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Pour un vase c’est un vase… Et qui pourrait contenir toute la flore d’un jardin botanique. Y a des moments où je me demande si le Bon Dieu n’a pas attaché à ma personne toute une escouade d’anges gardiens en renfort…

Par contre, celui de Mémé a dû aller donner un récital de harpe à Pleyel car le pauvre gnard est arrangé de première…

Pour une poitrine farcie c’est une poitrine farcie… On le filerait à la baille il coulerait à pic ! La table est pleine de sang. Y en a partout, il m’en est giclé à la frimousse ; c’est une vraie calamité… J’ai l’air du grand chef indien Œil-de-Vraicon, peint en guerre… Mais c’est pas le sentier de la vertu que j’emprunte.

Le rififi est à son comble… Toutes les gagneuses, tous les messieurs qui tortoraient dans l’établissement se sont pris par la main pour s’emmener au bois voir si les lauriers ont repoussé et s’ils peuvent se planquer derrière !

Les perdreaux s’amènent… Ça gueule, ça cavale, ça siffle, ça se barre sans payer, ça se gourre de pardingue au portemanteau… Une corrida extraordinaire… Les garçons se sont enfermés dans le Frigidaire ; la caissière s’est pris un nichon dans le tiroir de son enregistreuse ; le chef cuisinier s’est renversé sa bassine à friture sur les valseuses et se met à appeler sa mère… Le patron dit que l’assurance ne marchera pas pour sa vitrine… Les perdreaux me demandent mes fafs… On examine Mémé lequel est tellement mort qu’on ne peut plus imaginer qu’il a été vivant…

Moi je file aux gogues pour remettre de l’ordre dans ma toilette.

Les toilettes jouxtent le laboratoire de la pâtisserie car la boîte fait boulangerie-pâtisserie-bar-restaurant… Là il y a un vieil ouvrier qui pétrit de la pâte avec conviction. À cause du chahut que fait son pétrin électrique, il n’a rien entendu… Il me sourit gentiment.

— Belle soirée, me dit-il…

— Épatante, fais-je…

— Les nuits sont encore fraîches, observe-t-il avec pertinence.

— Oui, encore, conviens-je…

Je quitte ce digne homme et il plonge dans le pétrin.

Moi aussi !

Maintenant la pâtisserie est pleine de trèpe, mais la clientèle a changé. Les gars qui sont ici ont un casier vierge, croyez-le.

Je m’approche du brigadier qui a regardé ma carte.

— Je suis obligé de filer, lui dis-je. J’irai au rapport un peu plus tard.

— Entendu, monsieur le commissaire…

Je sors. J’ai besoin de prendre un peu d’air. C’est bon de respirer la nuit de Montmartre quand on vient d’échapper à la grande seringue !

CHAPITRE XVI

Je fais le tour du pâté de maisons par la rue Fontaine puis je reviens à ma tire.

J’avais besoin de calmer mes nerfs et c’est maintenant chose faite… Quand le grand toutim se déclenche, il se fait en moi un grand calme. Tout devient précis comme les rouages d’une montre et ma pensée fonctionne admirablement, avec une acuité de devin.

Je me dis que les patrons de Paul tiennent à leur anonymat au point qu’ils n’hésitent pas à prendre des risques énormes. Ils liquident tous ceux qui, de près ou de loin touchaient au Pourri. Ce matin, ils étaient à l’enterrement. Ils m’ont repéré et ont assisté à mon entretien avec Mémé… Ils ont flairé du louche… C’est Mémé qu’ils ont décidé de suivre afin de voir ce qu’il allait maquiller. Ils ont vu. Dès lors sa mort a été décidée. La mienne leur paraissant judicieuse aussi, ils ont voulu faire d’une pierre deux coups…

Je ne pense pas être suivi, mais comme deux précautions valent mieux qu’une j’arrête ma voiture devant une allée à double issue de la rue des Martyrs.

Je ressors de l’immeuble et gagne la station de taxis la plus proche.

— Dis, je demande au chauffeur, tu connais pas une turne qui s’appelle La Lune Verte, dans le quartier Trinité ?

Il fait un signe affirmatif.

— Rue de Milan…

— Alors, roule !

Dix minutes plus tard, il m’éjecte devant la boîte. Faut descendre trois marches et on débarque dans un vestiaire circulaire où de la pépée bien baraquée fait du zèle. Je laisse mon pardingue et un billet de cent dans ses mains et j’entre dans la salle.

Ça ressemble à une oasis telle que le petit Toto se l’imagine. Y a des palmiers en contreplaqué sur les murs, avec des cactus en carton-pâte et des dromadaires en peluche. Au-dessus du comptoir une vaste lune de verre vert justifie l’enseigne de l’établissement.

Trois Martiniquais jouent de la courgette évidée sur une estrade et deux couples de patards se frottent le nombril en cadence. À part ça rien d’autre à signaler sinon une barmaid qui se fait tartir derrière le simili-acajou du bar.

Je vais lui faire un brin de causette.

— Un whisky, dis-je, car je suppose qu’il est obligatoire ?

J’avais besoin de calmer mes nerfs et c’est porte aux confidences.

— Dites donc, Sofia n’est pas là ?

Elle secoue la tête :

— Jamais la nuit, elle fait le jour… Du reste aujourd’hui elle n’est pas venue car elle est allée à l’enterrement d’un de ses parents.

— Voyez-vous ! Et personne n’a demandé après elle, en fin de journée ?

— Si, fait-elle, surprise, comment le savez-vous ?

— Pas malin, c’est un pote à moi… Un type aux cheveux gris avec des lunettes ovales…

Je me marre, mais son visage me freine l’hilarité.

— Pas du tout ! C’était un grand mince tout rasé, assez jeune, il avait une tenue de chauffeur…

Je soupire.

— C’est le chauffeur de mon ami. Il vous a demandé son adresse ?

— Oui.

— Vous la lui avez donnée ?

— Non, pour la bonne raison que je ne la connais pas. Je sais qu’elle habite Montmartre, du côté de l’avenue Junot, mais c’est tout !

— Que lui avez-vous dit ?

— Je lui ai donné le téléphone du patron d’ici en lui disant de lui demander à lui…

— Donnez-le-moi aussi, le bignou du patron…

— Opéra 09–04…

Elle me regarde.

— Qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ?

— Il y a longtemps que ce type est venu ?

— Une heure environ…

— Qu’est-ce que ça veut dire ? redemande-t-elle.

— C’est combien, le whisky ?

— Huit cents francs…

— C’est donné, vous allez droit à la faillite !

Je pose mille balles sur le rade et je m’esbigne sans répondre à son troisième « Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Faut toujours laisser le champ libre à l’imagination des jeunes femmes.

Au vestiaire je réclame un jeton et je compose le numéro du patron de La Lune après avoir demandé son blaze à la préposée. La sonnerie vrille mon tympan. On décroche. Une voix de métèque demande à qui elle a affaire.

— Monsieur Armalfini ?

— Oui ?…

— Police…

Le mec a un hoquet à l’autre bout et commence à prendre des vapeurs.

— Ma qu’est-ce que c’est ? pleurniche-t-il.

— Chialez pas et ouvrez vos cornets, tout à l’heure quelqu’un vous a téléphoné pour vous demander l’adresse d’une de vos serveuses : Sofia Mongin ?

— Oui…

— Vous l’avez donnée ?

— Non, j’étais dans mon bain, ma bonne a dit de rappeler… J’attendais, justement je croyais que c’était…

Dieu soit loué !

— Bien, écoutez, ne bougez pas de chez vous avant que le gars ne vous ait appelé. Donnez l’adresse et ne vous inquiétez plus de rien, compris ?