), des oignons remontés, des poires d’étranguillon, des faînes, et, s’il le faut, des glands. Tout le jour n’est qu’un jeu, tous les sauts sont des cabrioles… Qu’est-il besoin de camarades? Toutes les bêtes et bestioles là vous tiennent compagnie; vous comprenez ce qu’elles font, ce qu’elles disent, ce qu’elles pensent, et il semble qu’elles comprennent tout ce que vous leur dites.

Prenez-vous une cigale? Vous regardez ses petits miroirs, vous la froissez dans la main pour la faire chanter, et puis vous la lâchez avec une paille dans l’anus.

Ou, couchés le long d’un talus, voilà une bête-à-Dieu qui vous grimpe sur le doigt? Vous lui chantez aussitôt:

Coccinelle, vole!

Va-t’en à l’école.

Prends donc tes matines,

Va à la doctrine…

Et la bête-à-Dieu déployant ses ailes, vous dit en s’envolant: