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Au lieu de me perdre en explications je la pousse dans un taxi.

— On va chez toi ? je demande…

— Si tu veux…

Je jette son adresse au moujik et me renverse contre la banquette. À travers le voile noir j’aperçois son nez mignon, rougi par le chagrin… Ses beaux yeux verts ont un reflet doux, ses seins sont perceptibles même sous la veste ample du tailleur noir. Moi je suis comme le gars dans la chanson de Piaf : j’aime les filles en tailleur. J’y trouve mon compte ; chacun son vice, non ?

— Comment vous êtes-vous sorti de cette terrible aventure ? demande Sofia.

— Par la porte, dis-je en souriant.

CHAPITRE XIII

Me voici une nouvelle fois dans l’appartement romantique de Sofia.

Ne croyez surtout pas que je sois venu ici pour la bagatelle. Le fignedé, j’aime ça, et même plus que les tartes à la framboise, mais le boulot passe avant…

Elle soulève son crêpe après avoir repoussé la lourde et me considère avec attention. Ses yeux clairs sont graves et tristes.

— Tu es vraiment imprudent, soupire-t-elle. C’est pour me revoir que tu prends de si gros risques ?

— Pour quoi veux-tu que ce soit ? fais-je avec un rien d’ennui car je n’aime pas abuser de la confiance d’une gentille petite poulette.

— Merci… Mais ça n’est pas prudent.

Elle murmure :

— Tout ça est affreux, Bernard, que s’est-il passé ?

Je hausse les épaules :

— Que veux-tu que je te dise, Sofia : le coup fourré, quoi. On avait un turbin, Paul et moi…

Je prends mon air le plus détaché.

— Tu sais lequel ? je demande.

J’attends, mine de rien…

Mais elle secoue négativement la tête.

— Non. Tu sais, le tonton me mettait pas au courant de ses affaires…

Son ignorance ne fait pas mon lot. Je hausse les épaules.

— On devait s’assurer d’un gars. La routière nous a filé le train. Y a eu de la casse. On est parvenu à se faire la paire mais le lendemain au réveil on était fait marrons par une escouade de matuches… Ils avaient de la mitraillette et tout ce qu’il faut pour le pique-nique champêtre… Ce pauvre Paul et Pantaroli ont été lessivés…

— Et toi ? demande-t-elle. Comment t’en es-tu sorti ?

— Un coup de vase terrible ! Je me suis caché dans un tonneau vide à la cave ! Ces c… — là devaient être miros, ils m’ont pas vu… vu…

Elle se jette sur moi.

— Mon chéri ! Mon chéri… Je suis heureuse que tu t’en sois sorti…

Je vous le dis, les gars, je suis pas venu laga pour me faire reluire, mais je suis pas en bois, ni même en carton-pâte.

Je cramponne Sofia par les meules et je la juche sur la table. Ses bras s’ouvrent comme les portes d’un cinéma à vingt heures trente. Elle a des bas fumés qui m’ensorcellent. Je les caresse voluptueusement jusqu’à leur limite. Le contact de la soie arachnéenne, comme disent les journalistes qui veulent impressionner le public, puis celui si doux, si velouté de sa peau, me produisent l’effet d’une décharge électrique, kif-kif si je faisais sit down sur la cadière de Sing-Sing.

Son deuil s’arrête aux jarretelles noires ; sa culotte est d’une blancheur cerfeuil ! Cet éclat blanc du sous-vêtement dans ce noir m’arrache les mirettes… Je la renverse sur la table, entre un cendrier vide et le dernier numéro de Marie-Claire.

Sur la couvrante de la revue, il y a la photo d’un bath mannequin qui me sourit d’un air complice… M’est avis qu’il aimerait lâcher la pose, le petit mannequin, pour venir remplacer Sofia… au pied levé ! Mais Sofia ne lui laisserait pas sa gâche ! Pour le quart d’heure, elle oublie la mort de son brave oncle et les voiles noirs qui la recouvrent.

Couchée dans ses crêpes, la jupe de son tailleur roulée jusqu’aux hanches, les jarretelles tendues, les jambes pendantes au bord de la table, elle me chante une chansonnette, et Dieu sait qu’elle n’est pas empêchée des bronches et qu’elle n’a pas les cordes vocales détendues… Sa gueulante me fouette comme un martinet. Ah ! les gars, je vous le dis, si le Vieux me voyait en ce moment, il s’achèterait une boîte d’aquarelles pour se dessiner un paysage alpestre sur le crâne. Penser que le ministre de l’Intérieur attend en tournant en rond dans son burlingue que je mette la paluche sur les dirigeants du gang de kidnappeurs ou bien que le gouvernement soit renversé pour passer la mouscaille à un autre, et moi, le sous-fifre sur qui l’on compte, être dévotement en train de prendre du bon temps au lieu de boulonner, non, je vous jure, y a de quoi se la faire sectionner et se l’envoyer recommandée au palais des Arts ménagers !

Quand j’ai bien pris mon fade je laisse ce beau morceau de gonzesse sur la table et je fais ce que font la plupart des hommes en pareil cas : j’allume une cigarette… Ces bouffées-là valent de l’or !

La môme Sofia n’est pas encore revenue de son voyage. Elle n’a même pas la force de remuer.

Comme j’aime pas les expositions de ce genre je vais l’aider à se relever.

— Allons, viens ! je murmure, ça n’est pas panoramique.

Elle se dresse et fait quelques pas en chancelant. Elle ôte son coquin petit galure alourdi par le voile noir et sa belle chevelure rousse ruisselle sur ses épaules. Je l’attrape par les crins et je lui fignole le patin de la reconnaissance.

— C’était bon, dit-elle, ce que tu sais bien y faire.

Le compliment me va droit au cœur. Je lui ferai porter une appréciation sur ma carte de travail un de ces jours. Je suis sûr qu’elle me délivrera tous les certificats que je voudrai !

Tandis qu’elle remet un peu d’ordre dans sa toilette je la regarde pensivement. Ce petit coup de zizi-panpan est parfait, mais il faut que je songe au turf… Ma conscience se met à me travailler le cuir.

— Pauvre Paul, dis-je, nos relations ont été de courte durée mais j’ai eu le temps de l’apprécier…

J’ajoute :

— Tu n’avais que lui comme parent ?

— Oui, dit-elle…

— Alors t’es son héritière ?…

Elle hausse les épaules.

— Oh ! y a que les épiciers qui héritent, Bernard, nous…

Je poursuis mon petit numéro avec tant d’innocence que je suis sur le point d’y croire moi aussi.

— Tu débloques, fillette. Paul a été tué en travaillant pour des mecs qui savaient à quoi il s’exposait. Il ne marnait pas pour son compte… Ces mecs sont des grossiums, j’en ai vu un dans une Mercury longue comme le pont de l’Alma… Ils te doivent un dédommagement.

Ce qu’il y a de chouette, dans un sens (qui n’est pas celui de la longueur) avec les nanas, c’est qu’elles sont toutes sensibles au côté fric de la vie. Le blé est un miroir aux alouettes plus efficace que le troulala ! Aucune n’y résiste, aucune !

La plus désintéressée se laisse tenter. Tenez, j’en ai connu une, une fille charmante dont je vous dirai pas le blaze, qui voulait même pas que je lui offre un Vittel menthe… au début ! Un mois après elle me faisait les fouilles pendant que je ronflais ! Pour vous dire…

Mettez un Luis Mariano de sexe masculin d’un côté et un billet de dix sacs d’un autre et vous verrez où les porteront leurs pas. Que voulez-vous, y a rien à faire, rien à dire… Elles sont comme ça !

Sofia qui, une seconde avant que je lui parle, était en plein délire amoureux a maintenant une sorte de petite lueur curieuse dans le regard.

— Qu’est-ce que tu racontes ? fait-elle, indécise. Tu te moques de moi ?

Je prends un air douloureusement choqué.

— Crois-tu que le moment soit bien choisi pour plaisanter, petite ?